17 mars 2011
Cour de cassation
Pourvoi n° 10-11.784

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2011:C100286

Titres et sommaires

PRESSE - abus de la liberté d'expression - bonne foi - eléments constitutifs - définition - diffamation - fait justificatif - distinction avec l'exception de vérité des faits diffamatoires - vérité du fait diffamatoire - preuve - admission - délai - respect - vérification - nécessité

Le fait justificatif de bonne foi est distinct de l'exception de vérité des faits diffamatoires et se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que par le sérieux de l'enquête

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu qu'avant les élections du mois de juin 2007 aux fins de renouvellement des membres du comité d'établissement de la société Dalkia, le Syndicat libre des exploitants de chauffage a distribué un tract, contenant notamment les termes suivants : "Enfin M. X... oublie de vous rappeler qu'en 2000, alors qu'il était secrétaire du CE, il a licencié Mme Juliette Y..., assistante du CE et ce, de façon indigne, surtout alors qu'elle souffrait d'une grave et longue maladie" ; que M. X... a fait assigner le syndicat en diffamation ;


Sur le moyen unique, pris en sa première branche :


Vu l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;


Attendu que pour écarter la diffamation imputée au syndicat, la cour d'appel a énoncé que celui-ci n'avait fait que porter à la connaissance des salariés, de toute bonne foi, des faits avérés tenant à la manière dont M. X... avait procédé au licenciement d'une employée atteinte d'une maladie grave ayant exercé son activité professionnelle au sein du comité d'établissement pendant plus de seize années et ce, dans un contexte électoral particulièrement tendu ;


Qu'en statuant ainsi, quand le fait justificatif de bonne foi distinct de l'exception de vérité des faits diffamatoires se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que par le sérieux de l'enquête, la cour d'appel, qui n'a pas constaté la réunion de ces éléments, n'a pas donné de base légale à sa décision ;


Sur la deuxième branche du moyen :


Vu les articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;


Attendu que pour rejeter la demande de M. X..., l'arrêt énonce encore que la vérité des faits allégués est corroborée par l'attestation, rédigée par M. Z..., qui n'est pas contestée ;


Qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée si le syndicat avait respecté le délai de dix jours après la signification de la citation pour faire l'offre de preuve de la vérité des faits imputés à M. X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;


Condamne le Syndicat libre des exploitants de chauffage aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Syndicat libre des exploitants de chauffage à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille onze.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X...



Le moyen fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué D'AVOIR débouté Monsieur X... de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffamation publique dont il a fait l'objet de la part du SLEC et de l'avoir condamné à payer au SLEC la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;


AUX MOTIFS QUE selon l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 toute allégation ou imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'à juste titre, le syndicat SLEC fait état du contexte électoral dans lequel a été diffusé le tract incriminé ; qu'il cite l'article L.412-8 du code du travail consacrant le droit des syndicats d'effectuer librement des communications syndicales et fait valoir qu'il est reconnu que le « ton syndical » autorise une « critique vive », notamment en période électorale ; mais que s'il convient effectivement de tenir compte dans l'appréciation des propos tenus du droit d'expression syndicale, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, relatives à la diffamation demeurent néanmoins applicables ; que M. Ali X... incrimine les imputations contenues dans le passage suivant, comme étant diffamatoires : « Enfin M. X... oublie de vous rappeler qu'en 2000, alors qu'il était Secrétaire du CE, il a licencié Mme Juliette Y..., Assistante du CE et ce, de façon indigne, surtout alors qu'elle souffrait d'une grave et longue maladie » ; que les pièces du dossier établissent que Mme Y... a occupé un poste de secrétaire auprès du comité d'établissement Ile de France de la société Dalkia de mars 1985 au 6 décembre 2006, soit pendant plus de 16 ans ; qu'en arrêt de travail à raison d'une grave maladie, M. X... a proposé à cette dernière, par lettre recommandée en date du 16 octobre 2001, un nouveau poste d'employée administrative à mi-temps avec un salaire calculé au prorata de ses heures de présence et consistant dans l'exécution de tâches administratives légères : mises sous pli, classement, photographies, frappe de courriers ; que le 21 novembre 2001, M. X... a convoqué Mme Y... à un entretien préalable à son licenciement devant avoir lieu le 30 novembre suivant ; que le 6 décembre 2001, il a « informé le comité d'établissement que Mme Y... a une nouvelle fois rencontré le médecin du travail le 19 novembre 2001. Ce dernier l'a déclaré inapte à ce poste et à tout poste de l'entreprise (danger immédiat pour la santé de l'intéressée) article R 241-57-1. Serait apte à un emploi à temps partiels dans un autre environnement socioprofessionnel. Le CE est dans l'obligation de procéder à la rupture de son contrat de travail. Conformément à la loi, Mme Y... a eu son entretien préalable. La décision lui sera notifiée au terme de cette consultation » ; que le 14 décembre suivant, M. X... a notifié à la salariée son licenciement en mentionnant que « le comité d'établissement avait examiné et validé cette décision de licenciement lors de sa réunion plénière du 6 décembre 2001 » ; qu'il lui a encore adressé un certificat de travail indiquant que son ancienneté rétroagissait au 6 décembre précédent, sans lui accorder aucune période de préavis ; que M. X... s'efforce de convaincre de la régularité et le caractère bien fondé du licenciement intervenu ; mais que ce que dénonce le SLEC dans le tract du 28 mai 2007 ce n'est pas la régularité formelle du licenciement dont a fait l'objet Mme Y... mais les conditions dans lequel il est intervenu et le comportement de M. X... en présence d'une femme affaiblie par la maladie ; qu'il ressort de l'exposé de la procédure de licenciement mise en oeuvre par M. Ali X... à l'encontre de Mme Y... après 16 années passées au sein du comité d'établissement, que cette dernière a été licenciée dans des délais particulièrement brefs, sans préavis, en faisant rétroagir son licenciement au 6 décembre 2001 et sans recueillir l'avis du comité d'établissement, le procès-verbal du 6 décembre 2001 ne faisant état que d'une information et non d'un vote et ce en dépit des affirmations contraires de M. X... contenues dans son courrier du 14 décembre 2001 ; que la vérité des faits allégués est corroborée par l'attestation rédigée par M. Laurent Z..., qui n'est pas contestée, qui témoigne du comportement de M. X... à l'égard de Mme Y... ; que M. Z... rapporte avoir été témoin avant les élections de 1998, des faits suivants : « M. X... a signifié à Mme Y... qu'il la licencierait et que malgré sa grave maladie, elle finirait au chômage, sans indemnités et qu'elle n'était bonne à rien, laide et vilaine. Il lui donnait du travail soit disant urgent à effectuer, toujours à la dernière minute. Elle a dû faire des heures supplémentaires pour ne pas subir ses reproches. Une fois, il s'est permis de la prendre par les deux bras et de la secouer en lui demandant de se remuer le cul (les élections étaient en préparation). Mme Y... est tombée par terre en sanglotant. Je l'ai aidé à se relever, l'ai emmené chez son médecin » ; enfin, qu'il importe de rappeler que le tract diffusé à la fin du mois de mai 2007 a été rédigé la veille du renouvellement du comité d'établissement, élection à laquelle se présentait M. X... sous la bannière du syndicat qu'il avait créé peu avant, le CGT-E alors que ce syndicat avait pris à partie et diffusé un tract à la mi-mai 2007 visant personnellement et en des termes injurieux M. B..., le responsable du SLEC ; que l'ensemble de ces circonstances établissent que le SLEC n'a fait que porter à la connaissance des salariés de l'établissement Ile de France de la société Dalkia, de toute bonne foi, des faits avérés tenant à la manière dont M. X... a procédé au licenciement d'une salariée atteinte d'une maladie grave ayant exercé son activité professionnelle au sein du comité d'établissement pendant plus de 16 années, et ce dans un contexte électoral particulièrement tendu ; qu'il ne peut ainsi être retenu que le SLEC s'est rendu coupable d'une diffamation publique à l'encontre de M. Ali X... ; que ce dernier sera débouté de ses demandes et le jugement entrepris infirmé ; que la demande de dommages et intérêts formée par le SLEC compte tenu de l'affichage du jugement assorti de l'exécution provisoire, a manifestement causé un préjudice au SLEC qui sera réparé par l'allocation d'une somme indemnitaire de 3.000 euros ;


