22 septembre 2010
Cour de cassation
Pourvoi n° 09-40.968

Chambre sociale

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2010:SO01249

Titres et sommaires

REPRESENTATION DES SALARIES - règles communes - statut protecteur - période de protection - point de départ - détermination - prud'hommes - conseil de prud'hommes - conseiller - violation - caractérisation

La protection du conseiller prud'homme court à compter de la proclamation des résultats des élections le lendemain du scrutin prévue par l'article D. 1441-162 du code du travail, indépendamment de la publication du recueil des actes administratifs de la préfecture du département prévue par l'article D. 1441-164 du code du travail. Dès lors doit être rejeté le pourvoi formé contre un arrêt, qui ayant constaté que le salarié exerçait les fonctions de conseiller prud'homme à la date à laquelle il a été mis fin à la période d'essai, a décidé que le contrat avait été rompu en méconnaissance du statut protecteur

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Clichy distribution (la société), qui avait engagé M. X... le 27 juin 2005 comme manager de rayon, a mis fin à la période d'essai contractuellement prévue le 24 août 2005 ; que se prévalant de ce que la société n'avait pas demandé l'autorisation de l'inspecteur du travail, alors qu'il était conseiller prud'homme, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;


Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire nulle et de nul effet la rupture de la période d'essai et de la condamner à payer à M. X... une indemnité en réparation de la méconnaissance du statut protecteur et une indemnité en réparation du préjudice résultant du licenciement illicite, alors, selon le moyen :


1°/ que le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent à l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence ne reposant pas sur des motifs impérieux d'intérêt général ; qu'en condamnant la société Clichy distribution à verser différentes indemnités à M. X... en ce que la rupture du contrat de travail du salarié pendant sa période d'essai était intervenue en méconnaissance du statut protecteur attaché à sa qualité de conseiller prud'homal, cependant qu'au moment de la rupture du contrat, la Cour de cassation jugeait que la rupture durant la période d'essai n'était pas subordonnée au respect du statut protecteur, solution abandonnée à l'occasion d'un revirement de jurisprudence en date du 26 octobre 2005, la cour d'appel a privé la société Clichy distribution d'un procès équitable et a ainsi violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


2°/ que l'application immédiate de la solution retenue à l'occasion du revirement de jurisprudence intervenu le 26 octobre 2005 ne pouvait justifier la condamnation de la société Clichy distribution au titre de la méconnaissance du statut protecteur pour la raison que si l'exposante avait saisi l'inspecteur du travail compétent afin de solliciter de lui qu'il autorise la rupture du contrat de travail, celui-ci aurait nécessairement décliné sa compétence conformément au droit alors applicable, de telle sorte que la société n'aurait pu bénéficier d'une autorisation de rompre le contrat de travail ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 1442-19 (ancien article L. 514-2, 1er alinéa) du code du travail ;


3°/ que si l'employeur ne peut arguer de l'ignorance des fonctions de conseiller prud'homal d'un salarié, c'est en raison de la publicité de la liste des conseillers élus au recueil des actes de la préfecture ; que ne justifie donc pas légalement sa décision au regard des articles L. 1442-19 et D. 1441-164 (du code du travail la cour d'appel qui, pour estimer que la société Clichy distribution avait rompu le contrat de travail de M. X... en méconnaissance du statut protecteur attaché à sa qualité de conseiller prud'homal et la condamner à ce titre à verser diverses sommes au salarié, se borne à énoncer que l'intimée ne justifie ni même n'allègue avoir effectué la moindre démarche de consultation au recueil des actes administratifs de la préfecture du domicile du salarié de la liste des conseillers élus au conseil de prud'hommes, sans constater que ladite liste comportait bien le nom de M. X... et était en conséquence opposable à l'exposante ;


Mais attendu d'abord, que la sécurité juridique et le principe de prééminence du droit invoqués sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit ;


Attendu ensuite, que la protection du conseiller prud'homme court à compter de la proclamation des résultats des élections le lendemain du jour du scrutin prévue par l'article D. 1441-162 du code du travail, indépendamment de la publication au recueil des actes administratifs de la préfecture du département prévue par l'article D. 1441-164 du même code ;


Et attendu que l'exercice, par M. X..., des fonctions de conseiller prud'homme à la date à laquelle il a été mis fin à la période d'essai n'étant pas contestée, la cour d'appel a exactement décidé que son contrat de travail avait été rompu en méconnaissance du statut protecteur ;


Qu'il s'ensuit que le moyen, qui est inopérant en sa troisième branche, est mal fondé pour le surplus ;


