20 septembre 2011
Cour de cassation
Pourvoi n° 10-24.523

Chambre commerciale financière et économique

ECLI:FR:CCASS:2011:CO00872

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a fait figurer dans ses déclarations relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune, pour les années 1997 à 2003, au titre des biens professionnels exonérés, des actions qu'elle détenait dans le capital d'une société, en précisant les fonctions de direction qu'elle y exerçait ainsi que le pourcentage du capital qu'elle détenait et la valeur des actions ; que suivant notification de redressement du 13 mai 2004, l'administration fiscale a remis en cause, en faisant application du délai de reprise décennal prévu par l'article L. 186 du livre des procédures fiscales, la qualification de biens professionnels attribuée à ces actions ; qu'après mise en recouvrement des droits complémentaires, Mme X..., invoquant l'application de la prescription de trois ans prévue par l'article L.185 du même code, a demandé le dégrèvement des droits et intérêts relatifs aux années 1997 à 2000 ; que cette réclamation ayant été rejetée, Mme X... a fait assigner l'administration fiscale devant le tribunal de grande instance ;


Sur le moyen unique, pris en sa première branche :


Vu les articles L. 180 et L. 186 du livre des procédures fiscales ;


Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le droit de reprise décennal n'est ramené à un délai expirant à la fin de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée que si l'exigibilité des droits a été suffisamment révélée à l'administration par le document enregistré ou présenté à la formalité, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures ;


Attendu que, pour confirmer le jugement ayant écarté la prescription décennale, l'arrêt retient que l'administration fiscale savait dès le dépôt des déclarations que les droits sociaux qui y étaient mentionnés faisaient partie du patrimoine de Mme X... et que la circonstance que celle-ci les aient considérés comme biens professionnels exonérés ne permet pas d'assimiler sa situation à celle d'un contribuable ayant omis de déclarer un élément de patrimoine ; qu'il ajoute que la situation de l'administration fiscale, en possession de la déclaration de la contribuable mentionnant des biens professionnels exonérés était analogue à sa situation lors de la sous-évaluation d'un bien figurant dans une déclaration et que l'administration fiscale était à même, sans être tributaire de révélations ou de recherches ultérieures, de vérifier immédiatement le bien fondé de l'exonération, au vu des renseignements dont elle disposait déjà sur la société et sur la déclarante, ou en lui demandant des informations complémentaires, de façon à vérifier la liquidation des droits, comme elle peut, à partir d'éléments de comparaison, remettre en cause la valeur déclarée d'un bien ;


Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, s'agissant du contrôle de la qualification de biens professionnels déclarés, la prescription décennale était applicable, l'administration ayant été conduite à procéder à des recherches ultérieures pour prouver l'exigibilité des droits éventuellement omis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :


Vu l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;


Attendu que, pour confirmer le jugement ayant écarté la prescription décennale, l'arrêt retient que dans la réponse ministérielle Charles Y... du 2 octobre 1989, l'administration fiscale a indiqué que s'agissant de biens mentionnés dans une déclaration ISF, "le délai de reprise de l'administration s'exerce, notamment en ce qui concerne les éventuelles insuffisances d'évaluation, jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de la déclaration concernée", que par ailleurs, "leur omission dans les déclarations antérieures, y compris celles relatives à l'impôt sur les grandes fortunes, autorise l'administration fiscale à en opérer le redressement dans les limites de la prescription décennale" et ajoute que l'administration est mal fondée à limiter la portée de cette réponse au cas précis des avoirs à l'étranger ayant donné lieu à la question, dès lors que de façon plus générale, sa documentation de base 2002 reprend cette position en indiquant, au chapitre prescription abrégée, que "ne constituent pas des recherches ultérieures au sens de l'article L.180 du livre des procédures fiscales, celles qui ont pour but de recueillir les précisions utiles à la liquidation des droits" et au chapitre prescription décennale qu'elle "s'applique en matière de non-déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune" et "d'omission de biens, droits ou valeurs dans la déclaration d'ISF" ;


Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, si la doctrine administrative peut être opposée à l'administration, c'est à la condition qu'elle s'applique expressément et directement à la situation en cause, la cour d'appel, qui, saisie d'un contentieux portant sur l'exigibilité de l'impôt de solidarité sur la fortune à la suite d'une déqualification d'actions de société, s'est fondée sur une doctrine relative à la liquidation de l'impôt contraire à celle existant en matière d'exigibilité et a appliqué par analogie la doctrine sur la sous évaluation à une situation différente de déqualification de bien professionnel, a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrit le droit de reprise de l'administration pour les années 1997 à 2000 et en ce qu'il a ordonné le dégrèvement des droits et intérêts de retard afférents à ces années, l'arrêt rendu le 24 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;


Condamne Mme X... aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au directeur général des Finances publiques la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils pour le directeur général des Finances publiques ;


Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré prescrit le droit de reprise de l'administration pour les années 1997 à 2000 et en ce qu'il ordonné le dégrèvement des droits et des intérêts de retard afférents à ces années.


