30 janvier 2015
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 12/02927

9e Chambre B

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 30 JANVIER 2015



N° 2015/052



Rôle N° 12/02927





[O] [U]





C/



ASSOCIATION SANTE AU TRAVAIL PROVENCE

































Grosse délivrée

le :



à :



Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE



Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section E - en date du 24 Janvier 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1409.







APPELANTE



Madame [O] [U], demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE





INTIMEE



ASSOCIATION SANTE AU TRAVAIL PROVENCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège, demeurant [Adresse 2]



représentée par Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE













*-*-*-*-*



















COMPOSITION DE LA COUR





L'affaire a été débattue le 12 Novembre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :





Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre

Mme Françoise FILLIOUX, Conseillère

Mme Sylvie ARMANDET, Conseiller





qui en ont délibéré



Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.



Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2015, prorogé au 30 Janvier 2015.







ARRÊT



Contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2015.





Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
































































FAITS ET PROCÉDURE



Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 24 mai 2000, Mme [O] [U] a été engagée en qualité de médecin du travail par l'Association SANTE AU TRAVAIL-Provence. Ce contrat prévoyait une durée hebdomadaire de travail de huit heures pour la période du 24 mai au 18 août 2000 et de 35 heures à compter du 19 août 2000. Cette durée hebdomadaire a été ramenée à 32 heures, suivant avenant du 2 mai 2003.



Dans le dernier état de la relation contractuelle, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 3.926,58 € pour un horaire de travail de 32 heures par semaine.



À compter du 18 février 2008, la salariée a été en arrêt de travail pour maladie.



Le 15 septembre 2008, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement pour le 23 septembre 2008. Il l'a licenciée, par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 novembre 2008, rédigée en ces termes : «Après avoir pris le temps de la réflexion et obtenu l'autorisation administrative, nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour les motifs ci-après exprimés :

Par un premier avis, le Docteur [Q], médecin du travail, vous a déclaré inapte temporaire au poste.

17 juillet 2008, le Docteur [Q] vous a déclaré ' inapte à tous les postes dans l'entreprise, deuxième avis d'inaptitude'.

Le 9 juillet 2008, la délégation unique du personnel a été consultée en vue de rechercher toutes possibilités de reclassement.

Un procès-verbal a été dressé le même jour.

Après avoir consulté les représentants du personnel et pris en compte leur avis, l'Association SANTÉ AU TRAVAIL ' Provence a demandé au Docteur [Q], médecin du travail ayant prononcé les avis d'inaptitude, de se rendre au sein de l'entreprise afin de faire une étude de postes en vue de faciliter la possibilité de votre reclassement.

Plusieurs propositions ont été soumises au médecin du travail afin de vous reclasser.

Mais par une lettre du 29 août 2008, le Docteur [Q] a confirmé l'impossibilité de vous reclasser.

Parallèlement, il vous a été adressé une lettre portant les mêmes propositions que celles soumises à l'examen du Docteur [Q].

Nous vous demandions par ce courrier de vous positionner par rapport à ces propositions.

Vous n'avez pas répondu à ce courrier.

Vous avez donc été convoquée à un entretien préalable en vue de votre éventuel licenciement.

Par suite, votre éventuel licenciement a été soumis à l'avis de :

-de la commission de contrôle avec vote à bulletin secret en date du 30 septembre 2008 et ce, après votre audition ;

-de la délégation unique du personnel avec vote à bulletin secret en date du 2 octobre 2008 ;

-du conseil d'administration du 8 octobre 2008.

L'inspection du travail quant à elle a autorisé votre licenciement par une décision du 31 octobre 2008.

Conséquemment, vous êtes licenciée pour inaptitude physique à tenir votre poste de travail et l'impossibilité de vous reclasser, licenciement légalement autorisé par l'Administration du travail...».



