8 janvier 2014
Cour d'appel de Paris
RG n° 12/20090

Pôle 2 - Chambre 7

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 08 JANVIER 2014



( n° 2 ,5 Pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/20090



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Octobre 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/03883





APPELANTES



Madame [M] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 6]



Représentée par Me Guillaume COUSIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0840.



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/048973 du 05/11/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)





Mademoiselle [H] [X] ( intimé et appelante à titre incident)

[Adresse 6]

[Localité 3]



représentée par Me Gérard ARAKELIAN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 214.



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/057436 du 21/12/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)







INTIMES



Monsieur [E], [N] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)



Représenté par Me Sylvie CHARDIN, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : L0079

assisté de Maître SOLAND Julie, avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : C749,





Monsieur [C] [L]

[Adresse 5]

[Localité 5]



Représenté par Me Sylvie CHARDIN, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : L0079

assisté de Maître SOLAND Julie, avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : C749,





SAS DUPONT RESTAURATION

immatriculée au RCS ARRAS sous le n° B 410.151.674

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicilés audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représenté par Me Sylvie CHARDIN, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : L0079

assisté de Maître SOLAND Julie, avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : C749,







MINISTERE PUBLIC

[Adresse 4]

[Localité 2]







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 06 Novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur François REYGROBELLET, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Sophie-Hélène CHÂTEAU, Conseillère,

Madame Isabelle CHAUSSADE, Conseillère, désignée par ordonnance de M. le Premier Président, en application des dispositions de l'article R 312- 3 du code de l'organisation judiciaire,



qui en ont délibéré sur le rapport de Monsieur François REYGROBELLET.





Greffier, lors des débats : Mme Elodie RUFFIER et au prononcé par Mme Fatia HENNI..







ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par M REYGROBELLET, Conseiller faisant fonction de président et par Fatia HENNI , greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise.




* * *



Vu le jugement prononcé le 3 octobre 2012 par le tribunal de grande instance de Paris, qui, saisi sur assignation délivrée les 3 et 4 mars 2011 à la requête de la société Dupont Restauration et de MM [W] et [L], aux fins, sur le fondement des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée, de voir condamner Mmes [X] et [Z] au paiement de la somme de 10 000 euros à chacun des demandeurs ainsi que celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure pénale à la société Dupont Restauration, a débouté cette société de ses demandes et les a condamnées au titre de la diffamation non publique au paiement des sommes de 300 euros à MM [W] et [L] ainsi qu'aux dépens ;



Vu les appels de Mme [Z], en date du 8 novembre2012, et de Mme [X], par conclusions signifiées le 23 mars 2013 ;




Vu les dernières conclusions des défenderesses appelantes qui les 12 et26 septembre 2013 ont demandé :

- la confirmation du jugement sur le débouté de la société Dupont Restauration,

- l'infirmation pour le surplus au double motif,( l'argumentation étant commune aux deux défenderesses), qu' en vertu de l' article L 1152-2 et suivants du code du travail la loi du 29 juillet 1881 n'était pas applicable, d'une part, et que les courriers incriminés étaient dépourvus de tout caractère diffamatoire, d' autre part,

- la condamnation des demandeurs au paiement des sommes de 3000 euros au titre des dommages et intérêts en application de l' article 1382 du code civil, de 5000 euros au titre de l' article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu' aux entiers dépens ;





Vu les dernières écritures des demandeurs, signifiées le 16 octobre 2013 au terme desquelles, intimés et appelants à titre incident, la société Dupont Restauration et MM. [W] et [L] demandent :

- l' infirmation du jugement en ce qu' il a débouté la société Dupont Restauration et apprécié que les diffamations commises envers MM [L] et [W] n'étaient pas publiques,

- à titre qualifié de subsidiaire, la confirmation du jugement en ce que les courriers poursuivis étaient diffamatoires envers MM [L] et [W],

- à titre qualifié d' infiniment subsidiaire, la confirmation de la décision déférée en ce que le jugement avait retenu une diffamation non publique,

- la condamnation des défenderesses, au préalable déboutées de leurs demandes, au paiement des sommes détaillées au dispositif des écritures déposées ;





Vu l' ordonnance de clôture du 6 novembre 2013 ;



