1 mars 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-13.190

Troisième chambre civile

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 23 février 2004), que la commune de Castelnau-de-Médoc (la commune), maître de l'ouvrage public, assurée par police dommages ouvrage par la compagnie CGU Insurance PLC (la CGU), venant aux droits de la compagnie Général Accident, a, en 1991, sous la maîtrise d'oeuvre de M. X..., architecte, et de la société Bureau d'Etudes Aquitec (société Aquitec), tous deux assurés par la Mutuelle des Architectes Français (la MAF), et avec le concours de divers constructeurs, dont notamment la société Hervé Thermique, assurée par la Société mutuelle du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), a fait édifier un bâtiment à usage industriel, loué, par contrat de crédit-bail du 27 avril 1993, à effet du 1er novembre 1991, à la société le Médoc Gourmand, exerçant une activité de fabrication de pâtisseries industrielles ; qu'arguant de désordres de condensation, la commune a déclaré le sinistre à la CGU qui a refusé sa garantie ; qu'un jugement irrévocable du 28 octobre 1999 du tribunal administratif de Bordeaux a condamné M. X..., la société Aquitec et la société Hervé Thermique, déclarés responsables des désordres sur le fondement des articles 1792 et 2270 du Code civil, à payer la somme de 6 181 186 francs à la commune, les responsabilités étant partagées à proportion de 40 % pour M. X..., 40 % pour la société Aquitec et 20 % pour la société Hervé Technique ; qu'une transaction est intervenue le 6 janvier 2000 entre la Commune et la société le Médoc Gourmand, aux termes de laquelle la commune reversait à son locataire la somme de 6 181 186 francs perçue des constructeurs, sous déduction des loyers dus au 31 décembre 1999 s'élevant à la somme de 3 749 830,48 francs, la société le Médoc Gourmand devant faire son affaire des travaux de remise en état ; que, parallèlement, la société le Médoc Gourmand a assigné le 26 mai 1998 en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil les constructeurs, leurs assureurs et l'assureur dommages ouvrage ; que des recours en garantie ont été formés ; que MM. Y..., Z... et A..., actionnaires et salariés de la société le Médoc Gourmand, sont intervenus volontairement à l'instance pour réclamer la réparation de leur préjudice personnel ;


Sur le troisième moyen du pourvoi n° T 04-13.763, ci-après annexé :


Attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que le montant des salaires et leur évolution dépendaient de choix stratégiques de l'employeur indépendants de la situation financière de la société puisque l'augmentation importante des salaires convenue en 1996, attestée par les avenants à leurs contrats signés par M. Y... et M. Z..., avait été décidée alors que la société le Médoc Gourmand enregistrait des pertes depuis l'origine et sans que le bénéfice annuel prévisible de la société ne permette la mise en oeuvre d'une telle politique salariale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il n'était pas justifié d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes des constructeurs et le préjudice allégué de ce chef ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le second moyen du pourvoi principal n° V 04-13.190 et sur le second moyen du pourvoi incident de la SMABTP et de la société Hervé Thermique, réunis :


Attendu que la société Atitec et la MAF, d'une part, la SMABTP et la société Hervé thermique, d'autre part, font grief à l'arrêt de mettre hors de cause la CGU, alors, selon le moyen :


1 / que l'assureur dommages-ouvrage qui n'a pas pris parti dans le délai légal sur le principe de la mise en jeu des garanties contractuelles ne peut ultérieurement contester sa garantie ; que la CGU n'ayant pas pris parti dans le délai de 60 jours, elle ne pouvait devoir contester sa garantie, alors même que le désordre aurait été apparent ;


qu'ainsi, en mettant hors de cause cette compagnie, l'arrêt attaqué a violé les articles L. 242-1 et A. 243-1, annexe II, du Code des assurances, 1382 et 1383 du Code civil ;


2 / que le caractère apparent ou caché d'un désordre à la date de la réception s'apprécie au regard du seul maître de l'ouvrage ;


qu'en se fondant, pour dire que le problème de condensation était connu antérieurement au prononcé de la réception, sur deux lettres échangées par le maître d'oeuvre de l'opération et le bureau d'études, sans faire ressortir en quoi le maître de l'ouvrage avait eu connaissance des informations contenues dans ces correspondances, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 242-1 du Code des assurances ;