Contestant la légitimité de son licenciement, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, section encadrement, par lettre du 7 mai 2009. L'affaire a été radiée le 30 novembre 2010, puis réinscrite le 9 décembre 2010 et débattue à l'audience du 3 octobre 2011, à l'issue de laquelle le conseil a, suivant jugement du 24 janvier 2012, :

-dit qu'il n'a pas compétence pour connaître de la contestation du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail ;

-dit que l'employeur n'a pas commis un harcèlement moral à l'encontre de la salariée ;

-condamné l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :

*20.000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à ses obligations contractuelles ;

*1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

-débouté la salariée du surplus de ses demandes ;

-débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle ;

-condamné l'employeur aux entiers dépens.



Le 16 février 2012, la salariée a interjeté régulièrement appel de ce jugement, procédure enrôlée sous le n° RG 12/02927. L'employeur a également formé un recours, le 24 février 2012, lequel a été enregistré sous le n° RG 12/03305. Par ordonnance du 8 mars 2012, le magistrat chargé d'instruire a joint les deux procédures sous le premier numéro.




Vu les écritures déposées par Mme [O] [U], le 12 novembre 2014, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

-infirmer le jugement entrepris ;

-dire qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement moral ayant conduit à son inaptitude et à son licenciement ;

-dire le licenciement litigieux nul, en application des dispositions de l'article L 1152-3 du code du travail ;

très subsidiairement,

-dire que l'inaptitude ayant conduit au licenciement a pour origine les manquements de l'employeur à son obligation de bonne foi ainsi que de sécurité de résultat ;

-condamner en conséquence l'employeur au paiement des sommes suivantes :

*80.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution lourdement fautive du contrat de travail, en réparation des préjudices moraux et professionnels soufferts par la salarié ;

*14.539,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis conventionnel ;

*1.453,96 € à titre d'incidence congés payés sur indemnité précitée ;

-dire qu'à titre d'indemnisation complémentaire, les sommes allouées à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'incidence congés payés produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice, avec capitalisation en application des articles 1153-1 et 1154 du code civil ;

-enjoindre à l'employeur, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, d'avoir à établir et délivrer les documents suivants : bulletin de salaire relatif au préavis et certificat de travail rectifié ;

-condamner en outre l'employeur au paiement des sommes suivantes :

*80.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la perte illégitime de l'emploi ;

*2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner l'employeur aux dépens.





Vu les écritures de l'Association SANTE AU TRAVAIL-Provence déposées le 12 novembre 2014, par lesquelles elle demande à la cour, au visa du principe de la séparation des pouvoirs et de la décision administrative d'autorisation du licenciement en date du 31 octobre 2008, de :

-réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 24 janvier 2012 en ce qu'il a condamné l'employeur pour manquement à ses obligations contractuelles et en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle ;

-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ses autres dispositions ;

statuant à nouveau,

-déclarer l'ensemble des demandes de la salariée irrecevables ;

à titre subsidiaire, en toute hypothèse,

-dire que la salariée n'a subi aucun harcèlement moral ;

-dire que l'employeur a exécuté loyalement le contrat de travail ;

-dire que le licenciement de la salariée repose sur une cause réelle et sérieuse ;

à titre reconventionnel,

-condamner la salariée à payer et à porter à l'employeur les sommes de :

*5.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

*1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Pour un plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures ci-dessus visées et réitérées oralement à l'audience du 12 novembre 2014.






SUR CE



Sur la nullité du licenciement :



La salariée, en sa qualité de médecin du travail, bénéficie d'une protection destinée à garantir son indépendance. La procédure de licenciement est inspirée de celle que l'on applique aux représentants du personnel (article L 4623-4 et suivants du code du travail).



Il ressort des éléments du dossier que la salariée a été licenciée pour inaptitude physique à tenir son poste de travail et impossibilité de reclassement, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 12 novembre 2008, après que l'employeur ait recueilli l'avis de la commission de contrôle, de la délégation unique du personnel et du conseil d'administration les 30 septembre, 2 et 8 octobre 2008 et obtenu l'autorisation de l'inspection du travail, le 31 octobre 2008.



L'autorisation de licenciement accordée par l'inspecteur du travail le 31 octobre 2008 n'ayant fait l'objet d'aucun recours, la salariée ne peut pas contester la validité de la rupture devant le juge judiciaire en invoquant des faits de harcèlement sur la base de l'article L. 1152-3 du code du travail qui rend nul les actes fondés sur un harcèlement moral.



