26 juin 1997
Cour d'appel de Versailles
RG n° 1996-2217

Texte de la décision

La société anonyme GERARD X... INTERNATIONAL (GMI), spécialisée dans une activité de services au profit de l'industrie pharmaceutique, était locataire, en vertu d'un contrat de crédit-bail conclu avec la société INTERBAIL, d'un immeuble à usage de bureaux situé à BOULOGNE-BILLANCOURT dont elle sous-louait une partie.

Pour faire face à des difficultés financières, la société GMI a acquis l'immeuble le 30 septembre 1991, en levant l'option prévue au contrat, pour le prix de 4.232.851 francs, et elle l'a revendu le même jour à la société SOGEFIMUR pour le prix de 11.760.000 francs.

Parallèlement, la société SOGEFIMUR a concédé à la société GMI, dans le cadre d'une opération désignée sous le nom de "lease-back", un contrat de crédit-bail pour une durée de 15 ans moyennant une redevance mensuelle de 1.544.000 francs HT.

La société GMI ayant cessé de régler, à compter du 1er octobre 1992, les redevances dont elle était débitrice à l'égard de la société SOGEFIMUR et celle-ci lui ayant notifié son intention de procéder à la résiliation du contrat de crédit-bail, Monsieur Gérard X..., Président-Directeur-Général de GMI, a sollicité la désignation d'un conciliateur, requête à laquelle il a été fait droit par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE en date du 21 avril 1993.

Les 06 et 13 octobre 1993, est intervenu sous la conciliation de Monsieur Claude Y..., désigné en application de la loi du 1er mars 1984, un protocole d'accord entre GMI, Monsieur et Madame Gérard X..., pris en leur qualité de caution, la Banque WORMS, la SOCIETE GENERALE et la société SOGEFIMUR.

S'agissant de SOGEFIMUR, le protocole d'accord disposait essentiellement que les parties rechercheraient un acquéreur pour les locaux, objet du contrat du crédit-bail, arrêteraient le mode de détermination des sommes qui seraient dues par GMI et les cautions en suite de cette vente ainsi que les possibilités de recapitalisation de GMI.

La vente de l'immeuble n'étant pas intervenue dans les délais prévus, les parties ont, par avenant du 26 décembre 1994, convenu :

- de résilier le contrat de crédit-bail,

- de "forfaiter" la créance de SOGEFIMUR sur GMI et ses cautions à hauteur de 3.800.000 francs,

- d'un calendrier de règlement de cette somme, savoir : 1.800.000 francs au plus tard le 20 mars 1995, puis 500.000 francs au plus tard les 31 décembre 1995, 31 mars et 31 décembre 1996 et 31 mars 1997.

Nonobstant cet accord, la société GMI et les époux X... ont, par acte du 07 novembre 1995, engagé devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE une action en responsabilité contre la société SOGEFIMUR, motif pris essentiellement que celle-ci aurait manqué à ses devoirs de conseil et d'information lors du montage de l'opération de "lease-back".

Par ailleurs et par acte du 15 décembre 1995, GMI et les époux X... ont saisi le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE, statuant en référé, aux fins de voir "ordonner la suspension des effets attachés à l'avenant du 26 décembre 1994, au protocole de règlement amiable du 08 octobre 1993, dire que toutes poursuites susceptibles d'être engagées par la société SOGEFIMUR à leur encontre seront suspendues jusqu'à l'intervention d'une décision définitive dans le cadre de l'action en responsabilité engagée contre SOGEFIMUR, arrêter le cours des intérêts, interdire à SOGEFIMUR de se prévaloir de la clause de déchéance du terme".

Par ordonnance en date du 28 décembre 1995, le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE a statué dans les termes ci-après :

"Ordonnons la suspension temporaire de l'exécution de l'avenant du 28 décembre 1994 jusqu'à décision de ce tribunal dans l'instance engagée par les demandeurs à l'encontre de la défenderesse le 07 novembre 1995."

