7 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.437

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C300627

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 septembre 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 627 F-D

Pourvoi n° A 21-16.437




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022

M. [L] [Z], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° A 21-16.437 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [J] [R], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à Mme [V] [R], domiciliée [Adresse 1],

3°/ à Mme [H] [R], domiciliée [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Mmes [J], [V] et [H] [R] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [Z], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mmes [J], [V] et [H] [R], après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 10 mars 2021), suivant acte du 29 mai 2009, [K] [P] a vendu une maison d'habitation à M. [Z], moyennant la constitution d'une rente viagère, payable mensuellement.

2. La convention comportait la clause suivante : « A défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de la rente et trente jours après une simple mise en demeure contenant déclaration par le crédirentier de son intention de se prévaloir du bénéfice de la présente clause et restée sans effet, celui-ci aura le droit, si bon lui semble, de faire prononcer en justice la résolution de la présente vente nonobstant l'offre postérieure des arrérages. »

3. Le 22 septembre 2015, arguant du non-paiement de la rente à partir du 1er août 2012, [K] [P] a délivré un commandement de payer visant cette clause, puis assigné M. [Z] pour obtenir la résolution de la vente, le paiement de l'arriéré des rentes, ainsi que des dommages-intérêts.

4. [K] [P] est décédée en cours d'instance et celle-ci a été reprise par Mmes [J], [V] et [H] [R], ses héritières (les consorts [R]).

Examen des moyens Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. M. [Z] fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la clause résolutoire et d'ordonner son expulsion, alors « que les clauses résolutoires doivent exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention ; qu'en retenant que le contrat contenait une clause résolutoire, quand la clause litigieuse se bornait à rappeler que le crédirentier avait la faculté de saisir le juge pour faire prononcer la résolution en cas de non-paiement de la rente, sans énoncer que le contrat était, dans ce cas, résolu de plein droit, la cour d'appel a dénaturé cette clause et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. La clause résolutoire de plein droit, qui permet aux parties de soustraire la résolution d'une convention à l'appréciation des juges, doit être exprimée de manière non équivoque, faute de quoi les juges recouvrent leur pouvoir d'appréciation.

7. Pour constater l'acquisition d'une clause résolutoire, l'arrêt retient que les termes du contrat de rente viagère ne laissent aucune possibilité d'appréciation au juge, même pour des raisons d'équité.

8. En statuant ainsi, alors que la clause avait pour seul objet de permettre au crédirentier de demander en justice le prononcé de la résolution et non de faire constater par le juge, sans pouvoir d'appréciation, cette résolution par sa mise en oeuvre, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Il résulte de l'article 624 du code de procédure civile que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

10. La cassation sur la première branche du premier moyen du pourvoi principal, relatif à la résolution du contrat de vente, s'étend aux chefs de dispositif concernant les indemnités dues aux héritières de la crédirentière et à la demande de dommages et intérêts auxquels peut prétendre le débirentier, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident et sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;

Condamne Mmes [J], [V] et [H] [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [J], [V] et [H] [R] et les condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.








MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour M. [Z] (demandeur au pourvoi principal)

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [Z] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté l'acquisition de la clause résolutoire de l'acte de vente en date du 29 mai 2009 pour défaut de paiement de la rente viagère prévue au contrat de vente à compter du 1er août 2012 et violation des obligations contractuelles du débirentier et ordonné l'expulsion de M. [Z] du bien dont s'agit à savoir une maison située sur la commune d'Olmo en Haute-Corse cadastrée section B[Cadastre 3] consistant dans les lots numéro 1, 2, 3 et 4, ainsi que de tous occupants de son chef ;

ALORS DE PREMIERE PART QUE les clauses résolutoires doivent exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention ; qu'en retenant que le contrat contenait une clause résolutoire, quand la clause litigieuse se bornait à rappeler que le crédirentier avait la faculté de saisir le juge pour faire prononcer la résolution en cas de non-paiement de la rente, sans énoncer que le contrat était, dans ce cas, résolu de plein droit, la cour d'appel a dénaturé cette clause et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

ALORS DE DEUXIEME PART (SUBSIDIAIRE) QU'une clause résolutoire ne peut produire effet si elle est mise en oeuvre de mauvaise foi par le bailleur ; que, dans ses conclusions d'appel, l'exposant a allégué que la clause résolutoire avait été mise en oeuvre de mauvaise foi, d'une part (conclusions d'appel, p. 30, in fine), parce que Mme [M] « s'est abstenue, pendant trois années, de faire état du paiement de la rente viagère pour délivrer ensuite le 22 septembre 2015 un commandement de payer » et, d'autre part (conclusions d'appel, p. 32, § 4), parce que « Mme [M] a fait preuve sur la fin de sa vie d'une particulière mauvaise foi. Il était impossible de soutenir de bonne foi que M. [Z] s'était abstenu de lui payer toute rente de la période allant d'août 2012 à août 2015, alors qu'elle-même a dressé plusieurs reçus sur cette période et a toujours systématiquement déclaré aux impôts l'intégralité des sommes perçues » ; qu'en déclarant, en l'espèce, la clause résolutoire acquise, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause résolutoire avait été mise en oeuvre de bonne foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 alinéa 3 du code civil, dans sa version applicable à la cause ;

ALORS DE TROISIEME PART QU'en retenant, d'un côté, que les attestations de Mme [B] sont cohérentes, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, et démontrent que M. [Z] a réglé la rente en espèces en février 2015 et que Mme [B] s'en est personnellement chargée pour juillet et août 2015 et, d'un autre côté, qu'aucune preuve de paiement n'est apportée pour janvier, mars, avril, mai et juin 2015, quand, dans son attestation du 2 avril 2016, Mme [B] a indiqué avoir prêté de l'argent à M. [Z] pour le paiement des rentes correspondantes, la cour d'appel a dénaturé cette pièce et violé le principe de l'indemnisation faite au juge de dénaturer les documents de la cause.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [Z] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. [Z] tendant à la condamnation des consorts [R] à lui payer la somme de 64 360,98 euros du fait de la résolution au titre des arrérages perçus, ainsi que la partie du prix perçue au comptant ;

ALORS QUE le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire ; qu'en rejetant la demande de l'exposant tendant à modérer la clause pénale, au motif inopérant que ce dernier a demandé à la cour d'écarter totalement le jeu de la clause pénale, ce qui n'entre pas dans les prévisions de l'article 1231-5 du code civil et que cela aurait pour effet de créer une disproportion inverse de celle dont il fait état, quand, saisi d'une demande de modération d'une clause pénale, le juge est tenu de rechercher si celle-ci est manifestement excessive, la cour d'appel a violé l'article 1152 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. Moyen produit par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour Mmes [J], [V] et [H] [R] (demanderesses au pourvoi incident)

Mmes [H], [V] et [J] [R] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté leur demande tendant à la condamnation de M. [Z] au paiement de la somme de 21.684,06 € au titre des rentes viagères dues pour la période du 1er août 2012 au 30 août 2015 à titre de dommagesintérêts ;

ALORS QUE le juge est tenu d'évaluer le préjudice dont il a constaté l'existence en son principe ; qu'en rejetant la demande des consorts [R], aux motifs inopérants que « le montant réclamé [par celles-ci] apparaît excessif » et que « les consorts [R] ne forment pas à titre subsidiaire de demande d'un montant inférieur à la condamnation prononcée par le tribunal » (arrêt attaqué, p. 7, pénult. §), quand elle constatait que « cinq mensualités restaient impayées » (arrêt attaqué, p. 7, pénult. §), la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.

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