5 février 2014
Cour de cassation
Pourvoi n° 12-24.980

Chambre sociale

ECLI:FR:CCASS:2014:SO00303

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé en qualité de chauffeur routier le 6 novembre 2002 par la société Transports Weber, M. X... a été licencié pour faute grave par une lettre du 8 mars 2006, l'employeur lui reprochant des violations répétées des règles de sécurité relatives aux temps de conduite ; que la société Transports Weber a été placée en liquidation judiciaire le 31 août 2010 ;


Sur le premier moyen :


Vu les articles L. 1132-1, L. 3121-11, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;


Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter en conséquence le salarié de ses demandes à ce titre, la cour d'appel énonce que la matérialité des faits de dépassement des temps de conduite est établie par les pièces produites et que le salarié ne peut se prévaloir du fait que d'autres employés aient commis également des faits fautifs, aucun traitement discriminatoire n'étant relevé de par son pouvoir de sanction disciplinaire ;


Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher d'une part, si la décision de l'employeur de sanctionner puis licencier ce salarié à la différence de ses collègues ayant commis les mêmes faits fautifs, était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et ne procédait d'aucun détournement de pouvoir, d'autre part, sans vérifier si les heures de travail accomplies par l'intéressé en violation des règles relatives aux temps de conduite, n'étaient pas rendues nécessaires par les tâches qui lui étaient confiées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;




Sur le second moyen :


Vu l'article 2244 du code civil ;


Attendu que pour dire prescrites les demandes de rappel d'heures supplémentaires, de repos compensateur et de primes, correspondant à la période antérieure au mois de mai 2004, la cour d'appel énonce que la demande en référé du 16 avril 2006 avait pour seul objet la délivrance des copies de disques chrono-tachygraphes afin de vérifier le nombre d'heures effectuées et rémunérées, aucune contestation salariale n'ayant été formée à l'appui de cette demande, de sorte qu'il ne peut être utilement soutenu que les deux actions tendant au même but, la première avait interrompu la prescription ;


Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en production des disques chrono-tachygraphes afin de vérifier le nombre d'heures effectuées et rémunérées et l'action en paiement des heures de travail accomplies non rémunérées poursuivent un seul et même but, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement fondé sur une faute grave et déboute le salarié de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, ainsi qu'en ce qu'il dit les demandes de rappels d'heures supplémentaires, repos compensateurs, prime de déplacement, pour les périodes antérieures à mai 2004 prescrites, l'arrêt rendu le 29 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;


Condamne le CGEA de Nancy et Mme Y..., ès qualités,
aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le CGEA de Nancy et Mme Y..., ès qualités, à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quatorze.



MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. X...



PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de M. X... pour faute grave justifié et de l'AVOIR en conséquence débouté de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail,


AUX MOTIFS QUE la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou de la relation de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; qu'il appartient à l'employeur et à lui seul d'en rapporter la preuve, étant rappelé que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, M. X... a été licencié pour avoir en dépit de circulaires régulières et de six avertissements (le 09.04.2005, le 26.05.2005, le 01 .07.2005, le 10.11.2005, le 17.12.2005 et le 11.01.2006) persisté de façon récurrente à ne pas respecter la législation des transports, notamment en ce qui concerne le temps de travail et de repos, le contrôle périodique des disques ayant relevé de très nombreuses infractions sur les derniers mois (en janvier 2006 ainsi 12 infractions en une semaine) la lettre de licenciement faisant en outre état de manquements dans l'application de la procédure MAD (courrier du 17 février 2006) et dans le soin à apporter au matériel mis à disposition (courrier du 8 février 2006), camion sale et bâche déchirée (courrier du 17 février 2006) ; que le fait que les précédents avertissements aient ou non été précédés d'un entretien préalable est sans incidence, cette sanction n'étant pas de nature à affecter la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que si un même fait ne peut justifier successivement deux mesures disciplinaires, l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à se prévaloir de griefs antérieurs, même s'ils ont déjà été sanctionnés ; que tel est bien le cas puisque la lettre de licenciement se fonde sur la persistance de l'attitude du salarié à ne pas respecter la législation sur les temps de conduite caractérisée par le fait de nouvelles infractions la première semaine de janvier 2006, révélées postérieurement par l'analyse des disques, peu important que ces faits nouveaux n'aient pas été, ce qui n'est pas démontré, invoqués lors de l'entretien puisque cités dans la lettre de licenciement ; que le salarié ne peut se prévaloir du fait que d'autres employés aient commis également des faits fautifs, aucun traitement discriminatoire n'étant relevé de par son pouvoir de sanction disciplinaire ; que la matérialité des faits reprochés, au demeurant non contestée, est établie par les pièces produites et justifie le licenciement pour faute grave ; que les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail seront rejetées ;


