10 mai 2022
Cour d'appel d'Agen
RG n° 20/01000

CHAMBRE SOCIALE

Texte de la décision

ARRÊT DU

10 MAI 2022



PF/CO**



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N° RG 20/01000 -

N° Portalis DBVO-V-B7E-C23T

-----------------------





[U] [K]





C/





[F] [H] [S]





-----------------------











Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n°47 /2022







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale







Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le dix mai deux mille vingt deux par Benjamin FAURE, conseiller faisant fonction de président assisté de Chloé ORRIERE, greffier



La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire



ENTRE :



[U] [K]

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me Valérie LACOMBE, avocat inscrit au barreau d'AGEN







APPELANT d'un jugement du conseil de prud'hommes - formation paritaire de MARMANDE en date du 10 décembre 2020 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 20/00051



d'une part,



ET :



[F] [H] [S]

né le 29 avril 1995 à [Localité 3] (PORTUGAL)

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Yann DELBREL, avocat inscrit au barreau d'AGEN



(bénéficiaire d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/001413 du 07/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'AGEN)





INTIMÉ



d'autre part,





A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 08 mars 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assistée de Chloé ORRIERE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré rendu compte à la cour composée, outre lui-même, de Elisabeth SCHELLINO, présidente de chambre et Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.






* *

*

FAITS ET PROCÉDURE :



Selon contrat à durée indéterminée du 26 mars 2019, M. [F] [S] a été embauché par Monsieur [U] [K] en qualité de bûcheron, catégorie ouvrier, niveau 1, coefficient 100, échelon A de la classification fixée par la convention collective des exploitations forestières du massif de Gascogne (IDCC 8721).



[F] [G] [E] a été placé en arrêt-maladie à compter du 17 décembre 2019, reconduit jusqu'au 10 février 2020.



Par courrier du 5 mars et 25 mars 2020, [F] [S] a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail au motif que son employeur ne lui confiait plus de travail depuis le 10 février 2020 et ne lui versait plus de salaire.



Par courrier recommandé du 4 mai 2020, Maître [J], avocat de [F] [S], a mis [U] [K] en demeure d'indiquer à son client les tâches qui lui étaient assignées, de lui fournir un planning précis de reprise immédiate d'activité, de reprendre le paiement de ses salaires avec effet rétroactif à compter du 29 janvier 2020 et de lui communiquer l'intégralité de ses bulletins de salaire depuis le mois de décembre 2019.



Par courrier recommandé du 15 septembre 2020, [F] [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :



' (...)

Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 26 mars 2019, j'ai été recruté par vos soins en qualité de bûcheron...



J'ai été placé en arrêt maladie à compter du 17 décembre 2019 et jusqu'au 10 février 2020 .



Je n'ai jamais passé de visite de reprise et vous ne m'avez plus confié depuis cette date aucun travail, alors que je vous ai demandé plusieurs fois vos consignes quant à ma reprise d'activité et à l'organisation de mon planning.



Plusieurs courriers vous ont été adressés, y compris par mon avocat, sans que jamais vous ne preniez clairement position quant à ma situation au sein de votre entreprise.



Depuis la fin de mon arrêt de travail, je ne perçois plus de salaire.



A ce jour votre dette salariale s'élève à plusieurs milliers d'euros.



Ces faits inacceptables dont la responsabilité vous incombe entièrement me contraignent à vous notifier la présente prise d'acte de la rupture de mon contrat de travail.

Cette rupture vous est entièrement imputable puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles de l'employeur .'



Le 22 octobre 2020 [F] [S] a saisi le conseil des prud'hommes de Marmande pour solliciter, dans le dernier état de ses écritures, que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail soit analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que [U] [K] soit condamné à lui payer un rappel de salaire et de congés payés afférents ainsi que des indemnités de rupture.



Convoqué devant le bureau de jugement par le secrétariat greffe du conseil des prud'hommes de Marmande, [U] [K] n'a pas comparu et n'a pas constitué avocat.



Par jugement en date du 10 décembre 2020, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, le conseil des prud'hommes de Marmande, faisant droit à l'intégralité des demandes de [F] [S], a :



1°) condamné [U] [K] à payer à [F] [S] la somme de 10'851,57 € bruts à titre de rappel de salaire et celle de 1085,15 € bruts au titre des congés payés afférents ;



2°) dit et jugé que la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse et a condamné [U] [K] à payer à [F] [S] la somme de 651,75 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat de travail, celle de 1738 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, celle de 173 € au titre des congés payés sur préavis, celle de 3476 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes et capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;



3°) condamné [U] [K] à remettre à [F] [S] un bulletin de paye recapitulatif, un certificat de travail rectifié et une attestation Pôle Emploi rectifiée, et ce dans les 15 jours de la notification du jugement sous astreinte de 50 € par jours de retard et par document, en se réservant la liquidation de l'astreinte ;



4°) condamné [U] [K] aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 1000 €.



Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 21 décembre 2020, [U] [K] a relevé appel de l'intégralité des dispositions du jugement, expressément énumérés dans la déclaration d'appel.



Par ordonnance du 21 octobre 2021, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation de l'affaire du rôle et a débouté [U] [K] de sa demande de consignation des sommes versées sur un compte Carpa séquestre.



La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 6 janvier 2022.





MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :





I. Moyens et prétentions de [U] [K], appelant



Selon écritures enregistrées au greffe de la cour le 3 mars 2021, [U] [K] conclut à l'infirmation de l'intégralité des dispositions du jugement entrepris et demande à la cour :



1°) de juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission dès lors :



- que [F] [S] a été en absence injustifiée du 2 mars 2020 au 15 septembre 2020 ;



- que le conseil des prud'hommes de Marmande n'a pas jugé utile de réouvrir les débats alors que son conseil avait demandé par correspondance du 17 novembre 2020 la réouverture des débats et qu'il n'a statué qu'à l'aune des écritures et pièces du demandeur ;



- que la motivation du conseil des prud'hommes est contraire au principe de la bonne foi contractuelle dès lors que l'obligation principale du salarié est de travailler et que [F] [S], coutumier de nombreuses absences injudtifiées fin 2019, a été en absence injustifiée après la fin de son arrêt-maladie, du 2 mars 2020 au 15 septembre 2020 ;



- que ses collègues de travail attestent qu'il ne s'est pas présenté au travail le 2 mars 2020 et qu'il travaille pour le compte d'un autre employeur depuis lors ;



2°) de débouter [F] [S] de l'ensemble de ses prétentions en exposant que la prise d'acte produisant les effets d'une démission, les demandes du salarié traduisent seulement l'intention de battre monnaie,



3°) de condamner [F] [S] aux dépens et au payement d'une indemnité de procédure de 2 500 euros.





II. Moyens et prétentions de [F] [I], intimé



Selon écritures enregistrées au greffe de la cour le 26 mai 2021, [F] [I] conclut à la confirmation de l'intégralité des dispositions du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelant aux dépens et à lui payer une indemnité de procédure de 2500 euros en faisant valoir :



- que les salaires impayés après le 10 février 2020 s'élèvent à 10 851,57 euros et qu'il est fondé à en obtenir payement, majoré des congés payés afférents ;



- que la prise d'acte ne peut s'analyser que comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour absence de fourniture de travail et de payement du salaire, lui ouvrant droit aux indemnités qui lui ont été alloués par les premiers juges.






MOTIFS DE L'ARRÊT :





I. SUR LA PRISE D'ACTE DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL



A titre liminaire, il convient de rappeler :



- que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiait, respectivement d'un licenciement nul si ces faits sont constitutifs de harcèlement moral ou sexuel, soit, dans le cas contraire d'une démission ;



- que les faits invoqués doivent non seulement être établis par le salarié, sur qui pèse la charge de la preuve, mais constituer des manquements suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail ;

En l'espèce, dans sa lettre notifiant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et dans ses écritures, [F] [I] reproche à son employeur de ne pas lui avoir fourni de travail après la fin de son arrêt-maladie et de ne plus lui avoir réglé son salaire à compter de la même date.



Ces griefs sont parfaitement fondés dès lors :



- que l'employeur a pour obligation de fournir au salarié le travail convenu et qu'il lui appartient de justifier qu'il a mis à la disposition du salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il a été engagé, mais aussi le cas échéant de rapporter la preuve du refus du salarié de se tenir à sa disposition ou d'accomplir le travail ;



- que si l'employeur invoque de multiples absences injustifiées du salarié en 2019, force est de constater qu'il n'a engagé aucune procédure disciplinaire à ce sujet ;



- qu'après la fin du congé-maladie de [F] [I], le 10 février 2020, le contrat de travail qui liait les parties s'est poursuivi et que l'employeur était tenu de fournir du travail au salarié ou s'il souhaitait mettre un terme à la relation contractuelle d'engager une procédure de licenciement ;



- que l'employeur invoque l'abandon de poste de [F] [I], mais qu'il n'a jamais mis le salarié en demeure de justifier de son absence ou de reprendre le travail ;



- que l'employeur n'a pas davantage provoqué la visite médicale de reprise et n'a engagé aucune procédure de licenciement pour abandon fautif de poste.