3 / qu'en déduisant le caractère apparent des désordres litigieux à la réception de la tenue d'une réunion à la date du 23 octobre 2001, tout en constatant que les opérations de réception étaient intervenues le 19 septembre précédent, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants et impropres à justifier sa décision au regard de l'article L. 242-1 du Code des assurances ;


4 / que l'assureur dommages ouvrage qui n'a pas pris parti dans le délai légal sur le principe de sa garantie ne peut plus ultérieurement contester cette dernière, même si le désordre a été apparent, et engage sa responsabilité délictuelle à l'égard des tiers s'il s'y soustrait ; qu'en l'espèce, dès lors que la SMABTP et la société Hervé Thermique ont mis en cause la compagnie CGU Insurance PLC pour un refus injustifié de garantie, il appartenait à la cour d'appel de rechercher si, sollicité dans les délais, l'assureur avait pris parti dans le délai légal de 60 jours et si, à défaut, il n'était pas tenu d'une garantie qu'il ne pouvait refuser sans faute à l'égard des tiers ; qu'en s'abstenant de cet examen nécessaire, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1, A 243-1 annexe II du Code des assurances, 1382 et 1383 du Code civil ;


Mais attendu que l'assurance dommages ouvrage obligatoire étant une assurance de chose et non une assurance de la responsabilité des constructeurs, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche dépourvue de portée juridique ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° V 04-13.190 le moyen unique du pourvoi incident de la CGU et le premier moyen du pourvoi incident de la SMABTP et de la société Hervé Thermique, réunis :


Vu l'article 1382 du Code civil ;


Attendu que pour accueillir partiellement la demande en réparation de leurs préjudices formée par MM. Y..., Z... et A..., et ordonner une expertise pour les évaluer, l'arrêt retient, d'une part, que le préjudice invoqué résultant de la perte de valeur des actions, consécutif à la situation de la société le Médoc Gourmand, qui n'a enregistré que des pertes d'exploitation depuis l'origine, constitue un préjudice personnel aux actionnaires, d'autre part, s'agissant du préjudice subi au titre des marques, que sont produits aux débats le contrat de concession d'usage des marques à la société le Médoc Gourmand moyennant redevance et les conventions de rétrocession partielles de ces mêmes redevances et que MM. Y..., Z... et A... avancent justement avoir subi un préjudice, la situation de la société le Médoc Gourmand ne leur ayant pas permis de percevoir une quelconque somme à ce titre ;


Qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un lien de causalité directe entre ces préjudices et les fautes des constructeurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


Et sur le deuxième moyen du pourvoi n° T 04-13.763 :


Vu les article L. 242-1 et A 243-1 du Code des assurances et son annexe II, ensemble les articles 1382 et 1383 du Code civil ;


Attendu que pour mettre hors de cause la CGU, l'arrêt retient que celle-ci, qui a refusé par lettre du 11 mai 1993 de garantir le sinistre déclaré par le maître de l'ouvrage le 22 septembre 1992 au motif qu'il s'agissait de désordres apparents, ne saurait avoir commis une quelconque faute puisque les désordres invoqués résultant d'une condensation anormale sont apparus avant la souscription de la police dommage dommages ouvrage le 24 octobre 1991 et avant même la réception du 19 septembre 1991 ;


Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'assureur, qui n'avait pas pris position sur le principe de la mise en jeu de la garantie dans le délai légal, d'où il résultait qu'il était déchu du droit de contester celle-ci, notamment en invoquant le défaut d'aléa et le caractère apparent avant la réception des désordres déclarés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi n° T 04-13.763 ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il accueille la demande de MM. Y..., Z... et A... en réparation du préjudice résultant de la perte de valeurs de leurs actions et des sommes qu'ils auraient dû percevoir au titre des marques déposées par M. Y..., et en ce qu'il rejette les demandes formées par la société le Médoc Gourmand contre la compagnie CGU Insurance PLC, l'arrêt rendu le 23 février 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;


Laisse à la charge de chaque partie les dépens afférents aux pourvois n° V 04-13.190 ;


Condamne, ensemble la compagnie CGU Insurance PLC, la société Le Médoc Gourmand, et MM. Y..., Z... et A... aux dépens afférents au pourvoi n° T 04-13.763 ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille six.

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