1°) ALORS QU'en vertu du principe non bis in idem, l'employeur ne peut licencier pour faute grave un salarié en se fondant uniquement sur des fautes déjà sanctionnées par des avertissements, ce qui épuise le pouvoir disciplinaire de l'employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les fautes qui étaient reprochées à M. X... dans la lettre de licenciement avaient déjà été sanctionnées par des avertissements, notamment ceux du 11 janvier 2006 et des 8 et 17 février 2006 ; qu'en estimant cependant que l'employeur n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire, et pouvait donc licencier le salarié pour faute grave, en raison de faits concernant la première semaine de janvier 2006 qui n'auraient pas déjà été sanctionnés par des avertissements, sans à aucun moment caractériser quels faits précis, et à quelle date, n'auraient pas déjà donné lieu à un avertissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble le principe non bis in idem ;


2°) ALORS QU'un employeur ne peut licencier pour faute grave un salarié en se fondant uniquement sur des fautes déjà sanctionnées par des avertissements, et sur des fautes commises par le salarié postérieurement à l'entretien préalable de licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les fautes qui étaient reprochées à M. X... dans la lettre de licenciement avaient déjà été sanctionnées par des avertissements, notamment ceux du 11 janvier 2006 et des 8 et 17 février 2006, à l'exception des nouvelles infractions commises par le salarié la première semaine du mois de janvier 2006 car elles n'auraient été révélées à l'employeur que postérieurement par l'analyse des disques ; que la cour d'appel en a déduit que la lettre de licenciement se fondait sur la persistance de l'attitude du salarié à ne pas respecter la législation sur les temps de conduite caractérisée par le fait de nouvelles infractions commises la première semaine de janvier 2006 ; que la cour d'appel a ajouté qu'il importait peu que ces faits nouveaux n'aient pas été invoqués lors de l'entretien préalable dès lors qu'ils avaient été cités dans la lettre de licenciement ; qu'en statuant ainsi, quand il était au contraire déterminant de savoir si l'employeur avait découvert les infractions qui auraient été commises par le salarié la première semaine de janvier 2006 avant ou après l'entretien préalable au licenciement, puisque dans ce dernier cas cela signifiait que l'employeur avait initié la procédure de licenciement et avait tenu l'entretien préalable alors même qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucune faute du salarié qui n'aurait pas déjà été sanctionnée, et donc de nature à fonder une sanction, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;


3°) ALORS en outre QUE c'est à l'employeur qu'il incombe de prouver la faute grave ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a ajouté que, au demeurant, le salarié ne démontrait pas que l'employeur n'aurait pas invoqué lors de l'entretien préalable les infractions commises par le salarié la première semaine de janvier 2006 ; qu'en faisant ainsi peser la charge de la preuve sur le salarié, quand c'était à l'employeur de prouver qu'à la date de l'entretien préalable de licenciement, il avait déjà découvert ces nouvelles infractions qui n'avaient pas déjà été sanctionnées, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;


4°) ALORS QUE le salarié qui invoque une discrimination doit seulement établir une différence de traitement de nature à laisser supposer la discrimination, à charge pour l'employeur de justifier son comportement par des raisons objectives étrangères à toute discrimination ; que si l'employeur peut, dans l'exercice de son pouvoir d'individualisation des sanctions disciplinaires et dans l'intérêt de l'entreprise, sanctionner différemment des salariés ayant commis des fautes de même nature ou ne pas sanctionner l'un d'eux, ce n'est qu'à condition qu'il le fasse sans discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail ni détournement de pouvoir ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir que l'employeur n'avait pas sanctionné d'autres chauffeurs qui avaient pourtant commis autant d'infractions que lui, et que l'employeur utilisait en réalité le recensement des infractions commises par les chauffeurs pour pouvoir ensuite faire pression sur ceux dont il voulait se séparer ; que pour juger que la faute grave était justifiée, la cour d'appel a relevé que le salarié ne pouvait se prévaloir du fait que d'autres employés avaient commis également des faits fautifs, aucun traitement discriminatoire n'étant relevé de par son pouvoir de sanction disciplinaire ; qu'en statuant ainsi, quand la circonstance que des salariés ayant eu le même comportement que M. X... n'ait pas été sanctionné, était de nature à laisser supposer une discrimination, de sorte qu'il incombait ensuite à l'employeur de justifier objectivement la manière différenciée dont il exerçait son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve de la discrimination sur le salarié, a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;


