15 novembre 2022
Cour d'appel de Toulouse
RG n° 19/03935

1ere Chambre Section 1

Texte de la décision

15/11/2022





ARRÊT N°



N° RG 19/03935

N° Portalis DBVI-V-B7D-NFCY

RC / CR



Décision déférée du 25 Juin 2019

Tribunal de Grande Instance de MONTAUBAN 18/00815

M. [O]

















[C] [P]





C/



[G] [B]

[I] [K] épouse [B]































































INFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***



APPELANT



Maître [C] [P]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE







INTIMES



Monsieur [G] [B]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté par Me Olivier ISSANCHOU, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE



Madame [I] [K] épouse [B]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Olivier ISSANCHOU, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE









COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue le 14 Mars 2022, en audience publique, devant C. ROUGER et A.M ROBERT, magistrats chargés de rapporter l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



C. ROUGER, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

A.M. ROBERT, conseiller





Greffier, lors des débats : N. DIABY







ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. ROUGER, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.


EXPOSÉ DU LITIGE ET PROCÉDURE





Suivant acte authentique du 5 février 2015 reçu par Me [C] [P], notaire, M. [G] [B] et Mme [I] [K] épouse [B] ont vendu à la société Dupart Investissement une parcelle de terre en nature de terrain à bâtir située [Adresse 6] à [Localité 8] cadastrée section [Cadastre 9], [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] d'une contenance totale de 20 a et 91 ca moyennant le prix de 130.000 euros.



Les vendeurs ont donné pouvoir à l'officier ministériel de prélever sur ce prix, au profit du Trésor Public, le montant de l'impôt sur la plus-value immobilière prévu aux articles 150 U à 150 VG du code général des impôts, soit la somme de 16.456 euros (8.677 euros au titre du calcul des droits dus au titre de l'impôt sur le revenu et 7.779 euros au titre de la liquidation des prélèvements sociaux afférent à la plus-value immobilière).



Estimant qu'ils auraient dû bénéficier d'une exonération de cet impôt, par acte d'huissier en date du 23 octobre 2018, M. [G] [B] et Mme [I] [K] épouse [B] ont fait assigner M. [C] [P] devant le tribunal de grande instance de Montauban en responsabilité et réparation de leur préjudice.



Par jugement contradictoire du 25 juin 2019, le tribunal de grande instance de Montauban a :



- condamné Me [P] à payer à M. et Mme [B] la somme de 11.519,20 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier du régime exonératoire de la plus-value immobilière,

- condamné Me [P] à payer à M. et Mme [B] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700, 1° du code de procédure civile,

- condamné Me [P] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.



Le premier juge a retenu qu'à la date de l'acte notarié du 5 février 2015 le régime dérogatoire à l'impôt sur le revenu aux plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers prévu au §III de l'article 150U du code général des impôts dans sa version applicable issue de la loi de finances du 29 décembre 2014 était susceptible d'application ; que le notaire était tenu d'informer et d'éclairer les parties de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales de l'acte auquel il prêtait son concours, tant quant au montant de l'imposition prévisible que des possibilités légales d'exonération susceptibles d'être appliquées à raison de la destination ou de la nature du bien ou de la situation personnelle des parties, et qu'il devait rapporter la preuve d'avoir satisfait à cette obligation, preuve non rapportée en l'espèce. Il a retenu que le manquement à l'obligation d'information et de conseil était de nature à générer un préjudice s'analysant en une perte de chance d'une éventualité favorable, et qu'au regard de la situation personnelle telle qu'affirmée par les vendeurs et des avis d'imposition produits pour l'année 2012 il apparaissait que le revenu fiscal de référence ne semblait pas excéder la limite légale définie par l'article 1417§I du code général des impôts, de sorte que le bénéfice de l'exonération devait être considéré comme une éventualité très probable ; que néanmoins en produisant une lettre de réclamation du 19 février 2018 interrogeant le notaire sur la possibilité d'une exonération au regard du revenu fiscal avec remise d'une copie du dernier avis d'imposition, les demandeurs font l'aveu de ce qu'ils avaient connaissance, même imparfaitement, de cette possibilité et qu'ayant ainsi constaté qu'ils n'en avaient pas bénéficié ils avaient tout loisir de former une réclamation auprès de l'administration fiscale dans le délai triennal expirant le 31 décembre 2017, ce qu'ils admettaient ne pas avoir fait. Il en a déduit que les demandeurs avaient ainsi participé à la réalisation de leur propre préjudice de sorte que la perte de chance de bénéficier de l'éventualité favorable d'une exonération de l'impôt et des charges sociales y afférentes payés pour 16.456 € devait être appréciée à une fraction de 70 %, soit 11.519,20 €.



