5 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.155

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00016

Titres et sommaires

SAISIES - Saisies spéciales - Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels - Saisie d'une somme d'argent versée sur un compte bancaire - Ordonnance du juge des libertés et de la détention - Banque dans un Etat étranger - Procédure d'entraide pénale internationale - Nécessité

Il se déduit des articles 705 et 706-153 du code de procédure pénale que si, dans le cadre d'une enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention est compétent pour ordonner une mesure de saisie de sommes figurant au crédit d'un compte ouvert auprès d'une banque domiciliée sur le territoire d'un Etat étranger et qualifiée de tiers saisi par l'arrêt attaqué, il ne saurait, sans méconnaître les règles de compétence territoriale et de souveraineté des Etats, exiger de cet établissement, auquel il a notifié l'ordonnance attaquée, qu'il se libère des sommes saisies, en dehors de toute procédure d'entraide pénale, par virement au crédit du compte de l'AGRASC

Texte de la décision

N° S 22-81.155 F-B

N° 00016


ECF
5 JANVIER 2023


CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 JANVIER 2023



La société [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 3 février 2022, qui, dans la procédure suivie du chef de blanchiment, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [3], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 18 septembre 2019, le procureur de la République financier a diligenté une enquête préliminaire concernant les agissements de Mme [N] [F], ressortissante russe, se disant domiciliée à Monaco depuis 2016 et gérante associée de deux sociétés ayant leur siège à Monaco, dont la société [3], propriétaire d'une villa située à [Localité 6], lesdits agissements étant susceptibles de constituer le délit de blanchiment de fraude fiscale et de tout autre délit.

3. Le 11 mars 2021, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie des créances figurant sur quatre comptes bancaires ouverts au nom de la société [3] auprès de l'établissement bancaire [4] ([4]) à Monaco pour un montant total de 9 870 760 euros. Cette ordonnance, notifiée le jour même au procureur de la République, puis le 15 septembre 2021 à la société [3] ainsi qu'à l'établissement de crédit teneur du compte, faisait, en outre, injonction à la [4] de consigner les sommes saisies auprès de l'AGRASC.

4. La société [3] a interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche


5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé sur l'appel de l'ordonnance de saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire, alors « que la personne dont les biens ont été saisis ou son avocat doivent avoir la parole les derniers ; qu'en prononçant sur l'appel formé par la société [3] contre l'ordonnance ayant ordonné la saisie des sommes inscrites au crédit de comptes bancaires supposés lui appartenir, quand il résulte des énonciations de l'arrêt qu'elle n'a pas eu, à l'audience du 13 janvier 2022, la parole après les réquisitions du ministère public, la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 199 du code de procédure pénale, le principe de respect des droits de la défense et les principes généraux de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'ont été entendus en leurs observations l'avocat de la société [3], puis l'avocat de la [4], et enfin le ministère public en ses réquisitions.

8. Dès lors que la saisine des juges du second degré, délimitée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant sur sa contestation de la saisie pénale ordonnée par le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'une enquête préliminaire, n'impliquait pas une qualité autre que celle déclarée de tiers propriétaire, de nature à interférer sur l'ordre de parole des parties à l'audience, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

9. En conséquence, le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le second moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la saisie des créances figurant sur le compte [XXXXXXXXXX05] détenu par la société [3] dans les livres de la banque [4] à Monaco et a dit que l'établissement de crédit teneur de compte devrait se libérer de ces sommes par virement au crédit du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations au nom de l'AGRASC, alors :

« 1°/ que seule peut être ordonnée par une juridiction d'instruction française, sur le fondement de 706-154 du code de procédure pénale, la saisie de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi française à tenir des comptes de dépôts ; qu'en ordonnant, sur le fondement de ces dispositions, la saisie de sommes inscrites au crédit d'un compte ouvert dans les livres de la [4] à Monaco, quand cet établissement n'est pas habilité par la loi française, la chambre de l'instruction, excédant ses pouvoirs, a violé les articles 113-2 du code pénal, L. 511-9, L. 518-1 du code monétaire et financier et, par fausse application, l'article 706-154 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en refusant d'ordonner la mainlevée de la saisie des sommes inscrites sur le compte bancaire dont est titulaire la société [3], quand elle relevait elle-même que, au jour où la saisie avait été réalisée, le solde de ce compte bancaire était nul, ce dont il résultait pourtant que la saisie était privée d'objet, en sorte que son maintien était vexatoire, la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 706 154 du code de procédure pénale ;

