1 mars 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/01469

Pôle 1 - Chambre 5

Texte de la décision

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 5





ORDONNANCE DU 01 MARS 2023

(n° /2023)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01469 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG7IG



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Janvier 2023 du Président du tribunal de commerce de Paris - RG n° 2023000546



Nature de la décision : Contradictoire



NOUS, Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.




Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :





DEMANDEUR



S.A.S. SALVAJE [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Et assistée de Me Nuria BOVE ESPINALT de l'AARPI M&B, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : C234





à





DEFENDEUR



S.A.S.U. SOCIETE IMMOBILIERE ET HOTELIERE DU [Adresse 5] (SIHPM)

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Et assistée de Me Jean-Paul PETRESCHI de l'AARPI SAINT-LOUIS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0079





Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 01 Février 2023 :



La société Immobilière et Hôtelière du [Adresse 5] -SIHPM- exploite l'hôtel du Collectionneur, sis [Adresse 2] à [Localité 4].



Par acte sous seing privé du 1er avril 2022, la société Salvaje et la SIHPM ont conclu un contrat de location-gérance.



Par lettre recommandée avec avis de réception du 14 décembre 2022, la SIHPM a notifié à la société Salvaje la résiliation unilatérale du contrat avec effet au 2 janvier 2023 à minuit sur le fondement de l'article 1226 du code civil au regard des différents manquements de la société Salvaje.



Par acte du 19 décembre 2022, la SIHPM a assigné la société Salvaje afin de voir juger que les manquements de la société Salvaje justifiaient la résiliation du contrat.



Le 5 janvier 2023, la SIHPM a assigné d'heure à heure en référé la société Salvaje afin de constater la résiliation du contrat au visa de l'article 1226 du code civil et voir ordonner l'expulsion de la société Salvaje au 2 janvier 2023 à minuit.



Par ordonnance de référé rendue le 10 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a, au visa de l'article 873 du code de procédure civile, constaté que le contrat de location-gérance du 1er avril 2022 entre la société Salvaje et la SIHPM a été résilié par le bailleur du fonds de commerce conformément aux dispositions de l'article 1226 du code civil avec effet au 2 janvier 2022 à minuit, ordonné l'expulsion de la société Salvaje de l'Hôtel sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'ordonnance, ordonné, sous la même astreinte, le transfert par la société Salvaje à la SIHPM de la licence de débit de boisson de 4ème catégorie, attachée au fonds de commerce.



Le 23 janvier 2023, la société Salvaje a interjeté appel de cette décision.



Par ordonnance du 25 janvier 2023, la société Salvaje a été autorisée à assigner à jour fixe devant le premier président statuant sur demande d'arrêt d'exécution provisoire.



Par acte de commissaire de justice du 26 janvier 2023, la société Salvaje a fait assigner la SIHPM sur le fondement de l'article 514-3 du code de procédure civile devant le premier président de la cour d'appel de Paris afin d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire de la décision précitée et la condamnation de la SIHPM à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Par ordonnance du 31 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a, au visa de l'article 462 du code de procédure civile, rectifié l'omission matérielle qui entache l'ordonnance du 10 janvier 2023 en y intégrant un résumé des demandes de la société Salvaje.



A l'audience du 1er février 2023, la société Salvaje, reprenant oralement son acte introductif d'instance, soutient en premier lieu que l'ordonnance de référé encourt la nullité sur le fondement de l'article 458 du code de procédure civile dès lors qu'elle n'expose pas les prétentions de la société Salvaje ni ne renvoie à ses conclusions et n'est pas motivée.



En second lieu, la société Salvaje fait valoir qu'il existe des moyens sérieux de réformation du jugement en ce que :

- les demandes de la SIHPM devant le juge des référés étaient irrecevables dès lors qu'elle n'a invoqué aucun moyen de droit au soutien de sa demande d'expulsion, l'article 1226 du code civil ne visant nullement les conséquences de la résolution du contrat et les autres articles cités dans son assignation, les articles 485 al 2 et 808 du code de procédure civile étant inopérants ;

- les demandes de la SIHPM étaient infondées et ne relevaient pas du juge des référés en présence de contestations sérieuses.

- le juge des référés, pour constater la résiliation du contrat de location-gérance, n'a pas motivé sa décision et a relevé l'absence d'affectio societatis entre les parties qui n'était pourtant invoquée par aucune partie et ne peut être utilement invoquée dès lors que les parties n'étaient pas associées et n'ont aucun affectio sociétatis.