Il convient par conséquent de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence du 24 janvier 2012 qui s'est déclaré incompétent pour connaître de la contestation du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail.



Sur les manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles :



Si le juge judiciaire ne peut pas se prononcer sur le motif de la rupture du contrat de travail de la salariée, il est compétent pour statuer sur une demande en réparation du préjudice subi en raison d'un harcèlement dont a été victime la salariée.



En effet, dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il incombe à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L 1152-1 à L 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il attribue un manquement de l'employeur à ses obligations



Il convient par conséquent d'examiner les manquements que la salariée reproche à son employeur à savoir d'avoir exercé sur elle un harcèlement moral et d'avoir violé son obligation de sécurité.



*Sur le harcèlement moral :



Selon l'article L. 1152-1 du code du travail « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »



La reconnaissance du harcèlement moral suppose trois conditions cumulatives : des agissements répétés ; une dégradation des conditions de travail ; une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l'avenir professionnel du salarié.



En application de l'article L.1154-1 du code du travail, il appartient au salarié qui prétend avoir été victime de harcèlement moral, d'établir des faits précis et concordants permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



Au soutien de sa demande tendant obtenir la reconnaissance du harcèlement moral qu'elle prétend avoir subi et qui serait à l'origine de son inaptitude professionnelle, la salariée soutient :



-qu'elle a enduré, pendant plusieurs années, la désorganisation de son secrétariat, illustré par des changements de secrétaire de plus en plus fréquents, sans que son accord, ni même son simple avis ait été recherché à cette occasion. Elle ajoute que ces changements intempestifs de secrétariat ont entraîné un très sensible accroissement de sa charge de travail, ainsi que de très nombreux dysfonctionnements dans la mesure où les secrétaires qui lui ont été successivement affectés ne connaissaient ni le secteur, ni les entreprises et leurs salariés et qu'ils n'avaient pas le temps de s'accoutumer aux méthodes de travail que le médecin du travail détermine dans l'exercice de son art.



-que suivant courrier électronique du 4 septembre 2007, elle a attiré l'attention de son employeur sur le fait que le secret médical et l'obligation de confidentialité n'étaient pas respectés, en raison d'une isolation phonique du bureau défectueuse et du fait que les messages électroniques des employeurs arrivaient sur le poste de la secrétaire et non pas du médecin et que la réponse qui lui a été réservée témoigne le peu de considération de l'employeur à son égard.



-que le 21 décembre 2001, elle a demandé sa mutation à [Localité 2] pour y occuper un poste qui devait devenir vacant, car elle était désireuse d'échapper aux conditions de travail qu'elle endurait et que l'employeur a refusé cette mutation, alors qu'il rencontrait des difficultés à trouver un médecin du travail pour occuper ce poste, quatre médecins s'y étant succédé un an.



-que le 21 janvier 2003, elle a subi une opération chirurgicale nécessitée par la section d'un tendon à la main droite ; qu'elle s'est trouvée en arrêt de travail jusqu'au 23 mars 2003, puis du 15 octobre 2003 au 31 janvier 2004, en raison d'une rechute et que l'employeur n'a pas hésité à exercer des pressions sur elle, alors qu'elle était fragilisé en raison de son état de santé, en lui adressant plusieurs courriers, les 16 septembre et 22 octobre 2013, pour la faire culpabiliser ou lui faire des reproches.



-qu'elle a été la cible d'une multitude de mesures qui avaient pour objet de la brimer à savoir : un refus de congé injustifié, le retrait de son secteur d'une entreprise sans que l'employeur n'ait pris la peine de solliciter préalablement son avis, des retards de paiement de ses frais de septembre et novembre 2007 et l'absence d'attribution d'un secrétaire chauffeur lors des 'sorties camions' permettant d'assurer les visites médicales sur le lieu de travail des salariés.



S'agissant de l'atteinte à la santé de la salariée, elle ne saurait niée en l'état des certificats médicaux et avis d'inaptitude du 17 juillet 2008.





Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



*Sur la désorganisation du secrétariat :



La salariée se plaint tout d'abord du fait que son avis n'était pas sollicité à l'occasion des changements de secrétaire.



S'il est exact que le secrétariat médical est recruté avec l'accord du médecin du travail, en revanche cet accord n'a plus à être recherché lorsque le changement résulte d'une mutation interne au service, dans la mesure où la direction dispose déjà d'une connaissance des qualités et compétences de la secrétaire médicale faisant l'objet d'une modification d'affectation interne.



C'est en ces termes-là que l'inspecteur du travail s'est adressé à l'employeur dans un courrier qu'il lui a adressé le 11 octobre 2006, à la suite de sa visite sur les lieux motivée par le fait qu'il avait été rendu destinataire d'échange de correspondance entre la salariée et sa direction sur cette question. À l'issue de ce courrier, l'inspecteur du travail a demandé à l'employeur de lui communiquer la fiche de consultation du médecin du travail en ce qui concerne les recrutements externes. Ce qui semble avoir été fait puisqu'aucune suite n'a été donnée à cette visite.



L'employeur établit ensuite que les changements de secrétaires ont eu lieu pour des nécessités de service et non pas pour des raisons inhérentes à la salariée:

-Mme [A] [H] s'est vue proposer un contrat à durée indéterminée avec Mme [U], après son contrat à durée déterminée, mais elle a préféré quitter l'entreprise pour des raisons qui lui sont propres ;

-Mme [P] [G] a demandé sa mutation sur le centre de [Localité 1] pour convenances personnelles;

-Madame [N] [T] a souhaité, après sa maternité, être mutée sur le centre de la ZUP ;

-Mme [C] [Z] a postulé à un poste laborantine mobile, puis en laboratoire à temps complet sur le centre des arts et métiers ;

-Mme [M] [W] a démissionné deux mois après le commencement de son contrat de travail pour un emploi dans un autre établissement ;



-M. [F], secrétaire médicale chauffeur de profession a été affecté au secrétariat de la salariée à temps complet mais, en raison de graves problèmes de santé rencontrés par l'autre secrétaire médical chauffeur, M. [I], il a dû faire des remplacements.



*Sur le non-respect du secret médical et de la confidentialité :



La salariée reproche ensuite à l'employeur une isolation phonique du bureau défectueuse et le fait que les messages électroniques des employeurs arrivent sur le poste de la secrétaire et non pas sur celui du médecin, de sorte qu'elle considère que le secret médical et la confidentialité ne sont pas respectées.



Elle a dénoncé cette situation à l'employeur par courrier électronique du 4 septembre 2007. Celui-ci lui a répondu le lendemain en lui indiquant que la question de l'isolation du bureau n'avait pas été posée au CHSCT, mais que M. [F] avait envoyé un mail fin juillet et que dès fin août un devis avait été demandé au menuisier. Il lui a également indiqué qu'il n'avait aucun moyen de diriger le mail sur une personne ou une autre et que seul l'expéditeur décidait de l'adresse à qui envoyer son message.



En outre, l'employeur produit plusieurs attestations de médecins de travail attestant que les locaux étaient adaptés pour l'exercice de leurs fonctions :



-Mme [X] [R] a attesté qu'elle travaillait dans un cabinet médical parfaitement isolé où le secret médical était absolument respecté ainsi que la confidentialité.



-M. [K] [S] a attesté dans les termes suivants : «Le cabinet médical que j'occupe, ainsi que ceux de mes voisins immédiats, sont parfaitement insonorisés et garantissent une confidentialité de la consultation médicale. Je considère donc que les conditions matérielles dans lesquelles j'effectue des consultations me permettent de respecter le secret médical auquel je suis pénalement et déontologiquement tenu. Je n'ai personnellement jamais entendu un confrère du centre des milles se plaindre d'un quelconque problème de locaux pouvant porter atteinte à la confidentialité de la consultation médicale.»



La salariée ne saurait donc soutenir que l'employeur se désintéressait de la question de la confidentialité et n'avait pris aucune mesure pour préserver le secret médical.