5°) ALORS QUE si l'employeur peut, dans l'exercice de son pouvoir d'individualisation des sanctions disciplinaires et dans l'intérêt de l'entreprise, sanctionner différemment des salariés ayant commis des fautes de même nature ou ne pas sanctionner l'un d'eux, ce n'est qu'à condition qu'il le fasse sans discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail ni détournement de pouvoir ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir que l'employeur n'avait pas sanctionné d'autres chauffeurs qui avaient pourtant commis autant d'infractions que lui, et que l'employeur utilisait en réalité le recensement des infractions commises par les chauffeurs pour pouvoir ensuite faire pression sur ceux dont il voulait se séparer ; que pour juger que la faute grave était justifiée, la cour d'appel a relevé que le salarié ne pouvait se prévaloir du fait que d'autres employés avaient commis également des faits fautifs, aucun traitement discriminatoire n'étant relevé de par son pouvoir de sanction disciplinaire ; qu'en statuant ainsi, en se bornant à constater l'absence de discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail, sans rechercher si l'employeur n'avait pas commis un détournement de pouvoir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;


6°) ALORS QUE ne peuvent justifier un licenciement pour faute grave les infractions à la réglementation de la durée du travail commises par un chauffeur routier lorsqu'elles ne sont que la conséquence des directives et des plannings qui lui ont été donnés par l'employeur ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir que s'il avait pu commettre des infractions à la durée du travail telle que prévue par la réglementation des transports routiers, c'était parce que les directives de l'employeur quant aux livraisons à effectuer ne lui permettaient pas de respecter cette réglementation ; que pour juger que la faute grave était caractérisée, la cour d'appel s'est bornée à relever que la matérialité des faits reprochés, au demeurant non contestée, était établie par les pièces produites et justifiait le licenciement pour faute grave ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, nonobstant leur matérialité, les fautes commises par le salarié n'étaient pas la conséquence des directives qui lui étaient données par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit les demandes de M. X... de rappels d'heures supplémentaires, repos compensateurs, prime de déplacement pour les périodes antérieures à mai 2004 irrecevables comme prescrites ;


AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L. 3245-1 du code du travail, « l'action en paiement du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil » ; que la demande en référé du 16 avril 2006 avait pour seul objet la délivrance des photocopies des disques chronotachygraphes afin de vérifier le nombre d'heures effectuées et rémunérées, sans même qu'il ait été allégué l'existence d'heures supplémentaires dans leur principe, aucune contestation salariale n'ayant été formée à l'appui de la demande comme cela résulte de l'arrêt du 14 novembre 2006, de sorte qu'il ne peut être soutenu utilement que les deux actions tendaient au même but et que la deuxième était virtuellement comprise dans la première ; qu'elle n'a donc pas interrompu la prescription ; que celle-ci ne l'a été que par la saisine du conseil de prud'hommes le 12 mai 2004, laquelle interrompt la prescription de toutes les demandes dérivant du même contrat de travail même présentées ; que les demandes au titre de la période antérieure à mai 2004 sont donc irrecevables comme prescrites ;


1°) ALORS QUE la prescription quinquennale ne s'applique pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier ; que la cour d'appel a constaté que le salarié avait saisi le 16 avril 2006 la formation des référés du conseil de prud'hommes de Lille afin d'obtenir les disques tachygraphes pour la période du 1er décembre 2002 au 28 février 2005 afin de vérifier si toutes les heures qu'il avait travaillées lui avaient été rémunérées ; que cette saisine avait abouti au prononcé d'un arrêt de la cour d'appel de Douai du 31 mai 2007 ordonnant à la société de fournir les disques chronotachygraphes relatifs à la période 1er décembre 2002-28 février 2005 ; qu'en estimant cependant qu'étaient atteintes par la prescription quinquennale les demandes de rappel de salaires afférentes à la période antérieure à mai 2004, quand il était établi que le salarié ne disposait pas, avant l'exécution de la décision de la cour d'appel de Douai du 31 mai 2007, des éléments lui permettant de connaître sa créance, la cour d'appel a violé les articles 2241 du code civil et L.3245-1 du code du travail ;


2°) ALORS en outre QUE si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que si M. X... a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de rappel d'heures supplémentaires le 12 mai 2009, il avait précédemment saisi le 16 avril 2006 la formation des référés du conseil de prud'hommes de Lille afin d'obtenir les disques tachygraphes pour la période du 1er décembre 2002 au 28 février 2005 afin de vérifier si toutes les heures qu'il avait travaillées lui avaient été rémunérées et, si tel n'était pas le cas, pouvoir ultérieurement saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de rappel d'heures supplémentaires ; que la cour d'appel a cependant jugé que la demande en référé du 16 avril 2006 avait pour seul objet la délivrance des photocopies des disques chronotachygraphes afin de vérifier le nombre d'heures effectuées et rémunérées, sans même qu'il ait été allégué l'existence d'heures supplémentaires dans leur principe, aucune contestation salariale n'ayant été formée à l'appui de la demande comme cela résultait de l'arrêt du 14 novembre 2006, de sorte qu'il ne pouvait être soutenu utilement que les deux actions tendaient au même but et que la deuxième était virtuellement comprise dans la première ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 2241 du code civil et R. 1452-1 du code du travail.

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