AUX MOTIFS QUE « Considérant que dans ses déclarations relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune, Madame Nicole X... a fait figurer dans la rubrique « droits sociaux susceptibles d'être qualifiés de biens professionnels » ses 415 actions de la « Société Champenoise de Gestion », en précisant les fonctions de direction exercées dans cette société (président du conseil de surveillance, puis membre du directoire et à compter de 2002 président du directoire), le pourcentage du capital détenu par elle (12,95%), et la valeur des actions (non cotées en bourse) d'après la moyenne mathématique de rendement et de productivité ;


Considérant que suivant notification de redressement du 13 mai 2004, l'administration fiscale a remis en cause, en faisant application du délai de reprise décennal, la qualification de biens professionnels attribuée par Madame Nicole X... à ses actions de la Société Champenoise de Gestion, au motif essentiellement que la société avait comme activité principale la gestion de son patrimoine mobilier et que les fonctions sociales de Madame X... n'étaient pas normalement rémunérées ;


Que les droits complémentaires ont fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement du 22 juillet 2005 pour un montant de 180 459 euros, outre 62 278 euros d'intérêts de retard ;


Qu'après avoir contesté tant la réintégration des actions en question dans son patrimoine taxable que l'application du droit de reprise de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales, Madame Nicole X... dans sa réclamation contentieuse du octobre 2005, demande l'application de la prescription de trois ans de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales, et par conséquent le dégrèvement des droits et intérêts relatifs aux années 1997 à 2000 ; que sa demande parallèle de remise gracieuse des intérêts de retard a été admise à hauteur de 29 069 euros ;


Que la réclamation contentieuse a donné lieu à une décision de rejet du 11 avril 2006, qui a fait l'objet d'un recours du contribuable par assignation du 6 juin 2006 devant le tribunal de grande instance de Paris ;


Considérant que l'administration fiscale reproche au tribunal d'avoir appliqué d'avoir appliqué à mauvais escient la prescription abrégée au regard de l'article L. 180 qui dispose :
« pour les droits d'enregistrement, la taxe de publicité foncière, les droits de timbre, ainsi que les taxes, redevances et autres impositions assimilées, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée définie à l'article 647 du code général des impôts.
Toutefois ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures » ;


Que l'administration fiscale fait valoir que les déclarations déposées par Madame Nicole X... ne révélaient pas par elles-mêmes l'exigibilité de l'impôt, qu'elle a dû procéder à des recherches ultérieures (recherche du code APE de la société, examen de ses comptes de résultats, bilans, déclarations n°2750 et DAS), pour se prononcer sur la qualification de biens professionnels au regard des articles 885 O bis et 885 O quater du code général des impôts et sur l'exigibilité des droits non acquittés par le contribuable ;


Considérant cependant que, comme le fait valoir Madame Nicole X..., ses déclarations mentionnaient ses 415 actions de la « Société Champenoise de Gestion » et comportaient tous les renseignements demandés par l'administration dans les formulaires émanant d'elle ; que l'administration fiscale savait donc dès le dépôt des déclarations que ces droits sociaux faisaient partie de son patrimoine ; que la circonstance que Madame Nicole X... les aient considérés comme biens professionnels exonérés ne permet pas d'assimiler sa situation à celle d'un contribuable ayant omis de déclarer un élément de patrimoine ;


Considérant que dans la réponse ministérielle Charles Y... du 2 octobre 1989, l'administration fiscale a indiqué que s'agissant de biens mentionnés dans une déclaration ISF, « le délai de reprise de l'administration s'exerce, notamment en ce qui concerne les éventuelles insuffisances d'évaluation, jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de la déclaration concernée. Par ailleurs, leur omission dans les déclarations antérieures, y compris celles relatives à l'impôt sur les grandes fortunes, autorise l'administration fiscale à en opérer le redressement dans les limites de la prescription décennale » ; que l'administration fiscale est mal fondée à limiter la portée de cette réponse au cas précis des avoirs à l'étranger ayant donné lieu à la question, dès lors que de façon plus générale, sa documentation de base 2002 reprend cette position en indiquant :
- Au chapitre prescription abrégée : « ne constituent pas des recherches ultérieures au sens de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales , celles qui ont pour but de recueillir les précisions utiles à la liquidation des droits »
- Au chapitre prescription décennale : elle « s'applique en matière de non déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune » et « d'omission de biens, droits ou valeurs dans la déclaration ISF »


Que par conséquent Madame X... est bien fondée à invoquer ces éléments qui permettent de préciser dans quel cas l'administration fiscale estime que les conditions de la prescription abrégée sont réunies, donc dans quel cas « l'exigibilité des droits est suffisamment révélée » : la réponse est évidemment négative quand un bien ne figure pas dans la déclaration, qu'elle est positive lorsque la contestation de l'administration fiscale porte sur la valeur de biens ou droits régulièrement déclarés ;


Considérant que la situation de l'administration fiscale, en possession de la déclaration de Madame Nicole X... mentionnant des biens professionnels exonérés, était analogue à sa situation lors de la sous-évaluation d'un bien figurant dans une déclaration ; que l'administration fiscale était à même, sans être tributaire de révélations ou de recherches ultérieures, de vérifier immédiatement le bien-fondé de l'exonération, au vu des renseignements dont elle disposait déjà sur la société et sur la déclarante, ou en lui demandant des informations complémentaires, de façon à vérifier la liquidation des droits, comme elle peut, à partir d'éléments de comparaison, remettre en cause la valeur déclarée d'un bien ;


