9 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-50.008

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C100134

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 février 2022




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 134 F-D

Pourvoi n° R 21-50.008

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [H].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 juin 2021.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2022

Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, domicilié en son parquet général, 1 rue du Palais, 69321 Lyon cedex, a formé le pourvoi n° R 21-50.008 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Lyon (2e chambre A), dans le litige l'opposant à M. [N] [H], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [H], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 décembre 2020), M. [N] [H], né le 8 mars 1994 à [Localité 5] (Sénégal), a engagé une action déclaratoire de nationalité en raison de sa filiation paternelle.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen

2. Le procureur général fait grief à l'arrêt de dire que M. [H] est français, alors « que le domicile, au sens du droit de la nationalité, s'entend d'une résidence présentant un caractère stable et effectif coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de l'intéressé; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la preuve que le grand-père allégué de M. [N] [H] avait fixé son domicile de nationalité hors du Sénégal au jour de l'indépendance était rapportée par les relevés de carrière de ce dernier et la nature de son emploi comme marin dans la marine marchande ; qu'elle a également affirmé que le fait que les enfants de M. [H] soient nés au Sénégal en 1961 et en 1968, comme le fait que son mariage ait été célébré antérieurement, en 1952, au Sénégal, ne permettent pas d'établir que son domicile ne se trouvait pas au [Localité 4], et donc en France, à la date du 20 juin 1960 ; qu'en se déterminant ainsi, en refusant de prendre en considération les attaches familiales d'[N] [H] (présumé né en 1922) au Sénégal à l'indépendance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 32 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 32 du code civil et l'article 13, alinéa 2, du code de la nationalité, dans sa rédaction issue de la loi n° 60-752 du 28 août 1960 :

3. Il résulte de ces textes qu'une personne originaire du Sénégal n'a pu conserver de plein droit la nationalité française lors de l'accession de ce territoire à l'indépendance le 20 juin 1960 qu'en ayant à cette date fixé son domicile hors de ce territoire.

4. Le domicile, au sens du droit de la nationalité, s'entend de la résidence effective présentant un caractère stable, permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de l'intéressé.

5. Pour dire qu'[N] [H], présumé né le 22 février 1922 au Sénégal et grand-père allégué de l'intéressé, avait conservé la nationalité française lors de l'accession du Sénégal à l'indépendance, l'arrêt retient que ses relevés de carrière de 1945 à 1977 font apparaître qu'il travaillait dans la marine marchande, qu'il était inscrit au quartier de la ville du [Localité 4] et que, du 10 novembre 1959 au 19 juillet 1960, il était embarqué sur le navire « Belfort ».

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le fait qu'[N] [H] se soit marié en 1952 au Sénégal où ses enfants étaient nés en 1961 et 1968 ne caractérisait pas le maintien dans ce pays de ses attaches familiales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne M. [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Lyon

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 26 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Lyon, qui a dit que M. [N] [H] est de nationalité française,

AUX MOTIFS QUE

"Selon l'article 18 du code civil, est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. Aux termes de l'article 30 du même code, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française, délivré conformément aux articles 31 et suivants. Il n'est pas contesté que M. [N] [H] n'est pas personnellement détenteur d'un certificat de nationalité française, de sorte que la charge de la preuve de cette nationalité lui incombe.

M. [N] [H], qui revendique la nationalité française en application des dispositions de l'article 18 du code civil, doit dès lors rapporter la preuve de son lien de filiation avec un ascendant direct, lui-même français.

