20 mai 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.178

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C300426

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Bail à ferme - Reprise - Conditions - Contrôle des structures - Autorisation préalable d'exploiter - Dérogation - Déclaration préalable - Conditions - Détention du bien pendant neuf ans - Appréciation - Parent ou allié à prendre en compte - Détermination - Portée

En vertu de l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, la condition de durée de détention du bien objet du congé peut désormais être appréciée en la personne de tout parent ou allié du bénéficiaire de la reprise jusqu'au troisième degré inclus, ce qui autorise le cumul de détentions successives par plusieurs de ces parent ou allié. Dès lors, viole ce texte la cour d'appel qui, pour juger qu'une opération est soumise à une autorisation préalable et ne peut bénéficier du régime dérogatoire de la déclaration préalable, retient que la condition de détention pendant neuf ans au moins du bien transmis doit être remplie en la seule personne de l'auteur de cette transmission en prenant en compte la période au cours de laquelle les bailleurs ont détenu le bien en qualité d'indivisaires, mais refuse d'additionner une telle détention avec celle de leur mère, en qualité de propriétaire puis d'usufruitière

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 mai 2021




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 426 FS-P

Pourvoi n° M 20-15.178




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021

M. [T] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-15.178 contre l'arrêt rendu le 28 [Date décès 1] 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 9), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [E] [G], épouse [F], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à M. [R] [G], domicilié [Adresse 3],

3°/ à M. [M] [G], domicilié [Adresse 4],

4°/ à M. [P] [B], domicilié [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [T] [G], de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [B], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 avril 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mme Andrich, MM. Barbieri, Jessel, David, M. Jobert, conseillers, MM. Béghin, Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 [Date décès 1] 2019), par acte du 11 avril 2000, [N] [G] a donné à bail rural à M. [B] une parcelle de terre avec ferme pour une durée de dix-huit ans à compter du 11 [Date décès 1] 1999.

2. Par acte du 9 mai 2016, Mme [E] [G] et MM. [P], [M] et [T] [G], héritiers de la bailleresse décédée en [Date décès 1][Date décès 1] 2013, ont délivré à M. [B] un congé pour reprise au bénéfice de M. [L] [G], fils de M. [T] [G].

3. Le preneur a saisi le tribunal en annulation de ce congé.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [T] [G] fait grief à l'arrêt de constater que M. [G] ne justifie pas d'une autorisation préalable d'exploiter, d'annuler en conséquence le congé pour reprise délivré à M. [B] le 9 mai 2016 et de dire que le bail en cours est renouvelé pour une durée de neuf ans à compter du 11 [Date décès 1] 2017, alors « que les opérations soumises à autorisation sont, par dérogation, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus si, notamment, le bien est détenu par un parent ou allié, jusqu'au troisième degré inclus, depuis neuf ans au moins ; qu'en retenant, pour en déduire que le congé pour reprise délivré le 9 mai 2016 était nul faute d'autorisation préalable d'exploiter, que la dérogation n'était pas applicable en l'absence de détention d'une durée de neuf ans en la seule personne de l'auteur de la transmission, les consorts [G], auteurs du congé, n'étant propriétaires des biens que depuis le [Date décès 1][Date décès 1] 2013, date du décès de leur mère, quand la condition de durée de détention de 9 ans ne doit pas être satisfaite par le même parent ou allié et que les biens étaient auparavant détenus par la mère des consorts [G] en pleine propriété depuis 1985 puis en usufruit depuis une donation-partage de 2011, la cour d'appel a violé l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 331-2, II du code rural et de la pêche maritime :

5. Ce texte dispose : « Les opérations soumises à autorisation en application du I sont, par dérogation à ce même I, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies :
1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au a du 3° du I ;
2° Les biens sont libres de location ;
3° Les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens du premier alinéa du présent II, depuis neuf ans au moins [...]. »

6. Pour retenir que l'opération est soumise à une autorisation préalable et ne peut bénéficier du régime dérogatoire de la déclaration préalable, l'arrêt retient que la condition de détention pendant neuf ans au moins du bien transmis doit être remplie en la seule personne de l'auteur de cette transmission, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque les consorts [G] ne justifient pas à la date d'effet du congé d'une détention de neuf ans au moins, dès lors qu'ils ne sont devenus propriétaires des biens qu' au décès de leur mère, survenu le [Date décès 1] 2013.