Que refuser à Madame Nicole X... le bénéfice de la prescription abrégée reviendrait à exclure complètement son application en matière de remise en cause de la qualification de biens professionnels, même lorsque le contribuable est de bonne foi, n'a rien dissimulé et s'est conformé en tous points à ses obligations, ce qui ne serait pas conforme au régime légal prévoyant deux sortes de prescriptions ;


Considérant qu'en bref le simple besoin, pour l'administration fiscale, d'éléments complémentaires pour la liquidation des droits relatifs à des biens déclarés, donc connus d'elle comme susceptibles d'être taxés, ne peut pas conduire à faire obstacle à l'application de la prescription abrégée ;


Que le jugement du tribunal de grande instance a donc retenu à bon droit que le droit de reprise de l'administration était prescrit pour les années 1997 à 2000 ; que celleci devra donc opérer le dégrèvement des droits et des intérêts de retard afférents à ces années ».






ALORS, D'UNE PART, QU' il résulte des dispositions des articles L. 180 et L. 186 du livre des procédures fiscales que, sauf lorsque l'exigibilité certaine des droits omis découle de manière complète et directe de la déclaration ou de l'acte soumis à la formalité sans qu'il soit besoin de procéder à des recherches ultérieures pour constater l'existence du fait juridique imposable, l'administration dispose d'un délai de dix ans pour établir l'exigibilité des droits ; qu'il s'en suit que si un doute subsiste quant à l'exigibilité des droits et s'il est nécessaire, pour en apporter la preuve, de procéder à des recherches quelconques notamment par rapprochement de divers actes, déclarations ou faits à l'affaire, le délai de prescription abrégée ne peut s'appliquer ; que, par ailleurs, aux termes de l'article 885 O bis du code général des impôts, sont considérés comme des biens professionnels les parts et actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option, si leur propriétaire remplit les conditions énumérées ; que, de plus, l'article 885 O quater du code général des impôts prévoit que ne sont pas considérées comme des biens professionnels les parts ou actions de sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « le simple besoin, pour l'administration fiscale, d'éléments complémentaires pour la liquidation des droits relatifs à des biens déclarés, donc connus d'elle comme susceptibles d'être taxés, ne peut pas conduire à faire obstacle à l'application de la prescription abrégée » ; qu'en statuant ainsi, alors que les déclarations litigieuses n'établissaient pas de façon certaine le caractère professionnel des biens exonérés la cour a commis une erreur de droit ; que l'administration pour établir que la condition de rémunération prévue par l'article 885 O bis n'était pas remplie, comme pour établir le caractère non animateur de la holding a dû procéder à des recherches ultérieures puisque ces éléments établissant l'exigibilité des droits ne ressortaient pas des déclarations d'I.S.F. déposées ; qu'en conséquence, l'administration ne pouvait procéder à la proposition de rectification en cause au vu des seules mentions portées sur les déclarations litigieuses et, qu'elle devait, en revanche, procéder à des recherches ultérieures aux fins de s'assurer du caractère professionnel des biens en cause, la cour d'appel a violé les articles L. 180 et L. 186 du livre des procédures fiscales (Articles L. 180 et L. 186 du livre des procédures fiscales - Violation de la loi -)


ALORS, D'AUTRE PART, QUE la contradiction entre les motifs d'un arrêt équivaut à un défaut de motif ; qu'en considérant, pour retenir la prescription abrégée, que, d'une part, « l'administration fiscale était à même, sans être tributaire de révélations ou de recherches ultérieures, de vérifier immédiatement le bien-fondé de l'exonération, au vu des renseignements dont elle disposait déjà sur la société et la déclarante » et, d'autre part, que « l'administration fiscale était à même … de vérifier immédiatement le bien-fondé de l'exonération, … en lui demandant des informations complémentaires », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civil (Article 455 du code de procédure civile - violation de la loi – (contradiction de motifs))


ALORS ENFIN QU'il résulte de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales que si la doctrine administrative peut être opposée à l'administration c'est à la condition qu'elle s'applique expressément et directement à la situation en cause ; qu'elle ne peut en aucun cas être opposée à l'administration par analogie ou par extension ; qu'en l'espèce le contentieux opposant Madame X... à l'administration fiscale porte sur l'exigibilité de l'impôt de solidarité sur la fortune à la suite d'une déqualification d'actions de société ; que la Cour d'appel a, par conséquent, retenu à tort une doctrine sur la liquidation de l'impôt alors qu'une autre doctrine contraire existe en matière d'exigibilité ; en outre, elle a appliqué de manière irrégulière par analogie la doctrine sur la sous évaluation à une situation différente de déqualification de bien professionnel ; il s'ensuit que la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.80 A du livre des procédure fiscale en faisant une application erronée de la doctrine administrative (Article L.80 A du livre des procédures fiscales - violation de la loi-)

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