26 juin 1997
Cour d'appel de Versailles
RG n° 1995-7738

Texte de la décision

Selon facture en date du 10 novembre 1992, la société ETABLISSEMENTS JULES Z... a vendu à la société ABARI, établie à LIBREVILLE au GABON, 220 colis de friperie d'une valeur de 127.435 francs.

Une avance de 40.000 francs a été faite par l'acheteur sur cette facture.

Selon connaissement n° 4005 émis à STRASBOURG le 23 novembre 1992, la société NAVALE DELMAS AFRIQUE, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société DELMAS, a pris en charge ladite marchandise laquelle a été chargée à MARSEILLE sur le navire "A... ITALIA" à destination de LIBREVILLE.

Ce navire est arrivé au port de destination le 24 décembre 1992. La marchandise, non réclamée 27 jours après son arrivée, a été placée d'office en dépôt de douane le 03 février 1993 par la société Nationale d'Acconage et de Transit (S.N.A.T.), comme le prévoit la réglementation douanière locale.

Entre-temps la marchandise a été, selon les dires de la société ETABLISSEMENTS JULES Z..., revendue à un tiers, mais elle a été néanmoins remise par les douanes gabonaises, le 05 mars 1993, à la société ABARI, destinaire réel et acheteur initial, sur simple présentation d'un bon de douane, mais sans présentation d'un titre de livraison.

N'ayant pas été payée par la société ABARI du solde de sa facture et imputant à la société DELMAS divers manquements à ses obligations lors de la livraison, la société ETABLISSEMENTS JULES Z... a engagé, à l'encontre de cette dernière, une action en réparation du préjudice par elle prétendument subi. *

Par jugement en date du 30 juin 1995 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a débouté la société ETABLISSEMENTS JULES Z... de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société DELMAS, une indemnité de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. *

Appelante de cette décision, la société ETABLISSEMENTS JULES Z... soutient tout d'abord que les premiers juges n'ont pas motivé leur décision conformément aux exigences de l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, sans toutefois demander à la Cour d'en tirer toutes conséquences de droit. Sur le fond, elle prétend essentiellement, comme elle l'avait fait en première instance, que la responsabilité du transporteur maritime est engagée du seul fait qu'il a placé la marchandise en dépôt de douane sans avoir informé le réceptionnaire, voire le chargeur et/ou son transitaire de son arrivée. Elle déduit de là, que la remise par la douane gabonaise de la marchandise "par un procédé local inexpliqué et inexplicable.... à la société ABARI sur simple présentation d'un bon de douane....." alors qu'elle-même avait trouvé un nouvel acheteur qui devait accomplir les formalités auprès de l'UNION GABONAISE DE BANQUE, mentionné dans les documents comme réceptionnaire, trouve son origine dans les seuls manquements imputables à la société DELMAS. Elle demande en conséquence que cette dernière soit condamnée à lui payer en réparation la somme de 87.435 francs, représentant son manque à gagner, outre 50.000 francs à titre de dommages et intérêts complémentaires et une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société DELMAS conclut, pour sa part, à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, sauf à se voir accorder 10.000 francs à titre de dommages et intérêts et une indemnité complémentaire de 20.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour. En réplique, elle se prévaut de la clause 21.1 du connaissement qui le dispense d'informer le destinataire de l'arrivée des marchandises à destination et de la clause 22.2 du même document selon laquelle la remise à organisme public équivaut à la livraison. Elle invoque également le fait du prince prévu par l'article 4 2 de la convention de BRUXELLES et prétend que l'obligation imposée par la douane GABONAISE, de mise en dépôt de la marchandise après un délai de 27 jours, entre dans le champ de la présomption d'irresponsabilité prévue par la disposition précitée de ladite convention, ajoutant que l'appelante ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le transporteur aurait pu se soustraire à cette obligation. Elle ajoute encore que la société ETABLISSEMENTS JULES Z..., vendeur non payé, tente abusivement d'obtenir réparation du préjudice issu du contrat de vente qui ne lie en aucune manière le transporteur maritime et qui a pour seule cause le fait du prince local (à savoir la douane) dont, comme il a été dit, elle n'a pas à répondre. *



MOTIFS DE LA DECISION

. Sur l'absence de motivation du jugement dont appel

Considérant que, si l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile prévoit qu'un jugement doit être motivé, il n'interdit pas pour autant au juge de reprendre à son compte les arguments ou moyens avancés par l'une ou l'autre des parties, à la condition toutefois que ces arguments ou moyens aient été préalablement exposés même succinctement ;

Considérant qu'en l'espèce, le jugement querellé énonce clairement les moyens et prétentions de chacune des parties ; qu'il en résulte qu'en déclarant "faire sienne l'argumentation développée par la société DELMAS" les premiers juges ont suffisamment satisfait à l'exigence de motivation imposée par l'article 455 précité ;