-:-:-:-:-



Par déclaration du 22 août 2019, M. [C] [P] a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses dispositions.



-:-:-:-:-



Le 24 février 2020, M. [C] [P] a transmis des conclusions d'incident devant le magistrat de la mise en état tendant à obtenir la communication de pièces.



Par ordonnance du 2 juillet 2020, le magistrat chargé de la mise en état de la cour d'appel de Toulouse a :



- rejeté la demande de communication et de production de pièces présentée par Me [P],

- dit que les dépens et frais irrépétibles de l'incident seront joints à ceux de l'instance au fond.



PRÉTENTIONS DES PARTIES



Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 24 février 2020, M. [C] [P], appelant, demande à la cour, au visa de l'article 1382 ancien applicable au cas d'espèce devenu 1240 du code civil, de :



Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,



Statuant à nouveau,

- à titre principal, débouter M. et Mme [B] de l'ensemble de leurs demandes et de leur appel incident, en ce que les éléments constitutifs de sa responsabilité civile professionnelle ne sont pas établis et les condamner au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- à titre subsidiaire, dire que la perte de chance susceptible d'être indemnisée au profit des vendeurs ne saurait excéder 10% de l'imposition acquittée, soit la somme de 1.645,60 euros et débouter M. et Mme [B] du surplus de leurs demandes en les condamnant aux dépens d'appel.



Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 26 novembre 2019, M. [B] et Mme [K] épouse [B], intimés, appelants incidents, demandent à la cour de :



- confirmer le jugement déféré hormis en ce qu'il a condamné Me [C] [P] à leur payer la somme de 11.519,20 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier du régime exonératoire de la plus-value immobilière,



Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

- condamner Me [P] à leur payer une indemnité d'un montant de 16.456 euros en réparation de leur préjudice,

- condamner Me [P] à leur payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même aux dépens.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er mars 2022.




SUR CE, LA COUR :



En droit, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques attachés aux actes auxquels il est requis de donner la forme authentique, notamment quant aux incidences fiscales de l'opération envisagée. Il lui appartient de prouver l'exécution personnelle de ce devoir d'information et de conseil et il ne peut être déchargé de cette obligation nonobstant les connaissances personnelles du client. Ces obligations relèvent de la responsabilité délictuelle.

Selon les dispositions de l'article 150U III du code général des impôts dans sa version applicable au litige issue de la loi de finances du 29 décembre 2014, la version antérieure étant identique sur ce point, les dispositions du I prévoyant que les plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis sont passibles de l'impôt sur le revenu, ne s'appliquent pas aux plus-values réalisées par les titulaires de pensions de vieillesse ou de la carte d'invalidité correspondant au classement dans la deuxième ou la troisième des catégories prévues à l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale qui, au titre de l'avant-dernière année précédant celle de la cession, ne sont pas passibles de l'impôt de solidarité sur la fortune et dont le revenu fiscal de référence n'excède pas la limite prévue au I de l'article 1417, appréciés au titre de cette année.



En l'espèce, à la date de la vente immobilière litigieuse M.[G] [B] et Mme [I] [K] épouse [B], vendeurs, étaient tous deux retraités ainsi que précisé tant dans le compromis de vente du 9 décembre 2014 que dans l'acte authentique du 5 février 2015. Ainsi qu'ils en justifient, ils n'étaient pas redevables de l'impôt sur le revenu au titre de l'avant-dernière année précédant celle de la cession, soit l'année 2013, et leur revenu fiscal de référence de 12.641 € pour 2013 ayant motivé l'avis d'impôt sur le revenu 2014 n'excédait pas la limite prévue au I de l'article 1417 du code général des impôts (17.311 € pour 2 parts selon la version en vigueur du 30 mai 2014 au 6 juin 2015). Ils n'étaient pas davantage soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune au vu de l'avis d'impôt 2014. Les vendeurs pouvaient donc prétendre à l'exonération de l'impôt sur les plus-values immobilières.



