26 juin 1997
Cour d'appel de Versailles
RG n° 1995-8297

Texte de la décision

Suivant contrat en date du 05 avril 1993, la société SIOTA, qui commercialise des imprimés, matériels et consommables pour la communication, ainsi que tous produits liés à la bureautique, a engagé Madame Martine X... dite Martine Y... (ci-après désignée Madame Y...) en qualité d'agent commercial, ledit contrat étant expressément soumis à la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 16 juin 1994, Madame Y... a informé la société SIOTA de son intention de cesser ses activités à l'issue d'un préavis de deux mois.

Sur communication par la société SIOTA d'éléments comptables, Madame Y... a, par ailleurs, émis deux factures relatives aux commissions qu'elle estimait lui être dues au titre des mois de juin, juillet et août 1994 et ce, pour un montant total de 133.514,37 francs.

Ces factures étant demeurées impayées, à l'exception d'un acompte de 30.000 francs, Madame Y... après avoir vainement adressé une mise en demeure à la société SIOTA, a saisi le juge des référés pour obtenir paiement à titre provisionnel de la somme de 103.514,37 francs.

Par ordonnance en date du 15 Novembre 1994, ce magistrat a ordonné la consignation par la société SIOTA de la somme de 80.000 francs mais a rejeté le surplus de la réclamation de Madame Y..., eu égard à la contestation soulevée par la société SIOTA qui faisait valoir notamment que l'intéressée avait, de manière déloyale, rompu le contrat et qu'elle avait de surcroît commis des agissements anti-concurrentiels.

A la suite de cette décision, les parties se sont volontairement présentées devant le juge du fond et la société SIOTA a formé, pour les motifs susénoncés, une demande reconventionnelle à hauteur de 1.500.000 francs. *

Par jugement en date du 13 juin 1995, auquel il est renvoyé pour plus

ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a condamné, avec exécution provisoire, la société SIOTA à payer à Madame Y... la somme de 103.514,37 francs avec intérêts de droit à compter du 18 octobre 1994, date de la mise en demeure, outre une indemnité de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et rejeté les autres réclamations des parties. *

Appelante de cette décision, la société SIOTA fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les faits de la cause et les règles de droit qui leur sont applicables. A cet égard, elle fait valoir que le Tribunal a retenu à tort que Madame Y... était propriétaire de la clientèle et déduit de là, toujours à tort, que la responsabilité de l'agent commercial ne pouvait être engagée tant au titre de la rupture de contrat que pour avoir, concomitamment et par l'entremise d'une société qu'elle venait de créer, démarché ladite clientèle. Elle estime au contraire que l'agent commercial n'a aucun droit de propriété sur la clientèle qu'il développe dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun et que la clause de style, insérée dans le préambule du contrat, n'est d'aucune influence en l'espèce d'autant que Madame Y... se trouve dans l'incapacité totale de démontrer qu'elle était titulaire d'une quelconque clientèle avant la signature de la convention. Elle en tire pour conséquence que Madame Y... a fait preuve de déloyauté à son égard en rompant le contrat pour créer, avant même la fin du préavis, une société concurrente et en adressant, toujours pendant la même période, des lettres circulaires à la clientèle pour l'informer de ses nouvelles activités. Elle voit aussi dans ces agissements, nonobstant toute clause de non concurrence, des agissements anti-concurrentiels. Elle réclame en conséquence en réparation sur le fondement de l'article 2007 de Code Civil dont l'application n'est pas, selon elle, incompatible avec le

statut spécifique d'agent commercial et au titre de la concurrence déloyale, la somme de 1.500.000 francs, l'appelante incluant également dans cette réparation qu'elle base sur ses résultats comptables, un détournement de matériel d'une valeur de 8.024,48 francs dont elle tient Madame Y... pour responsable.

Elle sollicite enfin une indemnité de 35.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. [*

Madame Y... réfute point par point l'argumentation adverse et conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement déféré par adoption de motifs en ce qu'il a condamné la société SIOTA à lui payer l'arriéré de ses commissions avec intérêts de droit et rejeté l'ensemble des prétentions de ladite société.

