19 mars 1996
Cour de cassation
Pourvoi n° 94-10.838

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

DROIT MARITIME - navire - saisie - saisie conservatoire - convention de bruxelles du 10 mai 1952 - autorisation - conditions - créance maritime - créance présentant un caractère certain et sérieux - nécessité (non) - navire auquel la créance se rapporte - saisie d'un navire n'appartenant pas au débiteur - fictivité de la société propriétaire du navire saisi - critères insuffisants - conventions internationales - societe (règles générales) - société fictive - confusion de patrimoines

Par application de l'article 2 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires, la saisie conservatoire d'un navire est possible dans le port d'un Etat contractant dès lors que le saisissant se prévaut d'une créance maritime au sens de l'article 1er, c'est-à-dire d'une allégation de créance ayant l'une des causes limitativement énumérées par le texte, sans avoir, en l'état, à justifier de l'existence de cette créance.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Mohamed Zaatari and Bros (société Zaatari) et son assureur, la compagnie Al Itthad al Watani, se prétendant créancières de la société Klides Compania Naviera (société Klides) à la suite du naufrage du navire " Lides " lui appartenant et qui transportait des marchandises destinées à la société Zaatari, ont saisi à titre conservatoire, au port de Fos-sur-Mer, le navire " Alexander III ", propriété de la société Lemphy Maritima entreprise (société Lemphy), en garantie du recouvrement de leur créance alléguée de dommages-intérêts ; qu'après avoir fourni caution pour obtenir mainlevée de la saisie, la société Lemphy a assigné la société Zaatari et son assureur en dommages-intérêts, leur reprochant d'avoir commis un abus en saisissant un navire n'appartenant pas à leur débiteur ;


Sur le deuxième moyen :


Attendu que la société Lemphy reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande alors, selon le pourvoi, que n'apportant aucune réponse au moyen tiré de ce que le transporteur maritime n'était, en application de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, pas responsable des dommages, ce dont il s'ensuivait que les saisissants n'étaient titulaires d'aucune créance permettant la saisie, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 2 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires et de l'article 1382 du Code civil ;


Mais attendu, à supposer la fictivité de la société Lemphy établie, que, par application de l'article 2 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires, la saisie conservatoire d'un navire est possible dans le port d'un Etat contractant dès lors que le saisissant se prévaut d'une créance maritime au sens de l'article 1er, c'est-à-dire d'une allégation de créance ayant l'une des causes limitativement énumérées par le texte, parmi lesquelles figurent, sous la lettre (f), les pertes et dommages aux marchandises transportées par un navire ; qu'ayant relevé que la société Zaatari et son assureur avaient effectué la saisie conservatoire litigieuse en alléguant une créance résultant de la perte de marchandises transportées sur le navire " Lides ", la cour d'appel a légalement justifié sa décision du chef critiqué, dès lors que la saisie pouvait être autorisée sans que les saisissants aient à justifier en l'état de l'existence de la créance ; que le moyen n'est pas fondé ;


Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :


Vu les articles 3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires et l'article 1842, alinéa 1er, du Code civil ;


Attendu que pour rejeter la demande de la société Lemphy, l'arrêt relève d'abord que les statuts qu'elle produit ne permettent pas d'identifier les détenteurs de son capital et que ce manque de transparence " trahit une volonté de dissimulation propre à faire naître...une présomption confortant l'affirmation " de la société Zaatari et de son assureur selon laquelle les sociétés Klides et Lemphy, toutes deux de droit panaméen, sont des personnes morales fictives, ensuite qu'elles ont pour gestionnaire commun de leurs navires respectifs la même société de droit suisse Pan Nautic, dont l'administrateur délégué, Mme X..., par ailleurs " président-directeur général " de la société Lemphy, est investi de pouvoirs étendus " qui établissent que les mandants n'ont aucune autonomie par rapport à leur mandataire ", enfin, que les termes de la transaction conclue entre les sociétés Klides et Zaatari pour mettre fin à leur litige, et qui n'a été rendue possible que par la pression exercée par la saisie conservatoire du navire " Alexander III ", démontrent que la société Klides a pris fait et cause pour la société Lemphy, en obtenant la restitution de la caution versée par celle-ci dès le paiement de l'indemnité convenue et l'engagement de la société Zaatari de renoncer " à toutes procédures contre tout navire, société ou organisme qui serait ou aurait été considéré comme affilié ou associé à l'armateur du Lides " et retient de ces circonstances que les sociétés Lemphy et Klides " dissimulent une même entité économique qui, par le biais de sociétés fictives, divise son patrimoine pour diminuer les risques et entraver les poursuites de ses créanciers " ;


Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser la fictivité de la société Lemphy et à établir qu'elle ne disposait pas d'un patrimoine propre distinct de celui de la société Klides, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;


Sur le premier moyen, pris en ses deux dernières branches :


Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


Attendu que pour débouter la société Lemphy de sa demande, l'arrêt retient encore qu'à supposer même que la société Zaatari et son assureur ne soient pas totalement parvenus à démontrer que les sociétés Lemphy et Klides dissimulent une même entité économique, les circonstances précédemment exposées seraient encore exclusives de la notion d'abus de droit fondant la demande d'indemnisation de la société Lemphy ;


Attendu qu'en statuant ainsi, sans dire en quoi le fait de saisir un navire de la société Lemphy pour garantir le recouvrement d'une créance sur la société Klides ne serait pas de nature à engager la responsabilité des saisissants à l'égard de la société Lemphy, dès lors que ces deux personnes morales sont distinctes, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


Et sur le troisième moyen :


Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


Attendu qu'en rejetant, à supposer la fictivité de la société Lemphy établie, la demande de dommages-intérêts formée par elle sans répondre par aucun motif à ses conclusions faisant valoir que, la saisie conservatoire du navire " Alexander III " eût-elle été possible pour garantir le recouvrement de la créance litigieuse et celle-ci fût-elle incontestable, la société Zaatari et son assureur n'en auraient pas moins utilisé de manière abusive les voies d'exécution, en pratiquant et maintenant une saisie exagérée par rapport au montant de la créance et en exigeant, pour en donner mainlevée amiable, la fourniture d'une garantie disproportionnée, la cour d'appel, qui devait, par application de l'article 6 de la Convention précitée du 10 mai 1952, apprécier à cet égard la responsabilité des saisissants sur le fondement du droit français, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

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