ALORS QUE le fait justificatif de bonne foi se distingue de sa vérité et se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que le respect du devoir d'enquête préalable ; qu'en déduisant la bonne foi de la vérité des faits et en s'abstenant de rechercher en conséquence si la bonne foi retenue en faveur du SLEC répondait à chacun de ces critères pour décider que le tract du 28 mai 2007 n'était pas constitutif d'une diffamation publique, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;


ALORS en outre QU'en se fondant sur le fait que le tract du SLEC avait été rédigé « à la veille du renouvellement du comité d'établissement, élection à laquelle se présentait Monsieur X... sous la bannière du syndicat qu'il avait créé peu avant… alors que ce syndicat avait pris à partie et diffusé un tract à la mimai 2007 visant personnellement et en des termes injurieux M. B..., le responsable du SLEC», la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé les dispositions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;


ALORS D'AUTRE PART et en tout état de cause QUE la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être offerte par le prévenu de diffamation dans le délai de dix jours après la signification de la citation ; qu'en s'abstenant de rechercher si le SLEC avait respecté ce délai pour rapporter la vérité des faits qu'il imputait à Monsieur X..., quand elle y était en outre invitée, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;


ALORS en tout cas QUE aucun préavis ne peut être exigé d'un salarié inapte à exercer ses fonctions pour un motif non professionnel ; qu'en disant que le SLEC pouvait imputer de bonne foi à Monsieur X... d'avoir licencié Mme Y... « de façon indigne » parce que sans préavis alors qu'il y était tenu, sans préciser en quoi de bonne foi, une action « indigne » pouvait être imputée de ce fait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881


QU'encore, en disant qu'il pouvait de bonne foi imputer à Monsieur X... un licenciement « indigne » au motif que l'avis du comité d'établissement n'aurait pas été recueilli, alors que le secrétaire a tout pouvoir pour prononcer le licenciement d'un salarié sans préciser en quoi l'exercice de ce pouvoir pouvait être considéré comme indigne la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;


QU'aussi en déduisant la bonne foi de ce que Monsieur X... aurait mentionné dans la lettre de licenciement avoir recueilli l'avis de ce comité alors qu'il n'aurait pas voté, sans rechercher si, ainsi que le soutenait Monsieur X... le comité d'établissement n'avait pas « examiné et validé le licenciement » en sorte que ne pouvait être jugée « indigne » cette mention, la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881;


QU'en ne précisant pas plus en quoi le seul fait de faire rétroagir le licenciement à la date de la réunion du comité pouvait être jugé « indigne », la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881


ALORS enfin QU'en considérant que la vérité des faits allégués, constitutive de la bonne foi selon la Cour, était corroborée par l'attestation de Monsieur Z... relatant des faits dont il avait été le témoin « avant les élections de 1998 » pour témoigner du comportement de Monsieur X... à l'égard de Madame Y..., la Cour d'appel a de nouveau statué par des motifs inopérants et violé l'article 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;

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