18 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-86.165

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00172

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Détention provisoire - Débat contradictoire - Chambre de l'instruction - Incident non joint au fond - Demande de renvoi - Parole en dernier du mis en examen ou de son conseil - Défaut - Nullité - Preuve d'un grief (non)

Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 199 du code de procédure pénale que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers ; cette règle s'applique à tout incident, dès lors qu'il n'est pas joint au fond. Si, lors du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, la méconnaissance d'un tel principe, s'agissant du débat sur une demande de renvoi, n'emporte nullité qu'au cas où la personne mise en examen établit qu'il en est résulté pour elle un grief, une telle solution, justifiée par les spécificités procédurales qui régissent le débat contradictoire sur la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention, n'est pas transposable devant la chambre de l'instruction de sorte que la méconnaissance du principe susénoncé lors de l'audience de cette juridiction fait alors nécessairement grief à la personne qu'elle concerne. Encourt la cassation l'arrêt des mentions duquel il résulte qu'il a été statué, sans que l'incident ne soit joint au fond, sur une demande de renvoi formulée par la défense avant l'audience et réitérée au cours de celle-ci, pour la rejeter, sans que le mis en examen ou son avocat n'aient eu la parole en dernier

Texte de la décision

N° S 21-86.165 FS-B

N° 00172


SL2
18 JANVIER 2022


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 JANVIER 2022



M. [V] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 7 octobre 2021 qui, dans l'information suivie contre lui du chef de viol aggravé, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [V] [J], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mmes Ménotti, Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen du chef de viol sur concubin, M. [V] [J] a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 15 septembre 2021.

3. L'intéressé a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le placement en détention provisoire de M. [J], alors « que la personne mise en examen doit avoir la parole en dernier sur tout incident qui n'est pas joint au fond ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que M. [J], dont l'avocat a formulé une demande de renvoi, n'a pas eu la parole après que le ministère public ait été entendu sur cette demande de renvoi et avant qu'il ait été statué sur cet incident qui n'a pas été joint au fond, de sorte que la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 199 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 199 du code de procédure pénale :

5. Il se déduit de ces textes que la personne qui comparait devant la chambre de l'instruction dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers ; cette règle s'applique à tout incident, dès lors qu'il n'est pas joint au fond.

6. La Cour de cassation juge (Crim., 10 novembre 2021, pourvois n° 21-84.948 et n° 21-85.182, publiés au Bulletin) que, lors du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, la méconnaissance d'un tel principe, s'agissant du débat sur une demande de renvoi, n'emporte nullité qu'au cas où la personne mise en examen établit qu'il en est résulté pour elle un grief.

7. Une telle solution, justifiée par les spécificités procédurales qui régissent le débat contradictoire sur la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention, n'est pas transposable devant la chambre de l'instruction, la méconnaissance du principe énoncé au paragraphe 5 lors de l'audience de cette juridiction faisant alors nécessairement grief à la personne qu'elle concerne.

8. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu'il a été statué, avant les débats au fond, sur une demande de renvoi formulée par la défense avant l'audience et réitérée au cours de celle-ci, pour la rejeter, sans que le mis en examen ou son avocat n'aient eu la parole en dernier.

9. En l'état de ces énonciations, alors que l'incident n'a pas été joint au fond, de sorte qu'il ne suffit pas que la parole ait été donnée en dernier à la personne mise en examen à l'issue des débats sur la détention provisoire, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

10. La cassation est encourue de ce chef.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le placement en détention provisoire de M. [J], alors « que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne mise en examen ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi ; qu'en s'abstenant de s'assurer de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de M. [J] aux faits dont le juge d'instruction était saisi, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 80-1 et 137 du code de procédure pénale et 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 80-1, 137 du code de procédure pénale et 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme :

12. Il résulte des deux premiers de ces textes que les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

13. Il se déduit du troisième que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.

14. Pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. [J], l'arrêt attaqué se borne à retenir que la détention provisoire de la personne mise en examen constitue, en l'état, l'unique moyen de parvenir à plusieurs des objectifs énumérés par l'article 144 du code de procédure pénale et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique.

15. En se déterminant ainsi, sans s'assurer de l'existence d' indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits qui lui sont reprochés, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

16. La cassation est de nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit janvier deux mille vingt-deux.

Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre

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