- la demande de constat de résiliation formulée par la SIHPM n'est pas une prétention et en tout état de cause, seul le juge du fond, déjà saisi, était compétent pour statuer sur cette question.

- le juge des référés n'est compétent, pour ordonner l'expulsion, en application des articles 872 et 873 alinéa 2 du code de procédure civile qu'en cas d'urgence et en l'absence de contestation sérieuse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors d'une part, que le juge du fond a été saisi par la SIHPM pour « juger que les manquements de la société Salvaje [Localité 4] aux obligations contractuelles prévues par le contrat de location-gérance justifiaient la résiliation dudit contrat par la SIHPM intervenue le 3 janvier 2023 » et que par conclusions en réponse la société Salvaje s'est opposée à la résiliation et d'autre part, que la SIHPM échoue à démontrer l'urgence de l'expulsion.



Elle ajoute que l'expulsion entraînerait pour elle des conséquences manifestement excessives dès lors qu'elle priverait de tout intérêt la procédure d'appel et entraînerait des conséquences financières, économiques et sociales dramatiques. Elle rappelle qu'elle exploite un bar-restaurant d'une surface de 747 m² et d'une capacité de 345 personnes, qu'elle a entièrement aménagé selon le concept des restaurants Salvaje, que la remise en état des lieux est impossible dans le délai des 8 jours prescrits, et qu'en cas d'infirmation de l'ordonnance, elle ne pourrait se réinstaller dans les locaux remis en état d'origine. Elle considère ainsi que l'expulsion porterait en pratique atteinte à son droit d'exercer les voies de recours dont elle dispose.

Elle soutient également qu'elle a investi plus de 2 millions d'euros pour exploiter le fonds de commerce, cette somme devant être amortie a minima sur la durée du contrat de trois ans et que la cessation de l'exploitation du fond de commerce entraînerait la cessation de toute activité, alors que la société Salvaje [Localité 4], a été spécialement créée pour exploiter ledit fonds. Elle rappelle enfin qu'elle emploie 86 personnes et que si certains contrats de travail pourraient être repris par la SIHPM, ce n'est pas le cas de tous. Elle allègue enfin que l'expulsion porterait atteinte à son image et sa renommée.



La SIHPM, développant oralement ses écritures déposées à l'audience, conclut au rejet de la demande et à la condamnation de la société Salvaje à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.



Elle considère que le moyen tendant à la nullité de l'ordonnance du 10 janvier 2023 est sans objet depuis la notification de l'ordonnance rectificative. Elle soutient en outre que l'ordonnance du 10 janvier 2023 n'encourt aucune nullité dès lors que la procédure devant le juge des référés est orale, que l'ordonnance visait les conclusions motivées de la société Salvaje et qu'aux termes de l'article 455 du code de procédure civile l'exposé des prétentions peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties.



Elle soutient par ailleurs qu'il n'existe aucun moyen sérieux d'annulation ou de réformation. Elle rappelle que le juge des référés ne s'est pas prononcé sur la résiliation du contrat, celle-ci résultant de « la résiliation unilatérale » du contrat de location-gérance qu'elle a mis en 'uvre sur le fondement de l'article 1226 du code civil après avoir mis en demeure la société Salvaje. Elle considère que la résiliation est effectuée à ses risques et périls et qu'elle justifie d'une solvabilité suffisante pour réparer l'éventuel préjudice de la société Salvaje si le juge du fond considérait que l'inexécution de la société Salvaje n'était pas suffisamment grave.



Elle considère en outre que la société Salvaje ne démontre pas que l'exécution provisoire entraînerait pour elle des conséquences manifestement excessives. Elle considère que l'expulsion est la suite logique de la résiliation du contrat et qu'elle n'a donc, en elle-même, pas de conséquence excessive. Elle soutient que la société Salvaje [Localité 4], filiale du groupe Salvaje, a la possibilité de trouver d'autres locaux pour y reprendre son activité de restauration, qu'il n'existe aucune conséquence sociale dès lors qu'elle s'est engagée à reprendre l'intégralité du personnel, que la société Salvaje n'a mis qu'un mois pour décorer le restaurant et que la remise aux normes n'est pas considéré comme un motif justifiant une conséquence manifestement excessive. Elle conteste enfin le risque de cessation des paiements invoqué par la société Salvaje alors qu'elle aura des charges réduites en raison de la cessation d'activité, qu'elle n'a investi qu'un million d'euros pour s'installer, a déjà réalisé un bénéfice équivalent à cette somme et que le groupe Salvaje pourra soutenir sa filiale française.