Mais sur la quatrième branche du moyen :


Vu l'article L. 1442-19 du code du travail ;


Attendu que pour condamner la société à payer à M. X... l'indemnité au titre de la méconnaissance de son statut protecteur, l'arrêt retient que la durée de son mandat restant à courir était de vingt-huit mois, que son salaire mensuel brut était de 1 500 euros auquel il convenait d'ajouter la somme due au titre du rappel des heures supplémentaires effectuées en août 2005 ;


Attendu cependant qu' en intégrant dans la rémunération que le salarié aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection le montant des heures supplémentaires qui n'avaient été effectuées qu'au mois d'août 2005, l'arrêt a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à la somme de 45 000 euros l'indemnité en réparation de la méconnaissance du statut protecteur, l'arrêt rendu le 8 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;


Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille dix.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Clichy distribution.


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit nulle et de nul effet la rupture de la période d'essai par la Société CLICHY DISTRIBUTION dans le cadre du contrat de travail conclu avec Monsieur X... et d'AVOIR en conséquence condamné la Société CLICHY DISTRIBUTION à verser à Monsieur X... avec intérêts au taux légal à compter du jugement les sommes de 40.500 € à titre d'indemnités en réparation de la méconnaissance du statut protecteur, 9.000 € à titre d'indemnité en raison du préjudice subi et 4.500 € supplémentaires au titre de la réparation de la méconnaissance de son statut protecteur ;


AUX MOTIFS QUE « Monsieur X... fait valoir que la rupture de la période d'essai est nulle dès lors qu'elle est intervenue en violation du statut protecteur dont il bénéficiait en sa qualité de conseiller prud'homme au conseil de prud'hommes de Paris depuis décembre 2002 ; que pour s'opposer à cette demande, la société CLICHY DISTRIBUTION fait valoir que si la Cour de cassation a jugé, dans deux arrêts du 26 octobre 2005, que la rupture par l'employeur de la période d'essai d'un salarié, lui-même Conseiller du salarié ou médecin du travail, devait avoir lieu selon la procédure exorbitante du droit commun prévue par son statut protecteur, cette jurisprudence ne s'applique pas à l'égard d'un salarié conseiller prud'homal ; cependant, les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandate ou des fonctions qu'il exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, y compris en ce qui concerne l'article L 24111-22 du Code du travail relatif au salarié conseiller prud'homme, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai ; l'intimée fait valoir qu'en toute hypothèse, les deux arrêts du 26 octobre 2005 constituent un revirement de la Cour de cassation qui jugeait jusqu'alors que la rupture de la période d'essai ne nécessitait pas l'autorisation de l'Inspecteur du travail ; ce revirement de jurisprudence ne saurait avoir d'effet rétroactif, sauf à violer le droit pour toute personne à un procès équitable au sens de l'article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ; cependant, les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante ; la protection, d'ordre public, dont bénéficie le salarié conseiller prud'homme aux termes de l'article L 2411-22 susvisé répond l'impérieuse nécessité d'assurer, devant la juridiction prud'homale, la sauvegarde et l'effectivité du droit pour toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial ; dès lors, le moyen par l'intimée invoquant la non rétroactivité d'un revirement de jurisprudence ne peut être accueilli ; c'est en vain que l'intimée fait valoir qu'à aucun moment au cours de la relation de travail, elle n'avait été informée par Monsieur X... de sa qualité de conseiller prud'homme ; en effet, aux termes de l'article D 1441-165 du code du travail, la liste des conseillers élus aux conseils de prud'hommes est publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture du département ; elle peut être consultée en préfecture ; il appartenait, en conséquence à la société CLICHY DISTRIBUTION, avant de rompre la période d'essai, de consulter au recueil des actes administratifs de la préfecture du département du domicile du salarié situé à Paris (10ème) la liste des conseillers élus au conseil de prud'hommes, afin de déterminer si l'intéressé ne bénéficiait pas du statut protecteur, d'ordre public, du salarié conseiller prud'hommes ; l'intimée ne justifie ni même n'allègue avoir effectué la moindre démarche à cet égard ; qu'il suit de tout ce qui précède que la rupture de la période d'essai de Monsieur X... par la société CLICHY DISTRIBUTION est nulle pour être intervenue en violation du statut protecteur dont bénéficiait le salarié en sa qualité de conseiller prud'homme.