" Laissons les dépens à la charge des demandeurs".

- Rappelons que l'exécution provisoire est de droit".

Appelante de cette décision, la société SOGEFIMUR fait valoir que le premier juge a excédé les pouvoirs qui lui sont dévolus en référé et que la position adoptée par ce magistrat conduit à paralyser le recouvrement d'une créance certaine, liquide et devenue exigible et à la compenser provisoirement avec une autre qui n'est qu'éventuelle. Elle ajoute que la décision est d'autant plus critiquable qu'elle se fonde sur de prétendus motifs économiques qui n'étaient nullement invoqués par les parties demanderesses. Elle estime également que le juge des référés ne pouvait suspendre les effets d'une convention valablement conclue dans le cadre de la loi du 10 juin 1994, ladite loi prévoyant au contraire qu'en cas d'inexécution des engagements résultant de l'accord, le tribunal ne peut qu'en prononcer la résiliation. Elle demande, en conséquence, que la société GMI et les époux X..., soient déboutés de l'ensemble de leurs demandes et condamnés solidairement à lui payer la somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société GMI et les époux X... concluent, pour leur part, à la confirmation de l'ordonnance entreprise, sauf à voir préciser que l'exécution de l'avenant du 26 décembre 1994 sera suspendue jusqu'à l'intervention d'une décision définitive dans le cadre de l'action en responsabilité engagée par eux à l'encontre de SOGEFIMUR. Ils réclament, en outre, à cette dernière une indemnité de 15.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. En réplique, ils font essentiellement valoir que l'avenant du 28 décembre 1994, dont la suspension de l'exécution a été ordonnée, n'entre pas dans la procédure stricte définie par les articles 35 et suivants de la loi du 1er mars 1984 dès lors que, contrairement au protocole initial, il est intervenu à la suite de discussions directes entre les parties, même si celles-ci se sont déroulées en présence du conciliateur. Ils déduisent de là que, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile, le juge des référés pouvait valablement, afin d'éviter toute mesures irréversibles que pourrait être tentée d'entreprendre la société SOGEFIMUR avant même qu'il ait été statué sur l'action en responsabilité engagée à l'encontre de cet organisme, prendre des mesures d'ordre strictement conservatoire. Ils estiment cependant que la mesure de suspension ordonnée n'a d'intérêt qu'autant qu'elle soit prolongée jusqu'à ce qu'une solution définitive soit donnée à l'action en responsabilité actuellement en cours.



Enfin, il convient de noter que, par jugement en date du 30 janvier 1997, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a ouvert une procédure de redressement judiciaire simplifiée à l'égard de la société GMI et que Maître Laurence Z..., désignée en qualité de représentant des créanciers et Maître François A..., désigné en qualité d'administrateur, se sont associés aux écritures prises par la société GMI alors qu'elle était encore "in bonis".

MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que si l'article 873 du Nouveau Code de Procédure Civile permet au juge des référés de prendre toutes mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent et, à titre exceptionnel, de s'immiscer dans l'exécution d'une convention, encore faut-il que la mesure sollicitée s'appuie sur des éléments susceptibles de laisser penser que ladite convention pourrait être remise en cause et que, notamment, par le jeu d'une exception de compensation ou d'inexécution, elle aurait quelques chances de se trouver ultérieurement privée d'effets, ce qui revient à dire que lorsque l'exécution forcée d'une convention est susceptible d'entraîner un dommage irréparable, alors qu'une contestation sérieuse et non encore tranchée est élevée par le débiteur de l'obligation, il est du devoir du juge de prendre toute mesure utile pour empêcher la réalisation de ce dommage.

Considérant que, pour ordonner la suspension des effets de l'avenant, le premier juge a retenu :

- qu'il ne pouvait ordonner la compensation entre la créance certaine liquide et exigible en plusieurs termes de SOGEFIMUR, telle qu'elle résulte de l'avenant du 26 décembre 1994 et la créance indemnitaire de la société GMI et des époux X....

