13 octobre 2022
Cour d'appel de Caen
RG n° 20/01021

Chambre sociale section 3

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 20/01021

N° Portalis DBVC-V-B7E-GRFO

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pole social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 14 Mai 2020 - RG n° 18/00504









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRET DU 13 OCTOBRE 2022





APPELANTE :



S.A.S.U. [7]

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentée par Me Denis ROUANET, avocat au barreau de LYON, substitué par Me LEFEVRE, avocat au barreau d'ALENCON





INTIMEE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 8]



Représentée par Mme DESLANDES, mandatée









DEBATS : A l'audience publique du 09 juin 2022, tenue par Monsieur LE BOURVELLEC, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré



GREFFIER : Mme GOULARD



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme CHAUX, Présidente de Chambre,

Mme ACHARIAN, Conseiller,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,



ARRET prononcé publiquement le 13 octobre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier









La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [7] d'un jugement rendu le 14 mai 2020 par le Tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.






FAITS et PROCEDURE





M. [T] a été embauché par la société [7] (ci-après 'la société') en qualité de jardinier et mis à la disposition de l'association Institution [10], laquelle est un groupe scolaire de droit privé sous contrat avec l'Etat.



Le 19 septembre 2017, M. [T] a été victime d'un malaise sur son lieu de travail, alors qu'il 'taillait des arbustes et ramassait les branches coupées'.



Une déclaration d'accident du travail a été établie le 21 septembre 2017 précisant que 'M. [T] a été retrouvé inanimé sur le sol, près des arbustes. Malaise de nature inconnue entraînant le décès.'



Une lettre de réserves de l'employeur a été adressé à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados ( la caisse ) le 21 septembre 2017 mentionnant notamment :



'Le mardi 19 septembre 2017 à 11h45, M. [T] a été découvert inanimé dans la cour de l'institution [10].

Pris en charge par le SAMU, M. [T] est décédé au cours du transport le menant à l'hôpital de [Localité 8].

[...]

...nous souhaitons émettre des réserves quant au caractère professionnel de ce sinistre qui est survenu alors qu'aucun effort précis n'était exigé de M. [T].



Ce dernier avait pour mission d'entretenir les espaces verts ; le 19 septembre, il taillait des arbustes et ramassait des branchages, ceci sans exigence de manutention manuelle de charge lourde et sans facteur de pénibilité.

La mission accomplie durant les trois heures qui ont précédé son décès, ne peut en être à l'origine.

En l'état de ces constatations, il n'existe aucun lien de cause à effet entre le malaise survenu à M. [T] dont la nature nous est à ce jour inconnue et le travail effectué.

Le décès de M. [T] dans le transport médical le menant au centre hospitalier de [Localité 8] est donc lié à une cause totalement étrangère au travail.'



La caisse a diligenté une enquête administrative et informé la société le 9 novembre 2017 de la mise en place d'un délai complémentaire pour l'instruction du dossier. L'enquête administrative a été clôturée le 14 décembre 2017, date à laquelle le médecin conseil a déclaré que 'le décès est imputable à l'AT/MP'.



Le 5 janvier 2018, la caisse a pris en charge l'accident de M. [T] au titre de la législation professionnelle.



La société a saisi en contestation de cette décision la commission de recours amiable, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen le 27 juin 2018.



Le tribunal judiciaire de Caen, auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a par jugement du 14 mai 2020 :



- débouté la société de son recours,

- en conséquence, déclaré opposable à la société l'accident du travail mortel déclaré de M. [T] survenu le 19 septembre 2017 et pris en charge par décision de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados du 5 janvier 2018,

- condamné la société aux dépens.

















Par déclaration du 12 juin 2020, la société a interjeté appel de cette décision.



Par conclusions déposées le 9 juin 2022 soutenues oralement par son conseil, elle demande à la cour de :



- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

- constater que la société rapporte un commencement de preuve quant à l'existence d'une cause totalement étrangère au travail du malaise mortel dont était victime M. [T] le 19 septembre 2017,

Par conséquent,

- ordonner une expertise médicale judiciaire aux frais avancés par la concluante aux fins de déterminer l'origine et l'imputabilité du décès pris en charge par la caisse,

- réserver les dépens de l'instance.



Par écritures déposées le 19 mai 2022, soutenues oralement par son représentant, la caisse demande à la cour de :



- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- constater que la matérialité de l'accident est établie du fait de l'existence d'éléments objectifs et de présomptions précises et concordantes, et que c'est à bon droit que la caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle,

- dire que l'employeur ne rapporte pas la preuve que l'accident a une cause totalement étrangère au travail,

- déclarer opposable à la société la décision de prise en charge de l'accident de M. [T] au titre de la législation professionnelle,

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,

- si par extraordinaire, une expertise médicale était ordonnée, la caisse sollicite dans ce cas, que les frais soient mis à la charge de l'employeur.



Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.






SUR CE, LA COUR,





Aux termes de l'article L.411-1 du code de sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.



Il résulte de ce texte que l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail. La présomption d'imputabilité s'étend aux lésions constatées jusqu'à la date de consolidation.



En l'espèce, la société fait valoir que les lésions de M. [T] étaient préexistantes au sinistre et ne comportaient aucun lien de cause à effet avec le travail qu'il effectuait, le malaise ayant entraîné son décès n'étant que la manifestation d'un état pathologique antérieur.