Au soutien de sa demande M. [N] [H] produit, pour établir la chaine des filiations : -la copie intégrale, délivrée le 10 décembre 1999 par le service d'état civil de [Localité 2], de son acte de naissance N° 1585, acte dressé le 21 mars 1994, transcrit par le Consulat général de France à [Localité 2] le 8 décembre 1999, qui le présente comme né le 8 mars 1994 de [J] [H] né à [Localité 5] le 17 juillet 1968, et de [S] [F], née à [Localité 5] le 3 octobre 1976, -la copie, délivrée le 28 juillet 2000 par l'officier d'état civil de [Localité 2], de l'acte de naissance N° 01584 de [J] [H], dressé le 29 juillet 1968 à [Localité 3], transcrit dans le Consulat général de France à [Localité 2] le 8 décembre 1999, selon lequel celui-ci est né le 17 juillet 1968 à [Localité 5] de [N] [H] né à [Localité 5] le 22 février 1922 et de [T] [R] [U] née le 3 juillet 1947 à [Localité 5]; -la copie, délivrée le 10 décembre 1999 par l'officier d'état civil de [Localité 2], de l'acte de mariage N° 1583, transcrit par le Consulat général de France à [Localité 2] le 8 décembre 1999 de [J] [H] né à [Localité 5] le 17 juillet 1968 et de [S] [F] né à [Localité 5] le 3 octobre 1976, mariage célébré le 7 janvier 1993 à [Localité 5]; enregistré le 7 juin 1993.

La seule circonstance que ces actes d'état civil seraient anciens ne saurait suffire à caractériser leur irrégularité ou leur falsification, comme exigé par l'article 47 susvisé, et ne permet pas plus de retenir que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité.

M. [N] [H] produit par ailleurs des éléments plus récents à savoir : -la copie de l'acte de naissance de M. [J] [H], délivré le 10 février 2017 par l'officier d'état civil de [Localité 6], faisant référence directe à son acte de naissance, dressé le 29 juillet 1968 à [Localité 3], sous la référence 66-1968, comme étant né de M. [N] [H], né le 22 février 1922 à [Localité 5], et de Mme [T] Hamet Coulibaly née le 3 juillet 1947 à [Localité 5] -la copie de son propre acte de naissance, dressé par l'officier d'état civil de [Localité 6] le 10 février 2017, visant directement son acte de naissance dressé au Sénégal le 21 mars 1994, sous les références 84-1994, comme étant né de M. [J] [H], né à [Localité 5], le 17 juillet 1968. Ces divers actes établissent suffisamment la chaine des filiations entre M [N] [H], M. [J] [H] et M. [N] [H].

Pour revendiquer la nationalité française, M. [N] [H] verse aux débats : -le certificat de nationalité française délivré par le tribunal d'instance du [Localité 4] le 13 mars 1969 à son grand-père, M. [N] [H], né le 22 février 1922 à [Localité 5], certificat établi à partir d'un jugement supplétif d'acte de naissance, de certificats de travail et d'un certificat de domicile, le tribunal retenant que les pièces produites permettaient de constater que le domicile de l'intéressé était situé hors de son territoire d'origine lors de l'accession à /'indépendance du Sénégal, le 20 juin 1960, en application des dispositions de l'article 13 alinéa 1 du code de la nationalité, -le certificat de nationalité française délivré le 19 mars 1992 par le tribunal d'instance de Bourg en Bresse à M. [J] [H] né à [Localité 5] le 17 juillet 1968 de M [N] [H] né à [Localité 5] le 22 février 1922, -le certificat de nationalité française délivré par le tribunal d'instance de Villeurbanne le 23 juin 1993 à M. [J] [H], né à [Localité 5] le 17 juillet 1968, comme né à l'étranger d'un parent français, M. [N] [H], né le 22 février 1922, ce dernier étant français en application de l'article 8-1 du décret du 7 février 1897, ce certificat étant délivré sur la base de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'intéressé, de l'acte de mariage de ses parents, du certificat de nationalité de son père, d'une lettre du ministère de la mer du 28 novembre 1991 reprenant le relevé des services accomplis par M. [N] [H], du certificat de nationalité délivré à /'intéressé par le tribunal d'instance de Bourg en Bresse le 19 mars 1992, d'une lettre du ministère de l'intégration du 10 juin 1993, et enfin, de l'avis du Garde des Sceaux du 25 février 1993.