La SIHPM prétend au contraire que l'arrêt de l'exécution provisoire aurait pour elle-même des conséquences économiques catastrophiques en raison du non respect par la société Salvaje des normes sécuritaires et de droit du travail et des plaintes répétées des clients.






MOTIFS



L'article 514-3 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.



Ces conséquences manifestement excessives s'apprécient par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.



Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.



Sur le moyen d'annulation de l'ordonnance



Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

Il énonce la décision sous forme de dispositif.

L'article 458 du même code énonce que ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 (alinéa 1) et 456 (alinéas 1 et 2) doit être observé à peine de nullité.



Si l'ordonnance du 10 janvier 2023 ne mentionne pas les prétentions de la société Salvaje, le juge a expressément visé les conclusions motivées déposées par la société Salvaje.



Toutefois, comme le relève justement la société Salvaje, il existe un risque d'annulation de l'ordonnance dès lors que celle-ci est dépourvue de motivation en droit et en fait. En effet, pour prononcer l'expulsion sollicitée, le juge, après avoir relevé que le contrat de location-gérance avait été résilié par le bailleur du fonds de commerce et qu'il n'y avait plus d'affectio societatis entre les parties, s'est borné à indiquer « qu'il apparaît de l'examen des pièces versées au débats et des explications fournies à la barre que l'obligation n'est pas sérieusement contestable et qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande. » La simple référence aux pièces et explications des parties ne peut constituer une motivation au sens de l'article 455 du code de procédure civile. Ainsi, la société Salvaje justifie d'un moyen d'annulation de l'ordonnance pour non respect de l'obligation de motivation prévue à l'article 455 du code de procédure civile.





Sur les moyens de réformation



Aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, « le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

Pour faire droit à la demande de la SIHPM, le juge des référés a visé, dans le seul dispositif de la décision, le second alinéa de l'article 873 du code de procédure civile qui suppose que l'obligation n'est pas sérieusement contestable.



Or, au jour où le juge des référés a statué, la SIHPM avait déjà saisi, pas assignation du 19 décembre 2022, le juge du fond afin de voir juger que les manquements de la société Salvaje justifiaient la résiliation du contrat et obtenir des dommages-intérêts. La société Salvaje, aux termes de ses conclusions adressées au juge du fond avait sollicité pour sa part, le rejet des demandes de la SIHPM et la poursuite du contrat de location-gérance. Au regard des manquements invoqués de part et d'autre par les parties et de la procédure au fond, préalablement introduite au référé, portant sur le bien fondé ou non de la résolution du contrat en application de l'article 1226 du code civil, la société Salvaje justifie qu'il existe un moyen de réformation de l'ordonnance en ce que le juge des référés a considéré que l'obligation n'était pas sérieusement contestable.





Sur les conséquences manifestement excessives



Au regard de la nature particulière du fond donné en location-gérance, portant sur une surface de plus de 700 m² permettant de servir jusqu'à 345 couverts, du montant des travaux réglés par la société Salvaje -entre 1 ou 2 millions selon les parties- pour aménager le restaurant selon le concept du groupe Salvaje en 2022, soit il y a moins d'un an, de l'obligation de remettre en état les locaux aménagés il y a quelques mois, l'expulsion de la société Salvaje serait de nature à entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives dès lors qu'elle ne sera pas en mesure de retrouver un autre local d'exploitation équivalent à court terme et qu'en cas d'infirmation de l'ordonnance, elle ne pourrait se réinstaller dans les locaux remis à l'état d 'origine.



Les développements de la SIHPM relatifs « aux conséquences catastrophiques » qu'aurait pour elle l'arrêt de l'exécution provisoire sont inopérants au regard des conditions prévues par l'article 514-3 du code de procédure civile.



En conséquence, il convient de suspendre l'exécution provisoire attachée à l'ordonnance du 10 janvier 2023.



La SIHPM, succombant en ses prétentions, est condamnée aux dépens et à verser à la société Salvaje la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



Arrêtons l'exécution provisoire attachée à l'ordonnance rendue le 10 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Paris,



Condamnons la société Immobilière et Hôtelière du [Adresse 5] -SIHPM- à verser à la société Salvaje la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamnons la société Immobilière et Hôtelière du [Adresse 5] -SIHPM- aux dépens.



ORDONNANCE rendue par Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





La Greffière, La Conseillère

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