15 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-20.244

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00730

Texte de la décision

SOC.

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 juin 2022




Rejet


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 730 F-D

Pourvoi n° T 20-20.244




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JUIN 2022

La société MBL, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 20-20.244 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale prud'hommes), dans le litige l'opposant à Mme [V] [J], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société MBL, après débats en l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 10 juillet 2020), Mme [J] a été engagée le 1er septembre 2013 par la société MBL en qualité de responsable de magasin.

2. Le 30 décembre 2014, elle a été licenciée pour motif économique en raison, selon les énonciations de la lettre de licenciement, de la suppression de son poste, elle-même consécutive à la fermeture du magasin où elle exerçait son emploi.

3. Elle a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, à l'exception de celles ayant débouté la salariée de sa demande de rappel au titre des heures supplémentaires, de dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du défaut d'énonciation du motif économique dans la lettre de licenciement, de le condamner à payer à la salariée des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en application de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors :

« 1°/ qu'est suffisamment motivée la lettre de licenciement par laquelle l'employeur informe son salarié de la fermeture de l'établissement au sein duquel il occupait son emploi et de la suppression corrélative de ce dernier ; qu'en jugeant que la lettre de licenciement, si elle visait l'élément matériel, à savoir la suppression de l'emploi, et l'élément causal, à savoir la fermeture de l'établissement, était insuffisamment motivée comme ne précisant pas la raison ayant présidé à la fermeture de l'établissement, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3, dans sa version issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, et L. 1233-16 alinéa 1er, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, du code du travail ;

2°/ que l'existence de difficultés économiques constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'employeur affirmait avoir rencontré des difficultés économiques et précisait que la perte significative du chiffre d'affaires entre 2010 et 2014 avait justifié la fermeture du magasin de [Localité 2] ; qu'il avait au surplus sollicité la confirmation du jugement et était ainsi réputé, en application de l'article 954 du code de procédure civile, s'en approprier les motifs selon lesquels « la société MBL rencontrait depuis quelques années des difficultés de résultat du chiffre d'affaires ; qu'elle le démontre en produisant des bilans comptables : - 2009 : +52 K€ ; - 2010 : - 12 K€ ; - 2011 : - 25,4 K € ; - 2012 : - 45 K€ ; - 2013 : - 91 K € ; Qu'au vu de tels éléments comptables le conseil ne peut que constater les difficultés que rencontrait la société qui a dû revendre tout son stock de marchandises pour 155 493 €. Même si, pour l'année 2014, la société sort un exercice comptable positif de 7 831,93 €, or exceptionnellement, le bilan affiche une nouvelle perte de résultat à hauteur de 147 700 € » ; que pour dire que les difficultés économiques n'étaient pas avérées, la cour d'appel s'est bornée à relever que le compte de résultat de l'année 2014 mentionnait un bénéfice de 7 832 euros en raison de l'abandon d'un compte courant d'associé à hauteur de 155 000 euros ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur les différents éléments invoqués par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 ;

3°/ que les juges ne peuvent pas dénaturer les termes du litige tels qu'ils sont définis par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le périmètre d'appréciation de la cause économique était restreint à la société MBL ; qu'en appréciant l'existence de la cause économique au regard du groupe auquel appartiendrait la société MBL, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et partant a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le périmètre d'appréciation de la cause économique était restreint à la société MBL ; qu'en soulevant d'office le moyen tiré de l'appréciation de la cause économique au niveau du groupe de la société MBL, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ que l'existence des difficultés économiques s'apprécie au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée ; qu'en l'espèce, pour dire que les difficultés économiques à l'origine de la fermeture de l'établissement au sein duquel la salariée exerçait son emploi n'étaient pas avérées, la cour d'appel s'est bornée à relever que le capital social de la société MBL était détenu à 99,40 % par la société Big Bazar Béthunois, dont la santé économique était florissante, que leur siège social était identique et qu'elles étaient gérées par des membres de la famille [F] ; qu'en ne constatant pas que les deux sociétés appartenaient au même secteur d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007. »

Réponse de la Cour

5. La seule fermeture d'un établissement ne peut constituer une cause économique de licenciement que si elle est justifiée par des difficultés économiques ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Le défaut de motivation de la lettre prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

6. La cour d'appel, qui a relevé que la lettre de licenciement se bornait à faire état de la suppression du poste du salarié résultant de la fermeture du magasin situé à Valenciennes, en a exactement déduit que cette cessation d'activité, qui ne représentait qu'une partie des activités de l'employeur, ne pouvait à elle seule constituer un motif économique de licenciement, dès lors qu'il n'était pas fait mention dans la lettre de licenciement de difficultés économiques ou d'une réorganisation de l'entreprise liée à cette situation.