Le notaire instrumentaire ne justifie pas avoir informé les parties à l'acte authentique du 5 février 2015 des possibilités d'exonération de la plus-value immobilière selon la situation des vendeurs, situation sur laquelle il devait spontanément se renseigner compte tenu de l'existence d'un régime exonératoire sous conditions qu'il ne pouvait ni ignorer ni négliger, et ce d'autant moins d'une part, qu'il était informé de la qualité de retraités des vendeurs, personnes physiques, ainsi que mentionné à l'acte, d'autre part, de ce qu'il admet dans ses écritures que les vendeurs lui avaient remis leur dernier avis d'imposition, avis comportant nécessairement l'indication du revenu fiscal de référence. Il a néanmoins indiqué dans l'acte authentique, au visa express des articles 150U à 150VG du code général des impôts, que l'immeuble vendu était soumis au régime des plus-values immobilières, précisant les modalités d'abattement sans faire aucune référence aux possibilités d'exonération, et a rempli l'imprimé 2048 IMM-SD déterminant le montant de la plus-value et des prélèvements sociaux y afférents pour un total de 16.456 €, se faisant donner pouvoir par les vendeurs à l'effet de prélever ce montant sur le disponible du prix pour le verser au Trésor Public, règlement qu'il a effectué.



Ce faisant le notaire a manqué à son obligation d'informer les parties et particulièrement les vendeurs, sur les incidences fiscales de l'opération quant à l'assujettissement ou non à la plus-value immobilière, engageant ainsi sa responsabilité délictuelle. Ce manquement d'information a abouti pour les vendeurs au règlement sur le prix de vente devant leur revenir d'une plus-value immobilière outre les prélèvements sociaux y afférents dont ils devaient être exonérés au regard de leur situation personnelle de revenus et d'imposition, caractérisant non une simple perte de chance de ne pas être assujettis à l'imposition contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, mais un préjudice financier consommé.



La circonstance, au demeurant contestée et non justifiée, de ce que le prix de vente aurait été négocié entre les vendeurs et l'acquéreur compte tenu de la plus-value immobilière est sans incidence tant sur le manquement du notaire à ses obligations professionnelles, l'obligation d'information étant due tout autant à l'acquéreur qu'aux vendeurs, que sur le préjudice financier en résultant pour les vendeurs, caractérisé par l'imposition indue subie, calculée sur la quasi-totalité du prix de vente, soit 129.500 €.



Le fait que les vendeurs aient pu avoir un doute sur leur assujettissement à l'impôt sur la plus-value au moment de la vente, ainsi que cela ressort de la lettre de réclamation de M. [G] [B] du 19 février 2018, est lui aussi sans incidence sur l'étendue du préjudice financier subi alors que le notaire, officier public et professionnel du droit, n'a alerté les vendeurs profanes ni sur une possibilité d'exonération ni sur les délais de la prescription fiscale que les époux [B] pouvaient légitimement ignorer, aucune faute ne pouvant leur être imputée comme génératrice de tout ou partie de leur préjudice à ce titre.

En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer M. [P] responsable de l'intégralité du préjudice subi par les époux [B] s'agissant de l'impôt sur la plus-value immobilière indûment réglé du fait du manquement du notaire instrumentaire à ses obligations et de le condamner à leur payer la somme de 16.456 € en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application des dispositions de l'article 1153-1 devenu 1231-7 alinéa 2 du code civil.



Succombant, M. [C] [P] supportera les dépens de première instance ainsi que décidé par le premier juge, et les dépens d'appel. Il se trouve redevable d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure de première instance, ainsi que justement appréciée par le premier juge, qu'au titre de la procédure d'appel dans les conditions définies au dispositif du présent arrêt, sans pouvoir lui-même prétendre à l'application de ce texte à son profit.



PAR CES MOTIFS :



La Cour,





Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux dépens de première instance et à l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,



Dit que M.[C] [P] engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. [G] [B] et Mme [I] [K] épouse [B] pour manquement à son obligation d'information sur les incidences fiscales de la vente immobilière instrumentée le 5 février 2015 quant au droit des vendeurs d'être exonérés de l'imposition sur la plus-value immobilière et des droits y afférents au regard de leur situation personnelle



Condamne M.[C] [P] à payer à M.[G] [B] et Mme [I] [K] épouse [B] la somme de 16. 456 € outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt



Condamne M. [C] [P] aux dépens d'appel en ceux compris les dépens inhérents à l'incident ayant donné lieu à l'ordonnance du magistrat de la mise en état du 2 juillet 2020, ainsi qu'à payer à M. [G] et Mme [I] [K] épouse [B] une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel



Déboute M. [C] [P] de sa demande d'indemnité sur ce même fondement.





Le Greffier Le Président















N. DIABY C. ROUGER.

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