3°/ que la saisie pénale spéciale prévue à l'article 706-154 du code de procédure pénale n'applique qu'aux sommes inscrites au crédit du compte bancaire au moment de la saisie ; qu'en ordonnant « la saisie des créances figurant sur le compte » appartenant à la société [3], en rendant ainsi ce compte indisponible et en ordonnant par avance la saisie des sommes qui pourraient y être versées, la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, préliminaire et 706-154 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

11. Le moyen qui se fonde sur les dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale est inopérant dès lors que la saisie a été ordonnée sur le fondement de l'article 706-153 du même code.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

12. La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que la chambre de l'instruction a confirmé la décision de saisie, dès lors que, d'une part, les juges ont seulement relevé que la banque [4] avait indiqué que le solde du compte objet de la saisie était nul sans retenir l'exactitude de cette déclaration, et, d'autre part, seule se trouve saisie la somme susceptible de figurer sur le compte au jour de la notification de la saisie, aucune autre somme ne pouvant être saisie postérieurement à cette date.

13. Le moyen doit donc être écarté.

Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Vu les articles 705 et 706-153 du code de procédure pénale :

14. Il se déduit de ces textes que si le juge des libertés et de la détention, requis par le procureur de la République financier dans le cadre d'une enquête préliminaire, est compétent pour ordonner une mesure de saisie de sommes figurant au crédit d'un compte bancaire dont l'exécution doit intervenir sur le territoire d'un Etat étranger, il ne peut, hors de toute procédure d'entraide pénale, exiger d'un établissement bancaire domicilié sur le territoire dudit Etat et auquel il a notifié l'ordonnance attaquée, qu'il se libère des sommes saisies par virement au crédit du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignation au nom de l'AGRASC, sans méconnaître les règles de compétence territoriale et de souveraineté des Etats.

15. Pour déclarer le juge des libertés et de la détention compétent pour ordonner une saisie pénale concernant un compte bancaire dont est titulaire la société [3] auprès de la [4], banque monégasque située sur le territoire de la principauté de Monaco et confirmer cette décision, l'arrêt énonce que le juge des libertés et de la détention est compétent pour ordonner en France, la saisie pénale notamment de comptes bancaires en application des articles 706-141 et suivants et notamment 706-153 du code de procédure pénale.

16. Les juges ajoutent qu'une demande d'entraide supposant un acte d'une autorité judiciaire nationale, le juge des libertés et de la détention était compétent pour rendre au siège de sa juridiction l'ordonnance de saisie pénale critiquée, qu'il n'est pas rapporté que cette ordonnance aurait fait l'objet d'une exécution directe sur le territoire de la principauté de Monaco et que si, comme le relève l'avocat de la banque [4], l'ordonnance rendue n'est pas directement exécutoire sur le sol de cet Etat, en revanche, elle peut être exécutée dans le cadre d'une demande d'entraide, notamment, sur le fondement des Conventions du Conseil de l'Europe liant Monaco à la France et organisant l'entraide pénale entre ces deux Etats.

17. En prononçant ainsi, alors que le juge des libertés et de la détention a d'ores et déjà, hors toute procédure d'entraide pénale, notifié à la banque [4], domiciliée sur le territoire de la principauté de Monaco et qualifiée de tiers saisi par l'arrêt attaqué, l'ordonnance de saisie pénale en lui enjoignant de se libérer des sommes saisies par virement sur le compte de l'AGRASC, l'arrêt a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

18. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

19. La cassation aura lieu par voie de retranchement et sans renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 3 février 2022, en ses seules dispositions ayant confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 11 mars 2021 en ce qu'elle enjoint à la banque [4] de se libérer des sommes saisies par virement au crédit du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations au nom de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) sise [Adresse 2] (tel : [XXXXXXXX01]) ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq janvier deux mille vingt-trois.

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