- que cependant, ceux-ci ne sollicitaient qu'une suspension provisoire des termes de l'avenant.

- que le protocole du 08 octobre 1993 et l'avenant du 26 décembre 1994 n'ont pas réglé de façon exhaustive le différend existant entre les parties.

- que la loi du 10 juin 1994 fait obligation aux chefs de juridiction de sauvegarder les entreprises et les emplois y compris dans l'intérêt des créanciers.

Mais considérant que cette motivation, qui dénature partiellement les éléments de la cause et qui s'appuie sur des moyens non invoqués par les parties, ne saurait être suivie.

Considérant en effet que la société GMI et les époux X... n'ont jamais entendu remettre en cause les termes de l'avenant dont ils se disent prêts dans leurs écritures à exécuter les dispositions, pas plus qu'ils n'ont soutenu que cet avenant n'aurait pas réglé le litige qui les oppose à SOGEFIMUR sur le plan strictement contractuel ; qu'ils se prévalent seulement de l'action en responsabilité quasi délictuelle qu'ils ont engagé à l'encontre de la société crédit bailleresse pour manquement à son devoir de conseil lors de la mise en place de l'opération de "lease back".



Or, considérant qu'une telle action est totalement indépendante des dispositions arrêtées tant dans le protocole de conciliation que dans l'avenant qui, comme l'ont voulu les parties et contrairement à ce qui est prétendu, fait partie intégrante dudit protocole ; que, dans ces conditions, le premier juge ne pouvait remettre en cause l'exécution d'une convention valablement conclue dans le cadre de la loi du 1er mars 1984 et paralyser de la sorte le recouvrement d'une créance certaine, liquide et exigible en la compensant de fait avec une autre créance, totalement extérieure aux accords intervenus et qui n'est qu'éventuelle ; qu'en décider autrement reviendrait à permettre à un débiteur de paralyser préventivement toute mesure d'exécution émanant du créancier en allumant en quelque sorte un "contrefeu procédural", consistant comme en l'espèce à engager, pour des motifs étrangers à la convention, une action contre ledit créancier et à mettre par voie de conséquence celui-ci pendant plusieurs années, en raison des délais de procédure, dans l'impossibilité totale de faire valoir ses droits, et ce au mépris de la règlementation spécifique relative au traitement des difficultés des entreprises ; que, dans ces conditions et étant observé de surcroît qu'à ce jour la mesure sollicitée n'est plus d'aucun intérêt en ce qui concerne la société GMI, placée en redressement judiciaire, et qu'elle ne peut avoir d'effets qu'à l'égard des époux X... qui se sont portés cautions solidaires des engagements pris par ladite société, l'ordonnance déférée sera infirmée en toutes ses dispositions et la demande de suspension de l'exécution de l'avenant du 26 décembre 1994 rejetée.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société SOGEFIMUR les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer ; que la société GMI et les époux X... seront condamnés à lui payer une indemnité de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que les mêmes, qui succombent, supporteront les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,

- Reçoit la société SOGEFIMUR SA en son appel principal et la société GERARD X... INTERNATIONAL "GMI" SA, actuellement en redressement judiciaire, ainsi que les époux X... en leur appel incident,

- Constate l'intervention de Maître Laurence Z..., désignée en qualité de représentant des créanciers de la société GERARD X... INTERNATIONAL "GMI" SA ainsi que celle de Maître François A..., désigné en qualité d'administrateur judiciaire de ladite société,

- Faisant droit à l'appel principal, infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau, dit n'y avoir lieu à suspension de l'exécution de l'avenant en date du 26 décembre 1994 conclu entre les parties,

Y ajoutant,

- Condamne in solidum la société GERARD X... INTERNATIONAL "GMI" SA et les époux X... à payer à la société SOGEFIMUR SA une indemnité de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Condamne les mêmes aux entiers dépens et autorise Maître JUPIN, Avoué, à poursuivre directement le recouvrement de la part le concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

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