7. En statuant ainsi, alors que la condition de durée de détention du bien objet du congé peut désormais être appréciée en la personne de tout parent ou allié du bénéficiaire de la reprise jusqu'au troisième degré inclus, ce qui autorise le cumul de détentions successives par plusieurs de ces parent ou allié, la cour d'appel, qui a à bon droit pris en compte la période au cours de laquelle les consorts [G] ont détenu le bien en qualité d'indivisaires, mais qui a refusé d'additionner cette détention avec celle de leur mère, en qualité de propriétaire puis d'usufruitière, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 [Date décès 1] 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. [G].

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que M. [G] ne justifie pas d'une autorisation préalable d'exploiter, d'avoir annulé en conséquence le congé pour reprise délivré à M. [B] le 9 mai 2016 et d'avoir dit que le bail en cours est renouvelé pour une durée de 9 ans à compter du 11 [Date décès 1] 2017 ;

AUX MOTIFS QUE

« Les conditions de fond sont prévues aux articles L. 411-57 à L. 411-59 qui renvoient à l'article L. 331-2 relatif au contrôle des structures. Elles sont cumulatives.

Le preneur intimé fait valoir que le congé ne respecte pas le contrôle des structures, notamment en ce qui concerne la détention des biens depuis plus de neuf ans et l'absence d'autorisation d'exploiter à la date d'effet du congé et de déclaration préalable et que le bénéficiaire ne justifie pas d'une exploitation personnelle ni de la possession de moyens financiers et de matériel.

L'appelant soutient au contraire que la reprise envisagée entraîne une simple substitution d'exploitant, qu'elle porte sur une exploitation familiale soumise à simple déclaration préalable, que le bénéficiaire a la capacité professionnelle, que les biens loués appartiennent à sa grand-mère depuis le 24 août 1985, qu'il suffit que les détenteurs successifs aient fait partie du cercle familial restreint, que la surface est inférieure à 131 ha, que cette reprise ne nécessite pas d'autorisation préalable d'exploiter mais une simple déclaration préalable qui sera déposée dès que le bien sera libre de location, que le bénéficiaire justifie qu'il était en formation professionnelle en 2016-2017, qu'il a fait son stage en 2017, qu'il a obtenu son brevet en septembre 2017, qu'il a établi un projet professionnel moderne et écologique validé par la chambre d'agriculture et un plan d'entreprise et qu'il a les moyens d'acquérir les matériels nécessaires.

En application de l'article L. 331-2 II du code rural, pour bénéficier des dispositions du régime dérogatoire de la déclaration préalable relatif aux opérations familiales, les biens doivent être détenus par un parent ou allié depuis neuf ans au moins.

Or, contrairement à ce que soutient l'appelant, la condition de détention pendant neuf ans au moins du bien transmis doit être remplie en la seule personne de l'auteur de cette transmission (ou location), ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque les consorts [G] ne justifient pas à la date d'effet du congé d'une détention de 9 ans au moins. Ils ne sont en effet devenus propriétaires des biens que suite au décès de leur mère, survenu le [Date décès 1] 2013.

Cette condition n'étant pas remplie, l'opération est donc soumise à autorisation préalable d'exploiter. Or, le bénéficiaire de la reprise ne justifie pas d'une autorisation préalable d'exploiter à la date d'effet du congé.

Le congé reprise délivré le 9 mai 2016 sera en conséquence invalidé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens ;» (arrêt p.7 et 8)

ALORS QUE les opérations soumises à autorisation sont, par dérogation, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus si, notamment, le bien est détenu par un parent ou allié, jusqu'au troisième degré inclus, depuis neuf ans au moins ; qu'en retenant, pour en déduire que le congé pour reprise délivré le 9 mai 2016 était nul faute d'autorisation préalable d'exploiter, que la dérogation n'était pas applicable en l'absence de détention d'une durée de neuf ans en la seule personne de l'auteur de la transmission, les consorts [G], auteurs du congé, n'étant propriétaires des biens que depuis le 20 [Date décès 1] 2013, date du décès de leur mère, quand la condition de durée de détention de 9 ans ne doit pas être satisfaite par le même parent ou allié et que les biens étaient auparavant détenus par la mère des consorts [G] en pleine propriété depuis 1985 puis en usufruit depuis une donation-partage de 2011, la cour d'appel a violé l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.