*Sur le refus de la mutation sollicitée le 21 décembre 2001 :



La salariée ne démontre pas qu'elle a sollicité cette mutation pour échapper à ses conditions de travail, comme elle le soutient. En effet, aucun motif n'a été invoqué à l'appui de sa demande de mutation. Elle n'établit pas davantage que le refus que lui a opposé l'employeur était injustifié. Elle n'a formulé aucune doléance à la suite de ce refus et elle a accepté de signer l'avenant au contrat de travail du 2 mai 2003.



*Sur les pressions exercées durant l'arrêt de travail de la salariée :



La salariée a été en arrêt de travail du 21 janvier au 23 mars 2003, puis du 15 octobre 2003 au 31 janvier 2004, en raison de la section d'un tendon à la main droite. Elle soutient que l'employeur n'a pas hésité à exercer des pressions sur elle, alors qu'elle se trouvait dans une situation de fragilité en raison de son état de santé en lui adressant plusieurs courriers, les 16 septembre et 22 octobre 2013, pour la faire culpabiliser ou lui faire des reproches.



Le courriel du 16 septembre 2003 est ainsi rédigé : «Docteur, je souhaiterais faire le point avec vous sur le suivi des entreprises : y a t il un retard ou pas. Si oui, compte tenu que :

1° Le Dr [J] depuis son arrivée disposait d'un sous-effectif de 500 salariés jusqu'au 1er septembre lui permettant de vous aider ;

2°Vous allez être absente 1 mois : je ne dispose pas de possibilité de remplacement.

Comment comptez vous régler ce problème '»



Dans le courrier du 22 octobre 2013, l'employeur a demandé à la salariée de prendre les mesures nécessaires pour que le suivi des adhérents soit correctement assuré, de se rapprocher du Docteur [D], dès son retour de congé maladie, pour reprendre la moitié des effectifs qu'elle lui avait confié et de lui adresser la liste des entreprises suivies.



Il est évident que ces courriers qui ont été adressés à la salariée alors qu'elle était en congé maladie étaient déplacés. Néanmoins, ils ne recèlent aucune intention de nuitre. En outre, étant isolés, ces correspondances ne sauraient être analysés comme des faits de harcèlement moral.



*Sur l'existence d'une multitude de brimade :



-Le refus injustifié de congés : En avril 2007, la salariée a sollicité la possibilité d'assurer une permanence en août, afin de prendre une semaine de congés en septembre, comme elle avait l'habitude de le faire. L'employeur n'a pas accédé à cette demande au motif que : «les trois postes de médecins pour la permanence du mois d'août ont déjà été pourvus.» Le fait qu'un quatrième médecin ait été affecté sur la permanence du 13 au 20 août n'est pas suffisant pour établir que le refus qui lui a été opposé n'était pas légitime.



-Le retrait d'une entreprise qu'elle avait jusque là en gestion : l'employeur reconnaît que la salariée s'est vue retirer la société SEBAGEC qu'elle gérait, mais il explique ce retrait par le fait que cette société a été absorbée par la société EPHTA, dont un autre docteur s'occupait. Ce retrait était donc justifié par un élément objectif.



-Le retard dans le paiement des notes de frais : l'employeur établit que ce retard est imputable à la salariée qui avait tardé à lui adresser ses notes de frais et qui l'avait fait en ne respectant pas le canevas mis en place par l'entreprise.



-L'absence d'un secrétaire chauffeur affecté en permanence : Il ressort des débats que la salariée n'avait pas d'entreprise en nombre suffisant pour que lui soit affecté en permanence un secrétaire chauffeur et qu'elle n'était pas la seule dans cette situation.



Force est de constater que les agissements dénoncés par la salariée ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que les décisions de l'employeur sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. La décision des premiers juges qui a débouté la salariée de ce chef de demande sera donc confirmée.



*Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité :



La salariée soutient que l'employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité à l'origine de son inaptitude médicale qui a conduit à son licenciement.



En application de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard de son personnel d'une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs.



S'agissant d'une obligation de résultat, elle a pour effet de dispenser le salarié victime de rapporter la preuve d'une faute de l'employeur et de ne permettre à ce dernier d'échapper que très difficilement à sa responsabilité.