Considérant que le tribunal a complètement et exactement rapporté la procédure, la prévention et les faits de la cause dans un exposé auquel la Cour se réfère expressément ; qu'il suffit de rappeler que la société Dupont Restauration a repris au mois de juin 2010 le marché de gestion de la restauration collective de l' établissement EHPAD de Belleville et que l' ensemble des parties, personnes physiques, travaillait sur ce site, à savoir :

- Mmes [X] et [Z] en qualité d' employées polyvalentes,

- M [W] en qualité de chef de cuisine et M [L] en qualité de chef de secteur ;



Considérant qu'est établi le fait que Mme [X], en arrêt de travail depuis le 21 juillet 2010, a adressé deux courriers, les 6 et 29 décembre 2010 au directeur des ressources humaines de la société Dupont Restauration, à l' inspection du travail et au CHSCT que les demandeurs ont apprécié comme étant diffamatoires à leur encontre ;



Considérant qu'il est aussi constant que Mme [Z], en arrêt de travail à compter du 28 décembre 2010, a adressé un courrier le 28 décembre 2010 aux mêmes destinataires à savoir, au directeur des ressources humaine de la société Dupont Restauration, avec copie à l' inspection du travail et au CHSCT, que les demandeurs ont apprécié comme étant diffamatoire à leur encontre ;



Considérant qu' il appartient, sous le bénéfice de ces précisions, pour la Cour de vérifier, en première part, le bien fondé de l'argumentation du tribunal et la pertinence des moyens et arguments opposés par les parties ;





1 - sur l' incidence de l' article L 1152-2 du code du travail sur la procédure,



Considérant que les défenderesses ont repris leur argumentation selon laquelle la loi du 29 juillet 1881 modifiée n'est pas applicable au présent litige ' résultant de faits de harcèlement moral de salariés au travail'; qu'à ce titre, il a été spécialement conclu, d'une part, que seules les dispositions, protectrices des salariés, s'estimant victimes de harcèlement moral, édictées aux articles 1152-1 du code du travail devaient recevoir application car il devait leur être loisible de dénoncer de semblables infractions sans ' risquer de se voir reprocher une prétendue diffamation par le ou les auteurs de ce harcèlement présumé' et, d'autre part, que la loi du 29 juillet 1881 modifiée n' est pas applicable à des faits qui pourraient être qualifiés d' abus de la liberté d' expression dans l' exécution de son contrat de travail par le salarié; seule la qualification pénale de dénonciation calomnieuse étant applicable à l' espèce ;



Considérant qu'en droit, les articles 1152-1 et suivants du code du travail n' édictent pas une immunité pénale au bénéfice de celle ou de celui qui communique au moyen d' un écrit adressé, comme en l' espèce, tant à la direction des ressources humaines de la société Dupont Restauration qu' à l'inspection du travail, relatant, notamment, des faits, ( supposés), de harcèlement moral ; que si un statut protecteur du salarié qui est victime de harcèlement figure à ces articles du code du travail, il demeure que le rédacteur du courrier est redevable devant le juge de la diffamation de la formulation de ses imputations ou allégations contraires à l'honneur ou la considération des personnes ainsi visées ; que, de plus et ainsi que l'a pertinemment conclu le conseil des demandeurs [W] et [L], aucune mesure de licenciement n'ayant été notifiée aux deux rédactrices des courriers au temps de leur envoi, la jurisprudence issue de l' arrêt du 13 juin 2006 est inapplicable ;



Considérant que pour ces motifs, la cour confirmera le jugement en ce qu' il a apprécié que les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 étaient applicables au faits de l'espèce, nulle requalification en le délit pénal de dénonciation calomnieuse ne devant intervenir compte tenu de la publicité réservée par les scripteurs de ces trois courriers à ces écrits ;





2- sur le caractère diffamatoire et l' élément constitutif de publicité,



Considérant sur le caractère partiellement diffamatoire des trois courriers en cause que la Cour, adoptant la pertinente motivation du tribunal, retient de l'analyse des trois courriers que :



* vis à vis de M [L], les défenderesses lui imputent, en des termes dépourvus d' équivoque, d' avoir harcelé moralement Mme [Z], de l'avoir outragée et de l' avoir accusée de s'être volontairement blessée pour échapper à ses obligations professionnelles, tandis que Mme [X] l'accuse de harcèlement moral et physique et d'avoir incité M. [W] à la maltraiter,



