25 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.129

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00629

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Cassation partielle


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 629 F-D

Pourvoi n° E 21-13.129

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [V].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 MAI 2022

M. [L] [V], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 21-13.129 contre l'arrêt rendu le 24 septembre 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sud-Est télécom Réunion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société [G], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], représentée par M. [F] [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sud-Est télécom Réunion,

3°/ à l'AGS CGEA de La Réunion, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Laplume, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Laplume, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 24 septembre 2019), M. [V] a été engagé par la société Sud-Est télécom Réunion, à compter du 2 mai 2013, comme technicien polyvalent.

2. Le 1er octobre 2014, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail.

3. Par jugement du 4 octobre 2019, l'employeur a été placé en liquidation judiciaire et la société [G] désignée en qualité de liquidateur.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission, et de le débouter de ses demandes tendant à la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail, une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct, alors « que le fait que l'employeur a, à plusieurs reprises, prononcé à l'encontre d'un salarié des sanctions disciplinaires injustifiées permet de présumer l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur à l'égard de ce salarié, peu important que le salarié n'ait émis aucune contestation de ces sanctions avant l'instance judiciaire au cours de laquelle il en a critiqué le bien-fondé et n'ait produit aucun élément de preuve contraire aux allégations de son employeur ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir qu'il ne résultait pas des éléments qui lui étaient soumis la réalité de faits de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de M. [V], que si une accumulation de sanctions injustifiées est un fait de nature à faire présumer un harcèlement moral, il n'en est pas de même lorsque le salarié n'a émis aucune contestation avant l'instance judiciaire et ne produit aucun élément contraire et qu'en l'espèce, les sanctions étaient injustifiées du fait de la seule carence probatoire de l'employeur alors même que les attestations produites par la société Sud-Est télécom Réunion établissaient un comportement relevant du domaine disciplinaire, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Il résulte de ces textes que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

6. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral, dire que la prise d'acte produit les effets d'une démission, et débouter le salarié de ses demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice distinct, l'arrêt retient que, si une accumulation de sanctions injustifiées est un fait de nature à faire présumer un harcèlement moral, il n'en est pas de même lorsque le salarié n'a émis aucune contestation avant l'instance judiciaire et ne produit aucun élément contraire.

7. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé les textes sus visés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros au titre des sanctions injustifiées, l'arrêt rendu le 24 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée ;

Condamne la société [G] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sud-Est télécom Réunion aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [G] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sud-Est télécom Réunion à payer à la SCP Yves et Blaise Capron la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour M. [V]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la prise d'acte par M. [L] [V] de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission et D'AVOIR débouté M. [L] [V] de ses demandes tendant à la condamnation de la société Sud Est télécom Réunion à lui payer la somme de 1 506,08 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 150,61 bruts euros au titre des congés payés sur préavis, la somme de 301,22 bruts euros à titre d'indemnité de licenciement, la somme de 9 036,48 bruts euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et la somme de 3 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

ALORS QUE, de première part, le fait que l'employeur a, à plusieurs reprises, prononcé à l'encontre d'un salarié des sanctions disciplinaires injustifiées permet de présumer l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur à l'égard de ce salarié ; qu'en retenant, en l'espèce où M. [L] [V] invoquait l'existence d'un harcèlement moral commis à son encontre, constitué par le prononcé par son employeur de plusieurs sanctions disciplinaires injustifiées, qu'il ne résultait pas des éléments qui lui étaient soumis la réalité de faits de nature à faire présumer l'existence du harcèlement moral à l'égard de M. [L] [V], quand elle relevait que la société Sud Est télécom Réunion avait prononcé à l'encontre de M. [L] [V] un avertissement le 10 juillet 2014, une mise à pied disciplinaire et un autre avertissement le 30 septembre 2014 et quand elle retenait que chacune de ces trois sanctions disciplinaires était injustifiée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et appréciations et a violé les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS QUE, de deuxième part et à titre subsidiaire, le fait que l'employeur a, à plusieurs reprises, prononcé à l'encontre d'un salarié des sanctions disciplinaires injustifiées constitue, en lui-même, une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel au sens des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir qu'il ne résultait pas des éléments qui lui étaient soumis la réalité de faits de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de M. [L] [V], que M. [L] [V] ne faisait état d'aucune « dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » selon les termes de l'article L. 1152-1 du code du travail et invoquait une multitude de reproches préalables aux sanctions mais ne précisait pas la nature de ceux-ci et ne produisait aucun élément pour en justifier, quand elle constatait que M. [L] [V] invoquait les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre par son employeur comme constitutives de faits de harcèlement moral commis à son encontre et quand elle retenait que chacune de ces sanctions disciplinaires était injustifiée, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS QUE, de troisième part et à titre également subsidiaire, le fait que l'employeur a, à plusieurs reprises, prononcé à l'encontre d'un salarié des sanctions disciplinaires injustifiées permet de présumer l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur à l'égard de ce salarié, peu important que le salarié n'ait émis aucune contestation de ces sanctions avant l'instance judiciaire au cours de laquelle il en a critiqué le bien-fondé et n'ait produit aucun élément de preuve contraire aux allégations de son employeur ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir qu'il ne résultait pas des éléments qui lui étaient soumis la réalité de faits de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de M. [L] [V], que si une accumulation de sanctions injustifiées est un fait de nature à faire présumer un harcèlement moral, il n'en est pas de même lorsque le salarié n'a émis aucune contestation avant l'instance judiciaire et ne produit aucun élément contraire et qu'en l'espèce, les sanctions étaient injustifiées du fait de la seule carence probatoire de l'employeur alors même que les attestations produites par la société Sud Est télécom Réunion établissaient un comportement relevant du domaine disciplinaire, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la prise d'acte par M. [L] [V] de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission et D'AVOIR débouté M. [L] [V] de ses demandes tendant à la condamnation de la société Sud Est télécom Réunion à lui payer la somme de 1 506,08 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 150,61 bruts euros au titre des congés payés sur préavis, la somme de 301,22 bruts euros à titre d'indemnité de licenciement, la somme de 9 036,48 bruts euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 3 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

ALORS QUE le contrat de travail comporte pour l'employeur l'obligation de fournir du travail au salarié, même lorsque celui-ci est arrivé en retard à son travail, à moins que l'employeur n'ait prononcé, pour cette raison, la mise à pied disciplinaire du salarié ; qu'en énonçant, dès lors, au sujet du grief invoqué par M. [L] [V] tenant à ce que son employeur lui avait interdit, le 30 septembre 2014, l'accès à son poste de travail, pour dire que la prise d'acte par M. [L] [V] de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission, que M. [L] [V] ne donnait aucune précision sur les circonstances et la cause de l'incident du 30 septembre 2014 alors que la société Sud Est télécom Réunion expliquait, sans être contredite, que, le salarié étant arrivé en retard, son binôme était déjà parti avec le véhicule, si bien qu'elle n'avait plus de mission à lui confier, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1221-1 et L. 1231-1 du code du travail et de l'article 1134 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, qui sont applicables à la cause.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.