Si ces certificats ne constituent pas un titre de nationalité française pour le requérant, sur lequel repose en conséquence la charge de la preuve de la nationalité qu'il revendique, il convient cependant de relever que le ministère public ne justifie nullement de quelconque procédure engagée à l'encontre de M [J] [H], ou de M. [N] [H], pour contester la délivrance de ces certificats de nationalité française. Il est au contraire justifié d'un courrier adressé par Mme le garde des Sceaux en réponse à une interrogation d'un député du Rhône, le 31 décembre 1998, pour lui indiquer qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause le certificat de nationalité française délivré à M. [J] [H], par le tribunal d'instance de Villeurbanne, le 23 juin 1993.


Pour étabir la nationalité française de son grand père, M. [N] [H] verse aux débats les relevés de carrière de ce dernier, de 1945 à 1977, alors que celui-ci travaillait dans la marine marchande, essentiellement en qualité de nettoyeur. Ces documents font apparaÎtre qu'il était inscrit au quartier de la ville [Localité 4], une adresse précise dans cette ville figurant d'ailleurs sur le mémoire de proposition pour l'admission d'une pension de vieil/esse dressé en mars 1977. Ces documents permettent par ailleurs de localiser ; au jour de l'indépendance du Sénégal, le 20 juin 1960, la présence de M. [N] [H] hors du Sénégal, comme étant embarqué sur la navire "Belfort" du 10 novembre 1959 au 19 juillet 1960, l'embarquement ayant eu lieu à [Localité 4], ainsi que son débarquement, après une escale d'une journée à [Localité 2] ; entre le 12 et le 13 juillet 1960. Au regard de ces éléments, et de la nature de l'emploi comme marin dans la marine marchande, avec des affectations hors du Sénégal, il est suffisament justifié d'une permanence de son domicile hors de ce pays au moment de son indépendance. Le fait que les enfants de M. [H] soient nés au Sénégal en 1961 et en 1968, comme le fait que son mariage ait été célébré antérieurement, en 1952, au Sénégal, ne permettent pas d'établir que son domicile ne se trouvait pas à [Localité 4], et donc en France, à la date du 20 juin 1960. Il est en conséquence suffisamment établi par l'intéressé, qu'il est le fils de M. [J] [H], français comme étant le fils de M. [N] [H], français, en raison de la conservation de la nationalité française lors de l'accession à l'indépendance du Sénégal, le 20 juin 1960.

il convient dès lors de confirmer le jugement, en ce qu'il a constaté la nationalité française de M. [N] [H], sur le fondement de l'article 18 du code civil puisque né d'un père français et en toutes ses dispositions afférentes".

ALORS QUE pour rapporter la preuve qu'il est né français par filiation, M. [N] [H], né le 8 mars 1994 à [Localité 5], ne pouvait établir la nationalité par filiation paternelle de son propre père, M. [J] [H], né le 17 juillet 1968 à [Localité 5], par la seule production de l'acte de naissance de celui-ci, mais devait également produire l'acte de naissance et l'acte de mariage d'[N] [H], présumé né le 22 février 1922, dont il alléguait qu'il avait conservé de plein droit la nationalité française à l'indépendance du Sénégal ; qu'en jugeant que M. [N] [H] rapportait la preuve d'une chaîne de filiation légalement établie à l'égard de son grand-père supposé par la seule présentation de son propre acte de naissance, et des actes de naissance et de mariage de M. [J] [H], la cour d'appel a violé les articles 18 et 47 du code civil;

ALORS QUE le domicile, au sens du droit de la nationalité, s'entend d'une résidence présentant un caractère stable et effectif coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de l'intéressé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la preuve que le grand-père allégué de M. [N] [H] avait fixé son domicile de nationalité hors du Sénégal au jour de l'indépendance étaient rapportée par les relevés de carrière de ce dernier et la nature de son emploi comme marin dans la marine marchande ; qu'elle a également affirmé que le fait que les enfants de M. [H] soient nés au Sénégal en 1961 et en 1968, comme le fait que son mariage ait été célébré antérieurement, en 1952, au Sénégal, ne permettent pas d'établir que son domicile ne se trouvait pas au [Localité 4], et donc en France, à la date du 20 juin 1960 ; qu'en se déterminant ainsi, en refusant de prendre en considération les attaches familiales d'[N] [H] (présumé né en 1922) au Sénégal à l'indépendance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 32 du code civil ;

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