C'est ainsi que la responsabilité de l'employeur est engagée sauf s'il arrive à prouver que l'atteinte à la santé du salarié est dûe à sa faute exclusive ou qu'elle s'explique par des circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures.



En l'espèce, il n'est pas contesté que la salariée a enduré, pendant plusieurs années, la désorganisation de son secrétariat ; que ces changements de secrétaire de plus en plus fréquents, ont entraîné un accroissement de sa charge de travail, ainsi que de très nombreux dysfonctionnements.



Elle établit par les éléments qu'elle produit qu'à de nombreuses reprises, elle s'est plainte auprès de son employeur du remplacement trop fréquent de ses secrétaires et des conséquences en résultant sur ses conditions de travail. Par exemple :



-Suivant courriel du 12 août 2004, elle lui a fait part des difficultés rencontrées et du surcroît de travail en résultant : «J'ai eu beaucoup de travail en juillet, avec beaucoup de secrétariat ; étant donné que je devais insister auprès de ma secrétaire pour avoir les fiches d'aptitude et quelques dossiers complétés ; ensuite, pendant son absence, il a fallu que je reprenne en main les intermittents du spectacle de l'ATP, que je vois avec Me [E] pour les réciprocités, que je réponde au téléphone afin de compléter les rendez-vous manquants, je l'ai fait manuellement, ne connaissant pas le programme de secrétaires. Bref comme vous pouvez le voir, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour une bonne marche du service.»



-Le 22 décembre 2004, elle a écrit à son employeur en ces termes : «Il faut que je vous tienne au courant des dysfonctionnements de mon secrétariat afin que cela ne me soit pas attribué par la suite.[...] Enfin, en raison de la valse des secrétaires, je n'ai pas toujours eu à ma disposition les moyens pour effectuer mon travail. J'ai beaucoup de fiches à faire et je sature un peu de faire du secrétariat depuis le départ de Mme [T]. Je souhaite qu'en 2005 des dispositions soient prises afin de me fournir une assistante connaissant stétho ; j'ai un secteur lourd et difficile à gérer en secrétariat, je vous l'avais déjà dit cet été quand [A] s'est absentée pour maladie...»



-Le 24 juillet 2006, elle lui a indiqué : «Je suis surprise de la fréquence de plus en plus grande des déplacements de secrétaires en dehors de son poste, ce qui commence à nuire à la bonne marche du secteur ainsi que la qualité du service rendu aux employeurs (certaines plaintes ont déjà été formulées) Je ne comprends pas le principe d'une mutation temporaire qui perturbera trop le secteur en raison de sa complexité, la formation d'un secrétaire est longue et la gestion des rendez-vous exige une parfaite connaissance des entreprises. Je vous demande un entretien, car je suis encore très préoccupée par l'avenir.»



-Le 25 octobre 2007, la salariée a adressé un long courrier à l'employeur au sujet des difficultés qu'elle rencontrait et a évoqué une situation de harcèlement moral.



La salariée a également signalé ces dysfonctionnements dans ses rapports annuels d'activité, en ces termes :



-en 2004 : «Grand dysfonctionnement au niveau du secrétariat, non-respect des convocations, aucune coopération, formation au programme stétho tardive».



-en 2006 : «Bien que chaque remplaçante fasse au mieux pour m'aider, on ne peut que déplorer un dysfonctionnement certain du secteur : le manque de suivi du secrétariat entraîne un égarement de dossiers, un non-respect des convocations semestrielles et annuelles, l'impossibilité de répondre parfois aux questions posées par téléphone par les employeurs. Il serait temps que l'association m'affecte une secrétaire médicale de manière stable, afin que mon secteur puisse aussi participer de la qualité de l'association.»



-en 2007 : «J'ai signé un contrat pour travailler mais pas pour subir des procédés vexatoires et discriminatoires. Je suis en mesure d'attendre de l'association qu'elle mette tous les moyens à ma disposition pour que je puisse effectuer mon travail dans de bonnes conditions, non pas pour avoir un service déstabilisé de façon trop fréquente ces dernières années en déplaçant mes secrétaires, soit vers le laboratoire, soit vers les camions, ceci ayant porté atteinte à ma santé.»