Sur les demandes de Monsieur X... tendant au paiement d'une indemnité pour méconnaissance de sont statut protecteur et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de la nullité de la rupture de son contrat de travail :


Le salarié protégé en sa qualité de conseiller prud'hommes a le droit, en cas de rupture de son contrat de travail par son employeur sans autorisation administrative et lorsqu'il ne demande pas réintégration, d'obtenir, d'une part, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection, d'autre part, outre ses indemnités de rupture, une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L 1235-3 du code du travail ; Monsieur X... étant devenu conseiller prud'homal en décembre 2002, la durée de son mandat restant à courir de son éviction, le 24 août 2005, était en application des dispositions de l'article L 1442-3 du code du travail, de vingt huit mois ; son salaire mensuel brut étant de 1.500 € au moment de la rupture auquel il convient d'ajouter 110,45 € (39,45 € + 71 €) au titre de rappel de salaire lui étant dû pour les heures supplémentaire qu'il a effectuées en août 2005 et qui ne lui ont pas été payées, il y a lieu de condamner la société CLICHY DISTRIBUTION à lui verser, au titre de l'indemnité pour violation des son statut protecteur, la somme de 45.000 €» ;


ALORS, DE PREMIERE PART, QUE le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent à l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence ne reposant pas sur des motifs impérieux d'intérêt général ; qu'en condamnant la Société CLICHY DISTRIBUTION à verser différentes indemnités à Monsieur X... en ce que la rupture du contrat de travail du salarié pendant sa période d'essai était intervenue en méconnaissance du statut protecteur attaché à sa qualité de conseiller prud'homal, cependant qu'au moment de la rupture du contrat, la Cour de cassation jugeait que la rupture durant la période d'essai n'était pas subordonnée au respect du statut protecteur, solution abandonnée à l'occasion d'un revirement de jurisprudence en date du 26 octobre 2005, la cour d'appel a privé la Société CLICHY DISTRIBUTION d'un procès équitable et a ainsi violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


QU'IL EN VA D'AUTANT PLUS AINSI QUE l'application immédiate de la solution retenue à l'occasion du revirement de jurisprudence intervenu le 26 octobre 2005 ne pouvait justifier la condamnation de la Société CLICHY DISTRIBUTION au titre de la méconnaissance du statut protecteur pour la raison que si l'exposante avait saisi l'inspecteur du travail compétent afin de solliciter de lui qu'il autorise la rupture du contrat de travail, celui-ci aurait nécessairement décliné sa compétence conformément au droit alors applicable, de telle sorte que la Société n'aurait pu bénéficier d'une autorisation de rompre le contrat de travail ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 1442-19 (ancien article L. 514-2, premier alinéa) du Code du travail ;


ALORS, DE TROISIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE si l'employeur ne peut arguer de l'ignorance des fonctions de conseiller prud'homal d'un salarié, c'est en raison de la publicité de la liste des conseillers élus au recueil des actes de la préfecture ; que ne justifie donc pas légalement sa décision au regard des articles L. 1442-19 (ancien article L. 514-2, premier alinéa) et D. 1441-164 (ancien article R. 513-107-1) du Code du travail la cour d'appel qui, pour estimer que la Société CLICHY DISTRIBUTION avait rompu le contrat de travail de Monsieur X... en méconnaissance du statut protecteur attaché à sa qualité de conseiller prud'homal et la condamner à ce titre à verser diverses sommes au salarié, se borne à énoncer que l'intimée ne justifie ni même n'allègue avoir effectué la moindre démarche de consultation au recueil des actes administratifs de la préfecture du domicile du salarié de la liste des conseillers élus au conseil de prud'hommes, sans constater que ladite liste comportait bien le nom de Monsieur X... et était en conséquence opposable à l'exposante ;


ALORS ENFIN ET ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT QUE la sanction de la méconnaissance par l'employeur du statut protecteur d'un représentant du personnel, illégalement licencié et qui ne demande pas sa réintégration, est le versement d'une indemnité égale à la rémunération que le salarié aurait perçue jusqu'à la fin de la période de protection en cours dans la limite de trente mois ; que la cour d'appel a constaté que le salaire mensuel brut de Monsieur X... était de 1.500 € au moment de la rupture et a décidé d'ajouter à cette somme la somme de 110,45 € au titre du rappel de salaire lui étant dû pour les heures supplémentaires qu'il a effectuées en août 2005 et qui ne lui avaient pas été payées afin de déterminer le salaire de référence permettant de calculer le montant de l'indemnité due au titre de la méconnaissance du statut protecteur ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles L. 2421-3 (ancien L. 425-1) et L. 1442-19 (ancien article L. 514-2, premier alinéa) du Code du travail.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.