20 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-84.038

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01266

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Désignation du juge d'instruction - Juge d'instruction empêché - Remplacement - Désignation anticipée par l'assemblée générale - Condition

Aux termes de l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, le tribunal judiciaire désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer. En permettant par avance et de manière indifférenciée à l'ensemble des magistrats du siège de la juridiction de remplacer les juges d'instruction empêchés, l'assemblée générale du tribunal judiciaire n'a pas procédé à la désignation nominative exigée par ce texte

Texte de la décision

N° A 22-84.038 FS-B

N° 01266


MAS2
20 SEPTEMBRE 2022


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 SEPTEMBRE 2022



M. [V] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 16 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de violences aggravées en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V] [W], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, M. Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Lagauche, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 22 avril 2022, une information a été ouverte au tribunal judiciaire de Saint-Nazaire du chef de violences aggravées.

3. Le 27 mai 2022, M. [V] [W] a été mis en examen du chef susmentionné. Incarcéré provisoirement le même jour, il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention le 31 mai 2022.

4. M. [W] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, et a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ordonnant le placement en détention provisoire de M. [W], alors :

« 1°/ que les actes de la procédure doivent être annulés s'ils sont accomplis par un juge incompétent ; que tel est le cas lorsque, sauf urgence, dont il doit être justifié, le juge d'instruction empêché a été remplacé par un magistrat du siège qui n'a pas été nommément désigné par l'assemblée générale à ces fonctions, selon les modalités de l'article 50 du code de procédure pénale ; qu'en effet, il doit alors être établi qu'aucun autre juge d'instruction n'a pu être désigné pour remplacer le juge d'instruction empêché, qu'aucun juge n'a été spécialement désigné en application des dispositions de l'article 50 susvisé et de l'article R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ; enfin l'urgence et d'impossibilité de réunir l'assemblée générale des magistrats du tribunal doivent être constatées ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs de l'arrêt que les deux juges d'instruction nommés étant absents le 27 mai 2022, Mme [Y], magistrat du siège, a été désigné par le tribunal pour remplacer Mme [J], juge d'instruction titulaire absente, tout magistrat du siège du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire ayant, selon l'arrêt, vocation à pourvoir au remplacement du juge d'instruction empêché en application de l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les conditions susvisées, notamment l'urgence et l'impossibilité de réunir une assemblée générale étaient réunies, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 50, alinéa 4, 84, alinéas 3 et 4, 591 et 593 du code de procédure pénale, R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que la chambre de l'instruction n'a pu sans excès de pouvoir considérer que l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 a désigné indifféremment « tout magistrat du siège » du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire pour exercer, en cas de nécessité, les fonctions de juge d'instruction, sans qu'aucune désignation nominative ne soit exigée, ce qui reviendrait à ce que tout magistrat du siège soit potentiellement juge d'instruction, en méconnaissance des règles d'ordre public qui gouvernent la désignation du juge d'instruction ; qu'ainsi l'arrêt qui relève que l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 mentionne, s'agissant du service de l'instruction, que ce service est assuré par mesdames [C] et [J] et, en cas d'empêchement, « par l'ensemble des magistrats du siège, selon désignation spéciale par l'assemblée générale » ne pouvait en déduire qu'il résulte sans ambiguïté de cette ordonnance, que tout magistrat du siège a été désigné pour pourvoir au remplacement du juge d'instruction titulaire, et qu'ainsi, même en l'absence de toute désignation nominative par l'assemblée générale, Mme [Y] a été régulièrement désignée par le tribunal pour remplacer Mme [J] au demeurant « seulement absente », et que la saisine du juge des libertés et de la détention était dès lors régulière ; en validant une désignation absolument générale et non nominative, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, et excédé ses pouvoirs, la cassation interviendra sans renvoi. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 50, alinéa 4, du code de procédure pénale et R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire :

6. Selon ces textes, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, l'assemblée générale des magistrats du siège du tribunal désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.

7. Pour écarter le moyen de nullité, pris de l'irrégularité de la désignation du magistrat ayant remplacé ponctuellement le juge d'instruction empêché, l'arrêt attaqué énonce que les magistrats du siège du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, réunis en assemblée générale, ont approuvé l'ordonnance de roulement qui attribue le service de l'instruction à deux d'entre eux, nommément désignés, et le cas échéant, en cas de nécessité, à tout autre magistrat du siège, selon les modalités prévues à l'article 50 du code de procédure pénale.

8. Les juges ajoutent qu'une ordonnance de roulement modificative, prise sur le fondement du procès-verbal de l'assemblée générale susmentionnée, a constaté la prochaine indisponibilité des deux juges d'instruction de la juridiction et désigné un autre magistrat du siège pour les remplacer.

9. Ils concluent que la saisine du juge des libertés et de la détention a été effectuée par un magistrat régulièrement désigné.

10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.

11. En effet, en permettant par avance et de manière indifférenciée à l'ensemble des magistrats du siège de la juridiction de remplacer les juges d'instruction empêchés, l'assemblée générale n'a pas procédé à la désignation nominative exigée par l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

14. La détention provisoire ayant été ordonnée sur le fondement de la saisine du juge des libertés et de la détention par un magistrat qui n'avait pas été régulièrement désigné à cette fin, M. [W] doit être remis en liberté, s'il n'est détenu pour autre cause.

15. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

16. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [W] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

17. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :

- garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, un mandat de recherche ayant été nécessaire pour procéder à son interpellation dans la présente procédure ;

- prévenir le renouvellement de l'infraction, l'intéressé ayant été précédemment condamné pour des faits de violences aggravées ;

- empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices et empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, en ce que les investigations se poursuivent afin d'identifier et interpeller les coauteurs des violences en réunion commises sur deux personnes.

18. Afin d'assurer ces objectifs, M. [W] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

19. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

20. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 16 juin 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. [W] est détenu sans titre dans la présente procédure depuis le 27 mai 2022 ;

ORDONNE la mise en liberté de M. [W] s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [W] ;

DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :

- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département de l'Ille-et-Vilaine ;

- Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer chez Mme [F] [D], [Adresse 1], qu'aux conditions suivantes : chaque jour de 6 heures 00 à 16 heures 00 ;

- Se présenter, dans les deux jours ouvrables de sa libération, et ensuite chaque lundi, mercredi et vendredi à la gendarmerie de Vitré ;

- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer MM. [A] [B], [G] [B], [R] [P], [O] [K] et [N] [W], ainsi que d'entrer en relation de quelque façon que ce soit avec eux ;

DÉSIGNE pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus la gendarmerie de Vitré ;

DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt septembre deux mille vingt-deux.

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