15 février 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.919

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00181

Texte de la décision

SOC.

HA



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 février 2023




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 181 F-D

Pourvoi n° G 21-23.919




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023

1°/ La société Prim' Habitat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ M. [B] [O], domicilié [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° G 21-23.919 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2021 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [W] [I], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Prim' Habitat, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [I], après débats en l'audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 9 septembre 2021), Mme [I] a été engagée par la société Prim'Habitat (la société) le 22 février 2016 en qualité d'assistante comptable. Elle a été en arrêt de travail à compter du 25 octobre 2016.

2. Soutenant avoir subi un harcèlement sexuel, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 14 décembre 2016, de demandes tendant à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, dire que celle-ci produit les effets d'un licenciement nul et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes. Elle a été licenciée pour faute grave le 22 décembre 2016.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée laquelle produit les effets d'un licenciement nul à la date du 22 décembre 2016 et de la condamner à verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour préjudice moral consécutif à la violation des dispositions de l'article L. 1153-1 et suivants du code du travail, alors :

« 1°/ que le harcèlement sexuel se définit comme les propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante" ou toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle" ; que ne sauraient caractériser un harcèlement sexuel les comportements ou relations intimes intervenus entre deux personnes lorsqu'ils s'inscrivent dans une relation privée instituée de manière consentante par ces dernières, peu important que ces personnes appartiennent à la même entreprise ou qu'elles aient un lien de subordination entre elles ; que dans le cadre d'une telle relation les comportements ou propos à caractère intime ou sexuel des protagonistes relèvent de la sphère privée et sauraient influer sur leur sphère professionnelle ; qu'en l'espèce pour déduire le harcèlement sexuel, et faire
droit à la demande de résiliation judiciaire de la salariée, la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de limite fixée par M. [O] au sein de l'entreprise entre la sphère privée et la sphère professionnelle (…) [ayant] créé volontairement les circonstances lui permettant de se rapprocher de la salariée pour obtenir de sa part des faveurs sexuelles", sur le séjour de deux jours passé par M. [O] et la salariée à Paris durant lequel ils ont entretenu une relation intime, sur le fait que la salariée n'était pas à l'initiative de ce séjour et que d'autres salariés se soient plaints du comportement de M. [O], sur le départ précipité de la salariée de l'entreprise, sur le mode de vie de M. [O] et plus largement sur le lien de subordination de la salariée vis-à-vis de M. [O] ; que la cour d'appel en a déduit que rien ne permet de justifier le comportement de M. [O] à l'égard de Mme [I], alors qu'il a tout mis en oeuvre pour créer une intimité physique avec elle dans le but d'obtenir ses faveurs sexuelles" ; qu'à défaut de constat de l'absence de libre consentement de la salariée à nouer avec M. [O] des liens intimes et sexuels relevant d'une sphère privée et non professionnelle, de tels constats étaient pourtant impropres à caractériser le harcèlement sexuel ; qu'en se fondant néanmoins sur de tels motifs pour déduire ledit harcèlement sexuel et faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Prim' Habitat, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L.1153-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 et L.1231-1 du code du travail et 1103, 1104, 1193 et 1224 du code civil ;

2°/ qu'en se fondant sur les relations de nature intime et sexuelle entretenues entre la salariée et M. [O] pour déduire le harcèlement sexuel de la salariée et faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, sans constater que ces relations n'avaient pas été entièrement consenties par la salariée et sans vérifier si elles ne sortaient pas en conséquence de la sphère professionnelle pour entrer dans la sphère personnelle de relations entre personnes adultes librement consentantes insusceptibles d'influer sur le sort du contrat de travail et de justifier sa résiliation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1153-1 et L.1153-3 du code du travail, ensemble les articles L.1221-1 et L.1231-1 du code du travail et 1103, 1104, 1193 et 1224 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui
permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

6. La cour d'appel, qui par une appréciation souveraine des éléments de preuve et de fait qui lui étaient soumis, a, d'une part constaté que les éléments de fait invoqués par la salariée comme étant susceptibles de constituer un harcèlement sexuel étaient établis et, d'autre part estimé, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, que l'employeur ne justifiait pas d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement sexuel, a pu retenir que la gravité de ces faits justifiait la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produisait les effets d'un licenciement nul à la date du 22 décembre 2016.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Prim' Habitat aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Prim' Habitat et la condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Prim' Habitat et M. [O]

La société PRIM' HABITAT fait grief à l'arrêt attaqué infirmatif sur ce point d'AVOIR prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] laquelle produit les effets d'un licenciement nul à la date du 22 décembre 2016 et de l'AVOIR condamnée à verser à Mme [I] les sommes de 1.520 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 152 € brut à titre d'incidence congés payés sur préavis, 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif à la violation des dispositions de l'article L. 1153-1 et suivants du code du travail, et 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

1. ALORS QUE le harcèlement sexuel se définit comme « les propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ou « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle » ; que ne sauraient caractériser un harcèlement sexuel les comportements ou relations intimes intervenus entre deux personnes lorsqu'ils s'inscrivent dans une relation privée instituée de manière consentante par ces dernières, peu important que ces personnes appartiennent à la même entreprise ou qu'elles aient un lien de subordination entre elles ; que dans le cadre d'une telle relation les comportements ou propos à caractère intime ou sexuel des protagonistes relèvent de la sphère privée et sauraient influer sur leur sphère professionnelle ; qu'en l'espèce pour déduire le harcèlement sexuel, et faire droit à la demande de résiliation judiciaire de Mme [I], la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de limite fixée par M. [O] au sein de l'entreprise « entre la sphère privée et la sphère professionnelle (…) [ayant] créé volontairement les circonstances lui permettant de se rapprocher de Mme [I] pour obtenir de sa part des faveurs sexuelles », sur le séjour de deux jours passé par M. [O] et Mme [I] à Paris durant lequel ils ont entretenu une relation intime, sur le fait que Mme [I] n'était pas à l'initiative de ce séjour et que d'autres salariés se soient plaints du comportement de M. [O], sur le départ précipité de Mme [I] de l'entreprise, sur le mode de vie de M. [O] et plus largement sur le lien de subordination de Mme [I] vis-à-vis de M. [O] (arrêt p. 17) ; que la cour d'appel en a déduit que « rien ne permet de justifier le comportement de M. [O] à l'égard de Mme [I], alors qu'il a tout mis en oeuvre pour créer une intimité physique avec elle dans le but d'obtenir ses faveurs sexuelles » (arrêt p. 18) ; qu'à défaut de constat de l'absence de libre consentement de Mme [I] à nouer avec M. [O] des liens intimes et sexuels relevant d'une sphère privée et non professionnelle, de tels constats étaient pourtant impropres à caractériser le harcèlement sexuel ; qu'en se fondant néanmoins sur de tels motifs pour déduire ledit harcèlement sexuel et faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société PRIM' HABITAT, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L.1153-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 et L.1231-1 du code du travail et 1103, 1104, 1193 et 1224 du code civil ;

2. ALORS QU'en se fondant sur les relations de nature intime et sexuelle entretenues entre Mme [I] et M. [O] pour déduire le harcèlement sexuel de la salariée et faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, sans constater que ces relations n'avaient pas été entièrement consenties par la salariée et sans vérifier si elles ne sortaient pas en conséquence de la sphère professionnelle pour entrer dans la sphère personnelle de relations entre personnes adultes librement consentantes insusceptibles d'influer sur le sort du contrat de travail et de justifier sa résiliation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1153-1 et L.1153-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 et L.1231-1 du code du travail et 1103, 1104, 1193 et 1224 du code civil.

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