La caisse, après avoir indiqué qu'elle a respecté la procédure applicable en cas de réserves motivées de l'employeur, estime que la présomption d'imputabilité au travail de l'accident mortel s'applique sans que l'employeur n'apporte d'éléments de nature à la renverser.





















En l'espèce, la matérialité de l'accident n'est pas discutée, ni le fait qu'il se soit produit au temps et sur le lieu du travail du salarié. La déclaration d'accident du travail a été établie deux jours après le fait accidentel, et l'employeur en a été informé quelques minutes après sa survenance par l'entreprise utilisatrice. La caisse a diligenté une enquête administrative suite aux réserves émises par l'employeur et le médecin conseil a estimé que le décès, survenu pour une cause non déterminée au temps et au lieu de travail, devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle.



Il ressort de ces constatations que les conditions légales de prise en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle de l'accident mortel du 19 septembre 2017 étaient remplies et que l'accident est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.



Pour rapporter cette preuve, la société produit deux témoignages, l'un de Mme [O], 'directeur d'agence', l'autre de Mme [F], 'chargée d'affaires', qui indiquent avoir été informées par l'épouse de M. [T] que celui-ci était diabétique et avait subi deux greffes.



La société se fonde également sur la mention figurant dans l'enquête administrative de la caisse, reprenant une déclaration de l'épouse de M. [T], selon laquelle celui-ci 'souffrait d'un état pathologique antérieur au 19/09/2017 évoluant pour son propre compte. En outre, elle indique que les conditions de travail de son compagnon étaient normales le 19/09/2017.'



L'épouse de M. [T] a indiqué, lors de l'entretien téléphonique avec l'agent assermenté de la caisse : 'je vous informe que mon compagnon était malade depuis des années et bénéficiait d'une pension d'invalidité à ce titre. J'ajoute que son état de santé est à l'origine de son décès. Aussi, je précise que les travaux effectués dans le cadre de son activité à l'institution [10] ne sollicitaient pas d'efforts physiques de sa part comparativement aux autres missions ponctuelles qu'il avait déjà effectuées.'



Selon M. [C], médecin urgentiste et directeur adjoint du Samu 14, M. [T] est décédé de mort naturelle au CHU de [Localité 8] à 12h25.



Selon le témoignage de M. [Z], directeur du lycée de l'institution [10], l'activité de M. [T] consistait à tailler des haies d'arbustes, à tondre, à ramasser des feuilles. Il précise que M. [T] avait toute latitude pour organiser son activité et qu'il travaillait en toute autonomie. Il indique que le 19 septembre 2017, M. [T] devait tailler une haie d'arbustes (30 mètres de long sur une hauteur de 1,50 mètre). Il ajoute que M. [T] avait commencé à tailler les arbustes sur une longueur de 5 mètres. Il souligne que celui-ci utilisait comme outil un coupe manuel pour couper les hautes tiges des arbustes car selon lui l'utilisation d'un taille-haie ne se justifiait pas.'



Il est enfin établi que M. [T] avait commencé à travailler à 8h40 - 8h45 et qu'il a été trouvé inanimé à 11h35.



Ainsi, l'employeur apporte des éléments évoquant un état pathologique antérieur chez la victime évoluant son propre compte, de nature à faire échec à la présomption d'imputabilité.



En conséquence, il convient avant-dire-droit sur le fond du litige relatif à l'imputabilité de l'accident au travail, d'ordonner une expertise sur pièces, aux frais avancés de la société.



Dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, il sera sursis à statuer sur l'ensemble des demandes.























PAR CES MOTIFS





La cour,





Avant-dire-droit sur le fond du litige relatif à l'imputabilité de l'accident au travail :



Ordonne une expertise médicale sur pièces et désigne pour y procéder :



Docteur [L] [R] [L]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Tél : [XXXXXXXX01]

Mèl : [Courriel 9]



lequel aura pour mission, après avoir examiné le dossier médical de la victime et toutes les pièces conservées par la caisse, avoir entendu les parties en leurs observations, s'être fait remettre tous documents utiles à sa mission et s'être entouré de tous renseignements nécessaires, notamment les coordonnées du médecin traitant de M. [T] et tous documents médicaux en possession du service médical lui étant rattaché :



- de prendre attache avec le médecin traitant de M. [T],



- de rechercher l'existence d'une cause étrangère au travail, d'un état pathologique préexistant ou d'une pathologie intercurrente à l'origine du malaise dont M. [T] a été victime le 19 septembre 2017,

- indiquer si le malaise et le décès en résultant sont dus à une cause totalement étrangère au travail,

- dans l'hypothèse d'un état pathologique préexistant, indiquer si l'accident l'a révélé ou aggravé,



Dit que l'expert devra de ses constatations et conclusions dresser un rapport qu'il adressera au greffe social de la cour d'appel de Caen et aux parties dans les cinq mois de la saisine,



Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance,



Ordonne la consignation par la société [7] auprès du régisseur de la cour dans les 30 jours de la notification du présent arrêt de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert,



Réserve les autres demandes,



Renvoie l'affaire à l'audience du jeudi 8 juin 2023 à 9 heures,



Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation des parties à l'audience de renvoi.



LE GREFFIERLE PRESIDENT













E. GOULARD C. CHAUX

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.