* vis à vis de M [W], les défenderesses l'accusent de harcèlement, de proférer des insultes, de les avoir humiliées, menacées, voire d' avoir violenté Mme [X],



* vis à vis de la personne morale Dupont Restauration, aucune imputation ne figure dans ces trois courriers même sous la forme de l' insinuation ;



Considérant que devant la Cour les parties s'étant bornées à ne pas tenir compte du sens précis de ces trois courriers et à proposer ou à vouloir imposer un sens contraire à celui, retenu par le tribunal dans son jugement, la confirmation du jugement sera sur ce point prononcée ;



Considérant, sur le défaut de caractère public des trois courriers, que la Cour ne souscrira pas à l' analyse du tribunal qui a jugé, contrairement à la jurisprudence, issue de l' article 23 de la loi sur la presse à propos des écrits adressés à plusieurs personnes, qu'une communauté d'intérêts existait entre les destinataires ; qu'en effet, adresser un courrier au responsable des ressources humaines d'une société de droit privé, et, dans le même trait de temps, à l'inspection du travail, une administration dont la finalité, les objectifs et le mode de fonctionnement diffèrent de ceux d'une entreprise commerciale est significatif de l' intention du scripteur de ce courrier d'attirer l'attention de l'administration en charge de faire appliquer le droit du travail sur le mode de fonctionnement d' une société régie par le droit du travail, le droit commercial et l'ensemble de normes juridiques applicables à son secteur d' activités ; qu' il s'ensuit qu' aucune communauté d' intérêts n'étant caractérisée entre les préposés de la société Dupont Restauration et cette administration, l'élément constitutif de publicité sera jugé établi au cas d' espèce ; que le jugement sera sur ce point réformé ;



3- sur l' offre de preuve et l' excuse de bonne foi



Considérant en l'absence d' offre de preuve que les défenderesses auraient pu offrir suivant l' article 55 de la loi sur la presse, il incombe de vérifier si elles peuvent bénéficier de l' excuse dite de bonne foi ; qu'au cas d' espèce Mme [X] se satisfait de contester les attestations, en nombre versées aux débats par les demandeurs, de contester le contenu du procès verbal du CHSCT et de produire une seule attestation, émanant de Mme [Y], qui se borne à énoncer que Mme [X] 'a toujours été ponctuelle et très sérieuse dans son travail' et à faire état de documents médicaux qui, selon elle, établiraient qu'elle a été la victime de harcèlement ; que Mme [Z], comme Mme [X], verse de nombreux document médicaux, conteste la sincérité des pièces des demandeurs et produit deux attestations, celle de Mme [Y] et celle de [O] qui font état des comportement injurieux d'un homme prénommé [J] et décrit le harcèlement de M [W] ;



Considérant que la cour adoptant expressément la pertinente motivation du tribunal, précisément consignée aux pages 14 et 15 de sa décision jugera inopérante l' argumentation des défenderesses qui manquent dans leur nécessaire démonstration qu'elle disposait d' une base factuelle suffisante pour justifier leurs graves et réitérées mises en cause diffamatoires ; que le jugement sera en conséquence confirmé sous la réserve de l' infirmation partielle s'agissant de l' élément de publicité ;



Considérant le préjudice ayant exactement été réparé par l'allocation des sommes décidées par le tribunal, il n' y a lieu à condamnation supplémentaire des deux défenderesses, la preuve d'un préjudice moral, plus important subi par les demandeurs du fait de la publicité de ces trois courriers auprès de l'inspection du travail n'étant pas rapportée ;



Considérant qu'eu égard à la solution du litige, la société Dupont Restauration et les défenderesses seront déboutées de leurs demandes ; qu' il n' y a lieu pour des motifs tenant à la situation économique des défenderesses et à l'équité de faire application de l'article 700 pour les frais exposés en cause d' appel; qu' en dernier lieu, les défenderesses seront condamnées au paiement des dépens ;





PAR CES MOTIFS



La cour,



Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré, par mis à disposition au greffe,



Reçoit les appels,



Infirmant partiellement le jugement,



Dit que les propos poursuivis ont été rendus publics au sens de l' article 23 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée,



Confirme le jugement déféré pour le surplus,



Rejette toute autre demande;



Condamne [H] [X] ET [M] [Z] au paiement des entiers dépens.



LE CONSEILLER

FAISANT FONCTION DE PRESIDENT LE GREFFIER

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