15 juin 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-81.843

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR00831

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Ordonnances - Notification - Traduction dans une langue étrangère comprise par l'intéressé - Effet - Report du point de départ du délai d'appel - Exception - Traduction hors délai raisonnable

La notification de l'ordonnance de mise en accusation traduite dans une langue étrangère comprise par l'accusé, permettant à celui-ci d'exercer une voie de recours et les droits de la défense, reporte la date à laquelle l'ordonnance devient définitive, sauf lorsque la traduction n'a pas été effectuée dans le délai raisonnable prévu par l'article D. 594-8 du code de procédure pénale

Texte de la décision

N° U 21-81.843 FS-P

N° 00831


GM
15 JUIN 2021


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JUIN 2021



REJET du pourvoi formé par M. [R] [Q] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3ème section, en date du 11 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative de meurtre et destruction de bien, a prolongé sa détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Bellenger, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R] [Q] [J], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, M. Samuel, M. Sottet, conseillers de la chambre, Mme Méano, M. Leblanc, Mme Guerrini, conseillers référendaires, M. Lagauche, avocat général, et M. Mareville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Q] [J] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel, le 14 décembre 2018.

3. Par ordonnance en date du 21 février 2020, notifiée le même jour, le juge d'instruction a ordonné sa mise en accusation des chefs précités et son renvoi devant la cour d'assises.

4. Cette ordonnance a fait l'objet d'une traduction en langue portugaise qui a été notifiée à l'accusé le 16 mars 2020.

5. Par réquisitions du 16 février 2021, le procureur général a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation de la détention provisoire de l'intéressé, dans l'attente de sa comparution devant la juridiction criminelle.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles la violation des articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 181, 186, 591 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prolongé la détention provisoire pour une durée de six mois à partir de l'expiration du délai d'un an qui s'est écoulé à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, alors :

« 1°/ que l'accusé détenu est remis en liberté s'il n'a pas comparu devant la cour d'assises dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s'il était alors détenu ; que pour l'application de cette disposition, une ordonnance de mise en accusation doit être regardée comme définitive à l'expiration d'un délai de 10 jours à compter de sa notification à l'accusé ; que ce point de départ ne saurait être reporté à la notification à l'accusé de la traduction de l'ordonnance de mise en accusation, sauf à prolonger au détriment de l'accusé qui ne maîtrise pas le délai de traduction le délai de détention à compter de la mise en accusation ; qu'en jugeant que le délai d'un an n'avait couru à l'égard de la personne détenue qu'à compter du 26 mars 2020, dix jours après la notification de la traduction de l'ordonnance de mise en accusation, quand il devait être regardé comme ayant couru à compter du 2 mars 2020, dix jours après la notification en français de l'ordonnance de mise en accusation, et n'était donc pas susceptible d'être prorogé par arrêt du 11 mars 2021, M. [Q] [J] étant détenu sans titre depuis le 2 mars 2021 ;

2°/ que les droits de la défense sont à la disposition de celui au bénéfice duquel ils sont institués ; que l'exigence de notification au détenu non-francophone de la traduction de l'ordonnance de mise en accusation constitue une mesure en faveur de l'accusé qui ne saurait lui préjudicier ; que le détenu non-francophone est donc fondé à soutenir, lorsqu'il en va de son intérêt, que la notification de l'ordonnance en langue française suffit à faire courir le délai de recours contre cet acte ; qu'au cas d'espèce, M. [Q] [J] prétendait que le point de départ du délai de recours contre l'ordonnance de mise en accusation devait être fixé à la date à laquelle il avait reçu la notification de cette ordonnance en langue française, puisqu'il y allait de son intérêt ; qu'en jugeant que ce point de départ devait être fixé à la date de la notification de la traduction de l'ordonnance, la chambre de l'instruction a violé les textes sus mentionnés ;

3°/ que si le point de départ du délai d'un an fixé par l'article 181 du code de procédure pénale pour la comparution de l'accusé détenu devant la cour d'assises devait être fixé à l'expiration du délai de recours contre la décision de mise en accusation, lui-même calculé à compter de la notification de la traduction de cette décision en une langue comprise de l'intéressé, la notification de cette traduction doit être faite sans retard ; qu'en jugeant qu'au 11 mars 2021, M. [Q] [J] n'était pas détenu sans titre dès lors que la traduction de l'ordonnance de mise en accusation le visant lui avait été notifiée le 16 mars 2021, sans rechercher si un délai de près d'un mois entre la notification de l'ordonnance en langue française et la notification de sa traduction, ayant pour effet de repousser d'autant la détention provisoire de l'intéressé avant sa comparution, ne caractérisait pas un retard devant entraîner sa remise en liberté, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale. »

Réponse de la Cour

8. Pour juger que le délai prévu par l'article 181 du code de procédure pénale n'était pas expiré, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance de mise en accusation constitue un acte essentiel dont la complexité impose la traduction pour qu'elle soit opposable à une personne maîtrisant mal le français afin de lui permettre d'exercer pleinement les droits de la défense.

9. Les juges ajoutent que, lors de l'interrogatoire de première comparution, M. [Q] [J] a déclaré au juge d'instruction qu'il écrivait un peu le français, confirmant ainsi son absence de maîtrise de la langue française écrite.

10. Ils relèvent qu'après notification de l'ordonnance de mise en accusation en français le 21 février 2020, le magistrat instructeur a requis un interprète pour traduire celle-ci le 27 février 2020. Cette ordonnance traduite en portugais, langue comprise et parlée par l'intéressé, a été notifiée le 16 mars 2020.

11. Les juges énoncent encore qu'il résulte de la combinaison des articles 805-3 et D.594-6 du code de procédure pénale que les décisions de saisine de la juridiction de jugement, essentielles à l'exercice des droits de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès, doivent être traduites en application de l'article préliminaire et que l'article 186 du même code prévoit que l'appel d'une ordonnance de mise en accusation doit être formé dans un délai de dix jours à compter de sa notification.

12. Ils retiennent que c'est à partir du 16 mars 2020 que le délai de recours a couru, de sorte que l'ordonnance de mise en accusation n'est devenue définitive que le 26 mars 2020.

13. Ils en déduisent que le délai dans lequel M. [Q] [J] devait comparaître devant la cour d'assises commençant le 26 mars 2020, il n'expirait que le 26 mars 2021.

14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

15. En effet, la notification en langue étrangère comprise par l'accusé, permettant à celui-ci d'exercer une voie de recours et les droits de la défense, reporte la date à laquelle l'ordonnance devient définitive, sauf lorsque la traduction n'a pas été effectuée dans le délai raisonnable prévu par l'article D.594-8 du code de procédure pénale.

16. Dès lors le moyen, nouveau, mélangé de fait et comme tel irrecevable en sa troisième branche, n'est pas fondé.

17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze juin deux mille vingt et un.

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