Pour s'opposer néanmoins à la demande, [U] [K] soutient que c'est de propos délibéré que le salarié a cessé toute activité, après avoir trouvé un autre emploi, et non pas parce qu'il l'aurait placé dans l'impossibilité de la poursuivre.



Pour écarter ces moyens et dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation contractuelle, il suffira de relever :



- que ces allégations sont contredites par les courriers du salarié du 5 mars et du 25 mars, faisant état de l'impossibilité de joindre l'employeur et de la volonté du salarié d'être éclairé sur les intentions de l'employeur à son égard, respectivement de recevoir un planing de travail ;



- que ces courriers démontrent que [F] [I] se tenait à la disposition de son employeur et que dès lors l'employeur, qui n'a jamais mis le salarié en demeure de reprendre le travail, ne peut utilement lui reprocher d'avoir travaillé au service d'un autre employeur, une 'casse automobile' comme le mentionnent diverses attestations, ce comportement s'expliquant par la carence fautive de l'employeur.



Par suite, il est ainsi suffisament établi que [U] [K] a manqué à son obligation contractuelle de fournir à [F] [I] le travail pour lequel il avait été embauché et que s'agissant d'une obligation essentielle de l'employeur, sa violation rend impossible la poursuite du contrat de travail et justifie que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.



II. SUR LE RAPPEL DE SALAIRE



La rupture du contrat de travail qui liait les parties prenant effet à la date de la notification par le salarié de la prise d'acte de cette rupture à l'employeur, ce dernier est tenu de régler à [F] [I] l'intégralité des salaires pour l'ensemble de la période durant laquelle il ne lui a pas fourni de travail, soit la somme non discutée dans son montant de 10851,57 euros, bruts.



Par suite il y a lieu de confirmer la condamnation de [U] [K] à payer à [F] [I] la somme de 10 851, 57 euros, bruts, à titre de rappel de salaire pour la période du 11 février au 14 septembre 2020, celle de 1085,15 euros au titre des congés payés afférents, et à lui délivrer un bulletin de salaire rectificatif, conforme au présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification de l'arrêt.



III. SUR LES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL



La prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, [F] [I] est en droit d'obtenir payement d'une indemnité de licenciement et d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.



Compte tenu de son ancienneté de 17 mois, de la moyenne de son salaire mensuel brut de 1738 euros pour les 3, respectivement les 12 derniers mois de travail, et des dispositions de l'article R. 1234-2 du code du travail l'indemnité légale de licenciement due à [F] [I] a été justement chiffrée à (1738 x 1/4 =) 651,75 euros. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a condamné [U] [K] à lui payer cette indemnité.



Par ailleurs, en application des dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail il est dû à [F] [I] une indemnité compensatrice du préavis qu'il n'a pu exécuter du fait de son employeur, égale à un mois de salaire brut, soit 1738 euros, ainsi qu'une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis de 173,80 euros, que [U] [K] doit payer, dans la limite pour cette dernière du montant de 173 euros mentionnée par le salarié dans ses écritures. Le jugement entrepris sera donc également confirmé de ces chefs.



Enfin, [F] [I] est fondé à obtenir, sur le fondement de l'article 1235-3 du code du travail, payement de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail dont le montant sera fixé à une somme égale à un mois de salaire, soit 1738 euros, bruts.



IV. SUR LES FRAIS NON-RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS



[U] [K], qui succombe, ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.



L'équité justifie l'allocation à [F] [I] d'une indemnité de procédure de 1500 euros.





PAR CES MOTIFS :



La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,



INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions condamnant [U] [K] à payer à [F] [I] une somme de 3476 euros à titre de dommages et intérêts ;



statuant à nouveau de ce chef,



CONDAMNE [U] [K] à payer à [F] [I] le somme de 1738 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de travail ;



CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;



et y ajoutant,



DÉBOUTE [U] [K] de sa demande en payement d'une indemnité de procédure ;



CONDAMNE [U] [K] à payer à [F] [I] une indemnité de procédure de 1500 euros ;



CONDAMNE [U] [K] aux entiers dépens d'appel.



Le présent arrêt a été signé par Benjamin FAURE, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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