. Sur le fond

Considérant qu'il appartient à la Cour de rechercher, comme il le lui est demandé, si la remise par les douanes gabonaises de la marchandise litigieuse à la société ABARI, en l'absence de présentation d'un connaissement original, peut engager la responsabilité de la société DELMAS et plus particulièrement, si cette société a commis une faute dans le cadre de l'exécution de sa mission de transporteur maritime qui serait en relation de causalité directe avec le dommage invoqué ;

Considérant que l'appelante invoque, comme manquement essentiel constitutif du dommage, la remise par la société DELMAS des marchandises en dépôt de douane sans que "le réceptionnaire et/ou le chargeur ou son transitaire" en ait été informé ;

Mais considérant que, s'il est de principe que le transporteur maritime doit informer le destinataire réel ou tout autre ayant-cause de l'arrivée de la marchandise, rien n'interdit aux parties, de leur commune volonté, de modifier ces conditions habituelles de livraison, notamment en insérant des clauses particulières au connaissement fixant d'autres modalités ;

Or considérant que l'article 22.1 du connaissement n° 4005 prévoit expressément que le transporteur maritime n'est pas tenu d'informer le réceptionnaire de l'arrivée des marchandises à destination et que sa responsabilité ne peut être engagée de ce chef ; qu'il en résulte que l'appelante ne peut imputer à faute à la société DELMAS le fait que celle-ci n'aurait délivré aucune information aux ayants-cause de la marchandise ; que ce grief est d'autant moins fondé qu'un télex, adressé le 05 mars 1993 à la société ABARI par la société ETABLISSEMENTS JULES Z..., démontre que cette dernière avait été informée de l'arrivée des marchandises puisqu'elle fait grief à sa correspondante d'avoir négligé de prendre possession des marchandises "arrivées à LIBREVILLE depuis 3 mois" ;

Considérant par ailleurs et si besoin était, que l'article 22.2 du connaissement n° 4005, concernant également les modalités de livraisons, dispose que...."la remise des marchandises à tout organisme public, semi-public ou monopolistique habilité à les recevoir sera considéré comme valant livraison ...(et que) "de la même manière la livraison d'office aux douanes ou à toute autorité, qu'elle soit effective ou purement formelle, équivaudra à la livraison des marchandises" ; qu'en l'espèce, il est constant que la marchandise est restée en souffrance sur les quais pendant plusieurs semaines, en raison, comme il a été dit, de la négligence de la société ABARI et que, comme l'y contraignait la réglementation douanière locale, la société DELMAS a dû placer la marchandise en dépôt sous douane le 03 février 1993 ; que tant au regard des stipulations contractuelles que de la négligence du destinataire, cette remise aux services des douanes vaut livraison ; qu'il suit de là que la délivrance ultérieure par les douanes gabonaises de la marchandise à la société ABARI, sans présentation des documents, ne peut engager la responsabilité de la société DELMAS dont la mission avait pris fin le 03 février 1993 ;

Considérant qu'en tout état de cause, il est établi et non contesté que la société DELMAS était contrainte, par la législation douanière locale, de déposer en douane des marchandises laissées en souffrance pendant 21 jours ; que ladite société est dès lors fondée à se prévaloir de ce "fait du prince" et des dispositions exonératoires prévues dans cette hypothèse par l'article 4 2 g, de la convention de BRUXELLES, sauf à l'appelante à prouver que la société DELMAS aurait pu se soustraire à cette obligation légale, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce puisqu'il est démontré que la société ABARI, destinataire, a négligé de prendre livraison en temps utile ; Considérant que, pour l'ensemble de ces motifs, le jugement déféré sera confirmé, mais par adjonction de motifs, en toutes ses dispositions et la société ETABLISSEMENTS JULES Z... déboutée de son appel ;

Considérant que la société DELMAS ne justifie pas, pour sa part, d'un préjudice lié au recours exercé à son encontre et notamment que celui-ci aurait dégénéré en abus de droit ; que la demande en dommages et intérêts qu'elle forme de ce chef sera rejetée ; que, de même, il apparaît que l'indemnité qui lui a été allouée en première instance au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile est suffisante à couvrir l'ensemble de ses débours ;

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la société ETABLISSEMENTS JULES Z... SA en son appel mais le dit mal fondé et l'en déboute ;

- Confirme en conséquence en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Y ajoutant,

- Rejette les demandes complémentaires formées par la société DELMAS ex MARITIME DELMAS B... venant aux droits de NAVALE DELMAS X..., tant pour procédure abusive qu'au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- Condamne la société ETABLISSEMENTS JULES Z... SA aux entiers dépens et autorise Maître Y..., Avoué, à en poursuivre directement le recouvrement comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

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