22 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.821

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01428

Texte de la décision

N° D 22-80.821 F-D

N° 01428


SL2
22 NOVEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2022



L'Agent judiciaire de l'Etat, partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 17 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [U] [M] pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [U] [M] coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois sur la personne de Mme [R] [N], gendarme, et a renvoyé sur les intérêts civils.

3. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.

4. L'Agent judiciaire de l'Etat (AJE) est intervenu à la procédure.

5. La cour d'appel a notamment déclaré M. [M] responsable des conséquences dommageables de l'infraction, a ordonné une expertise et a renvoyé sur les intérêts civils.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente du chiffrage définitif de la créance de l'agent judiciaire de l'Etat et partant d'avoir condamné M. [M] à payer à Mme [R] [N] la somme de 195 096,60 euros en réparation de son préjudice corporel, alors :

«1°/ que si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il surseoit à statuer et accorde éventuellement une indemnité provisionnelle ; qu'il en résulte qu'en refusant de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par l'agent judiciaire de l'Etat, alors qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier dans leur intégralité les débours exposés par l'Etat pour son agent, au regard du seul document produit intitulé « préjudice provisoire de l'Etat », la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble les articles 29, 31 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;

2°/ que si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il lui appartient d'enjoindre à l'agent judiciaire de l'Etat, présent aux débats, de communiquer le décompte définitif des prestations servies à la victime ; qu'il suit de là qu'en condamnant le tiers responsable à réparer l'entier préjudice corporel résultant de l'accident, faute de pouvoir statuer sur le recours subrogatoire de l'Etat, alors qu'il appartenait au préalable d'enjoindre au tiers payeur de communiquer le décompte définitif de ses débours et, en tant que de besoin, de surseoir à statuer dans cette attente, en application de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, la cour d'appel a, une nouvelle fois, méconnu son office au regard du texte précité, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble les articles 29, 31 et 33 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;

3°/ que le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction en toutes circonstances ; qu'en l'espèce, l'agent judiciaire de l'Etat s'était borné à demander à la cour d'appel de surseoir à statuer, en application de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, dans l'attente du chiffrage définitif de sa créance, faisant état d'un préjudice provisoire pour ses débours, qu'il détaillait dans ses conclusions, d'un montant de 326 559,36 euros, sans se prononcer sur l'exercice de ses droits de subrogation ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel, après avoir refusé de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par l'agent judiciaire de l'Etat, ne pouvait liquider le préjudice de la victime, sans avoir préalablement réouvert les débats et invité le tiers payeur à conclure sur les modalités d'imputation de sa créance ; que faute de l'avoir fait, la cour d'appel a méconnu son office, en violation du principe de la contradiction et des articles 6 §1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et préliminaire du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en relevant, pour condamner le tiers responsable à indemniser l'entier préjudice subi par la victime, après avoir rejeté la demande de sursis à statuer du tiers payeur, que les écritures déposées pour l'agent judiciaire de l'Etat ne se prononçaient pas sur l'exercice de ses droits de subrogation, lorsque les conclusions d'appel comportaient un tableau détaillant le « préjudice provisoire de l'Etat » du chef de Mme [N], qui précisait, pour chaque chef de préjudice invoqué par l'agent judiciaire de l'Etat, dans sa partie droite, sur quel poste de préjudice il devait s'imputer, la cour d'appel s'est mise en contradiction avec les pièces du dossier et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant le tiers responsable à indemniser l'entier préjudice subi par la victime, sans prendre en compte toutes les prestations versées par l'Etat, tiers payeur, telles la pension militaire d'invalidité servie qui s'impute sur les pertes de gains professionnels futurs, l'incidence professionnelle et, en cas de reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble les articles 29 et 31 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 modifiée. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 de l'ordonnance n°59-76 du 7 janvier 1959, alors applicable :

7. Selon ce texte, si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il sursoit à statuer et accorde éventuellement une indemnité provisionnelle.

8. Pour rejeter la demande de sursis à statuer présentée par l'AJE et statuer sur le préjudice corporel de Mme [N] sans y imputer les débours de l'Etat, l'arrêt attaqué énonce que le rapport d'expertise du préjudice corporel de la victime est déposé depuis le 2 octobre 2020, avec la fixation d'une date de consolidation des blessures au 26 janvier 2018.

9. Les juges ajoutent que dans ces conditions, l'AJE n'est pas fondé, dans une procédure contradictoire à son égard, à demander un sursis à statuer sur les prétentions légitimes de la victime à l'indemnisation de ses préjudices au seul motif du défaut de diligence de l'Etat à établir un état définitif de ses débours.

10. Ils indiquent que le seul document produit, intitulé « préjudice provisoire de l'État », relate des mentions de débours jusqu'à une date du 29 août 2021, postérieure à la consolidation de l'état de la victime, alors que ni les écritures déposées pour l'AJE, ni son conseil à l'audience, ne se prononcent sur l'exercice de ses droits de subrogation.

11. Ils en déduisent qu'il appartiendra à l'AJE d'exercer ses droits de subrogation, qui sont réservés, et qu'il convient en conséquence de statuer sur les demandes d'indemnisation de la victime poste par poste.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel, à qui il appartenait, comme le lui demandait l'AJE, de surseoir à statuer dans l'attente du décompte définitif des prestations versées, dont la juridiction était en droit d'exiger la communication, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

13. La cassation est par conséquent encourue.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 17 janvier 2022, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente du chiffrage définitif de la créance de l'agent judiciaire de l'Etat et ayant condamné M. [M] à payer à Mme [N] la somme de 195 096,60 euros en réparation de son préjudice corporel, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux novembre deux mille vingt-deux.

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