En revanche, elle demande, dans le cadre d'un appel incident, que la société SIOTA qui cherche, selon elle, à s'affranchir du contrat par des moyens fallacieux, soit condamnée à lui payer la somme de 100.000 francs en réparation, ainsi qu'une somme du même montant en raison du caractère abusif et vexatoire de la procédure. Elle lui réclame aussi une indemnité de 35.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. *]

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur l'arriéré de commission

Considérant que la demande en paiement formée par Madame Y... est assise sur les éléments comptables qui lui ont été fournis par la société SIOTA ; qu'elle est conforme aux prévisions du contrat ; qu'elle ne fait au demeurant l'objet d'aucune contestation de la part de l'appelante ; que le jugement dont appel sera, dès lors, confirmé en ce qu'il a condamné la société SIOTA à payer à Madame Y..., à titre d'arriérés de commission, la somme de 103.514,37 francs, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 1994,

date de la mise en demeure ;

- Sur la rupture du contrat d'agent commercial

Considérant que les premiers juges ont retenu : que le contrat est régi par la loi du 25 juin 1991 ; qu'il comporte un préambule précisant que Madame Y... "compte-tenu des relations créées et acquises dans sa clientèle, estime avoir les moyens de diffuser dans cette clientèle les produits du mandant" ; que le taux de commission prévu par le contrat est de 2/3 de la marge brute définie comme prix de vente H.T. moins prix d'achat H.T. ; qu'il est constant que Madame Y... n'a jamais diffusé les produits SIOTA auprès des clients traditionnels de celle-ci ; que le taux de commission, inhabituellement élevé, renforce les termes du préambule; que la société SIOTA ne saurait alléguer le fait que Madame Y... n'était pas précédemment agent commercial, mais cadre commercial au sein de sociétés productrices des produits diffusés, pour justifier l'absence d'une clientèle préalable, et ce, contrairement aux termes du préambule" ; que le tribunal a déduit de là que "la clientèle appartenait à Madame Y... et que celle-ci l'a exploitée au profit de la société SIOTA pendant la durée du contrat" ;

Mais considérant que cette analyse, qui méconnait à la fois la notion de propriété de la clientèle et la présomption légale selon laquelle les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun de deux parties, ne saurait être suivie ;

Considérant tout d'abord que le paragraphe précité du préambule de la convention du 05 avril 1993 constitue une simple clause de style rencontrée dans de nombreux contrats d'agents commerciaux, qui n'établit en rien la réalité et les contours du droit de propriété allégué sur la clientèle ; qu'au contraire, il apparaît des pièces des débats que Madame Y... a successivement travaillé pour la

société MOBUTIL, de février 1990 à novembre 1991, puis pour la société COPADIP de juin à septembre 1992, en qualité d'attachée commerciale et qu'elle est restée sans emploi d'octobre 1992 jusqu'à son entrée dans la société SIOTA ; qu'on voit mal, dans ces conditions, comment elle pourrait prétendre à la propriété d'une clientèle qu'elle n'a exploitée que pour le compte de précédents employeurs et dans le cadre d'une relation salariale, même si elle a noué des relations personnelles fortes avec une partie de cette clientèle, comme en font foi les attestations qu'elle verse aux débats et que cette connaissance approfondie de ladite clientèle a pu influer sur le taux de commissionnement qui lui a été consenti ; que, de même, l'obligation économique faite à Madame Y..., en vertu de son statut d'agent commercial, de développer une clientèle dans l'intérêt commun des deux parties, explique et justifie en soi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, qu'elle ait diffusé les produits de son mandant auprès de nouveaux clients qu'elle était, pour les motifs susindiqués, susceptibles d'approcher, plutôt qu'auprès des anciens qui étaient normalement gérés par la société SIOTA, soit directement soit par l'entremise d'autres agents ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu, pour asseoir leur motivation, que la clientèle appartenait à Madame Y... et que celle-ci l'a exploitée au profit de la société SIOTA pendant la durée du contrat ;

Considérant de même que c'est à tort que le Tribunal a écarté l'application en l'espèce des dispositions de l'article 2007 du Code Civil, motif pris que "la loi du 25 juin 1991, pas plus que la directive européenne du 18 décembre 1986, n'envisagent d'indemnisation du mandant en cas de rupture du contrat par le mandataire" ; qu'en effet, si les dispositions spécifiques dont s'agit organisent les relations qu'entretiennent, dans le cadre du

mandat d'intérêt commun d'agent commercial, le mandant et sa mandataire, et autorisent, sous certaines conditions, la rupture du contrat par la mandataire, elles n'excluent pas pour autant le recours à la règle générale posée par l'article 2007 du Code Civil qui prévoit que "le mandataire peut renoncer au mandat en notifiant au mandant sa renonciation (mais que) néanmoins, si cette renonciation préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire ..." ; que toutefois, cette règle ne peut trouver application qu'autant qu'il soit établi que la mandataire a rompu de manière abusive ou déloyale le contrat et qu'il en est résulté un préjudice pour le mandant ;