Nonobstant les nombreuses réclamations de la salariée, l'employeur n'a procédé à aucune modification de l'organisation du service, pour améliorer les conditions de travail de la salariée. Le 18 février 2008, la salariée a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie. A l'issue de la seconde visite médicale de reprise, le 17 juillet 2008, elle a été déclarée inapte à tous les postes dans l'entreprise. Elle a été licenciée le 12 novembre 2008 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.



Or, il ressort des certificats médicaux du Docteur [V] [Y] en date des 25 février et 20 mai 2008 que la salariée a présenté un syndrome dépressif, attribué à des difficultés relationnelles au sein de son travail, vécues comme une véritable persécution et que son état a nécessité un traitement spécifique : Deroxat, Lexomil et Stilnox.



Manifestement, la salariée s'est trouvée confrontée à une organisations carencée du service qui a eu des répercussions sur sa santé mentale.



Ainsi, l'employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité à l'égard du salarié. Or, il ne démontre pas que la dégradation de l'état de santé de la salariée est dû à la faute exclusive de la victime ou qu'il s'explique par des circonstances relevant de la force majeure, de sorte qu'il doit être déclaré responsable de la dégradation de l'état de santé de la salariée, ayant conduit à son licenciement pour inaptitude le 12 novembre 2008. Il convient par conséquent de confirmer la décision entreprise.



Le salariée est en droit de se voir accorder des dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, ainsi qu'une indemnisation complémentaire visant à l'indemniser pour la perte de son emploi et une indemnisation compensatrice de préavis et ce, même si elle a été dans l'impossibilité physique de l'exécuter.



Tenant l'âge de la salariée au moment de la rupture (58 ans), de son ancienneté (8 ans) de son salaire moyen mensuel brut (soit 3.926,58 €) et compte tenu du fait qu'elle n'a retrouvé un emploi qu'à partir de décembre 2009, il y a lieu de lui allouer l'indemnisation suivante :

-11.779,74 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) ;

-1.177,97 € pour les congés payés y afférents ;

-20.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

-30.000 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de son emploi.



La décision qui lui a alloué la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts sera donc réformée.



Sur les autres demandes :



Les intérêts au taux légal avec capitalisation sur le fondement de l'article 1154 du code civil sur les sommes sus visées seront dus dans les conditions précisées au dispostif.



La remise de l'attestation Pôle Emploi et d'un bulletin rectificatif conforme au présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte.



La décision qui a accordé à la salariée la somme de 1.000 € en paiement de ses frais irrépétibles et condamné l'employeur aux dépens de première instance sera confirmée.



Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à la salariée la somme de 1.000 € à ce titre.



L'employeur doit être débouté de sa demande tendant à obtenir des dommages-intérêts et intérêts pour procédure abusive et de celle en paiement de ses frais irrépétibles.



L'employeur qui succombe doit être tenu aux dépens d'appel.





PAR CES MOTIFS





LA COUR,



Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages et intérêts.



Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,



Condamne l'ASSOCIATION SANTE AU TRAVAIL-PROVENCE à payer à Mme [O] [U], les sommes suivantes :



-11.779,74 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

-1.177,97 € pour les congés payés y afférents ;

-20.000 € à titre de dommages- intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité;

-30.000 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de son emploi ;

-1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Dit que les intérêts au taux légal avec capitalisation en application de l'article 1154 du code civil sont dus sur la créance salariale (indemnité de préavis) à compter du 13 décembre 2010, date de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et à compter du présent arrêt pour les autres sommes.





Déboute l'employeur de sa demande tendant à obtenir des dommages-intérêts et intérêts pour procédure abusive et de celle en paiement de ses frais irrépétibles.



Ordonne la remise par l'ASSOCIATION SANTE AU TRAVAIL-PROVENCE à Mme [O] [U] de l'attestation Pôle Emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt.



Condamne l'ASSOCIATION SANTE AU TRAVAIL-PROVENCE aux dépens d'appel.





LE GREFFIERLE PRESIDENT

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