7. Ayant ensuite retenu que le défaut de motivation de la lettre de licenciement privait celui-ci de cause réelle et sérieuse, elle a, par ces seuls motifs, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société MBL aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MBL ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société MBL

La société MBL fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant débouté la salariée de sa demande de rappel au titre des heures supplémentaires, d'AVOIR statuant à nouveau, dit que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du défaut d'énonciation du motif économique dans la lettre de licenciement, d'AVOIR condamné la société MBL à payer à la salariée une somme de 13 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné l'employeur à payer à la salariée une somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, d'AVOIR condamné l'employeur aux dépens de première instance et d'appel ;

1°) ALORS QU'est suffisamment motivée la lettre de licenciement par laquelle l'employeur informe son salarié de la fermeture de l'établissement au sein duquel il occupait son emploi et de la suppression corrélative de ce dernier ; qu'en jugeant que la lettre de licenciement, si elle visait l'élément matériel, à savoir la suppression de l'emploi, et l'élément causal, à savoir la fermeture de l'établissement, était insuffisamment motivée comme ne précisant pas la raison ayant présidé à la fermeture de l'établissement, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3, dans sa version issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, et L. 1233-16 alinéa 1er, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, du code du travail ;

2°) ALORS QUE l'existence de difficultés économiques constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'employeur affirmait avoir rencontré des difficultés économiques et précisait que la perte significative du chiffre d'affaires entre 2010 et 2014 avait justifié la fermeture du magasin de [Localité 2] (conclusions d'appel de l'exposante p. 5 et p. 6 ; productions n° 5 à 12) ; qu'il avait au surplus sollicité la confirmation du jugement et était ainsi réputé, en application de l'article 954 du code de procédure civile, s'en approprier les motifs selon lesquels « la société MBL rencontrait depuis quelques années des difficultés de résultat du chiffre d'affaires ; qu'elle le démontre en produisant des bilans comptables : - 2009 : +52 K€ ; - 2010 : - 12 K€ ; - 2011 : - 25,4 K € ; - 2012 : - 45 K€ ; - 2013 : - 91 K € ; Qu'au vu de tels éléments comptables le conseil ne peut que constater les difficultés que rencontrait la société qui a dû revendre tout son stock de marchandises pour 155 493 €. Même si, pour l'année 2014, la société sort un exercice comptable positif de 7 831,93 €, or exceptionnellement, le bilan affiche une nouvelle perte de résultat à hauteur de 147 700 € » (jugement p.4) ; que pour dire que les difficultés économiques n'étaient pas avérées, la cour d'appel s'est bornée à relever que le compte de résultat de l'année 2014 mentionnait un bénéfice de 7 832 euros en raison de l'abandon d'un compte courant d'associé à hauteur de 155 000 euros ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur les différents éléments invoqués par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 ;

3°) ALORS QUE les juges ne peuvent pas dénaturer les termes du litige tels qu'ils sont définis par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le périmètre d'appréciation de la cause économique était restreint à la société MBL (conclusions d'appel adverses p.6 ; conclusions d'appel de l'exposante p.4 à 6) ; qu'en appréciant l'existence de la cause économique au regard du groupe auquel appartiendrait la société MBL, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et partant a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le périmètre d'appréciation de la cause économique était restreint à la société MBL ; qu'en soulevant d'office le moyen tiré de l'appréciation de la cause économique au niveau du groupe de la société MBL, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE l'existence des difficultés économiques s'apprécient au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée ; qu'en l'espèce, pour dire que les difficultés économiques à l'origine de la fermeture de l'établissement au sein duquel la salariée exerçait son emploi n'étaient pas avérées, la cour d'appel s'est bornée à relever que le capital social de la société MBL était détenu à 99,40 % par la société Big Bazar Béthunois, dont la santé économique était florissante, que leur siège social était identique et qu'elles étaient gérées par des membres de la famille [F] ; qu'en ne constatant pas que les deux sociétés appartenaient au même secteur d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007.

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