Considérant que la société SIOTA fait valoir que Madame Y... a mis à profit la période de préavis pour créer une société PLESTO qui distribue le même type de produits qu'elle-même et que, toujours avant la fin de son contrat, elle a envoyé des lettres circulaires à la future clientèle de la société PLESTO, qu'elle ajoute que, pendant les derniers mois, Madame Y... n'a pas consacré tous ses soins à son activité d'agent commercial comme le traduisent les résultats comptables et qu'elle a oeuvré essentiellement pour la nouvelle société qu'elle venait de créer ; qu'elle déduit de là que Madame Y... a failli à l'obligation de loyauté à laquelle elle était tenue et qu'elle a, de surcroît commis des agissements anti-concurrentiels que les premiers juges n'ont pas, à tort, voulu prendre en compte, au motif essentiel que le contrat ne comportait pas de clause de non concurrence et que Madame Y... n'a envoyé les lettres circulaires qu'à sa propre clientèle ;

Mais considérant que si, même en l'absence d'interdiction contractuelle expresse, l'agent doit s'abstenir de concurrencer son mandant, cette obligation n'étant que la traduction de l'obligation de loyauté et de bonne foi inhérente au mandat, encore faut-il que

les agissements dénoncés constituent de véritables actes de concurrence ;

Considérant qu'en l'espèce, le fait pour Madame Y... d'avoir, en fin de contrat, participé à la création de la société PLESTO dont Monsieur Claude Z... est devenu le gérant, ne saurait constituer en lui-même un acte déloyal ou traduire un comportement anti-concurrentiel ; qu'il n'en irait autrement que si Madame Y... avait, alors qu'elle était encore dans les liens de son contrat, participé activement à la marche de cette société, preuve qui n'est nullement rapportée en l'espèce si ce n'est par voie d'affirmation ; qu'en effet, comme l'ont relevé les premiers juges, les chiffres fournis par la société SIOTA ne permettent pas d'établir que Madame Y... n'aurait pas consacré toute son énergie à l'exécution du contrat pendant la période de préavis, la baisse du chiffre d'affaires réalisé par Madame Y... pour la période de juin à août, période peu favorable aux affaires dans l'activité de vente de papeterie, étant bien inférieure à celle du chiffre d'affaires réalisé par la société SIOTA elle-même, hors opérations de Madame Y... au cours de la même période ; que, de même, l'envoi dans le cadre d'une opération de "mailing publicitaire" de lettres circulaires aux fournisseurs et à la clientèle, sous l'en-tête PLESTO, pour annoncer la création de cette nouvelle société, sans aucune référence à l'activité d'agent commercial de Madame Y..., ne saurait être suffisante à elle seule à caractériser un comportement déloyal ou anti-concurrentiel de cette dernière, étant observé qu'en l'absence de clause de non-concurrence, celle-ci retrouvait toute liberté de contacter ladite clientèle ou lesdits fournisseurs dès la fin de son préavis ;

Considérant enfin que le détournement de marchandise allégué, qui repose sur une attestation insuffisamment circonstanciée d'une

employée de la société SIOTA, n'est en rien établi d'autant que ladite société a facturé les marchandises prétendument détournées à la société PLESTO sans émettre la moindre réserve ;

Considérant qu'il suit de là que Madame Y... ne saurait se voir reprocher d'avoir, comme le lui permettaient les dispositions de la loi du 25 juin 1991, pris l'initiative de rompre son contrat d'agent commercial pour se consacrer à une activité nouvelle et que la société SIOTA ne rapportant pas la preuve qui lui incombe d'agissements déloyaux ou anti-concurrentiels imputables à Madame Y..., ne pourra être que déboutée des demandes qu'elle forme à son encontre ; que le jugement dont appel sera donc confirmé, mais pour l'essentiel par substitution de motifs ;

Considérant que Madame Y... ne rapporte pas, pour sa part, la preuve qu'elle a subi un préjudice autre que celui qui a été précédemment réparé par la condamnation, avec intérêts moratoires, de la société SIOTA au paiement des commissions et que la résistance que lui a opposée cette société aurait dégénéré en abus de droit ; qu'elle sera déboutée des demandes en dommages et intérêts qu'elle forme de ces chefs ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; qu'il lui sera alloué une indemnité complémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens ; * PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la société SIOTA SARL en son appel principal et Madame Martine Sylvette X... dite Martine Y... en son appel incident ;

- Dit ces appels mal fondés ;

- Confirme en conséquence, mais pour l'essentiel, par substitution de motifs, le jugement déféré ;

Y ajoutant,

- Condamne la société appelante à payer à Madame Martine Sylvette X... dite Martine Y..., une indemnité complémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà allouée au même titre à l'intimée en première instance ;

- Condamne également l'appelante aux entiers dépens et autorise la SCP d'Avoués GAS, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE MONTREUIL

F. ASSIÉ

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.