30 avril 2009
Cour de cassation
Pourvoi n° 08-15.421

Deuxième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2009:C200688

Titres et sommaires

COMPETENCE - compétence territoriale - tribunal de grande instance - mesures ordonnées par le président - mesures d'expertise - office du juge - etendue - détermination - portée - procedure civile - ordonnance sur requête - rétractation - refus - décision - office du juge procedure civile - dérogation à la règle de la contradiction - recherche d'office - nécessité procedure civile - compétence - président - mesures devant être exécutées dans le ressort de la juridiction - portée procedure civile - juridiction saisie au fond

C'est à bon droit qu'une cour d'appel retient que le président d'un tribunal de grande instance était compétent pour ordonner les mesures sollicitées, dès lors que l'une d'entre elles devait être exécutées dans le ressort de ce tribunal et que cette juridiction serait compétente pour connaître de l'éventuelle instance au fond. En revanche, ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui, pour confirmer une ordonnance de référé ayant refusé de rétracter une mesure d'expertise ordonnée sur requête, retient que la demanderesse justifiait au vu des pièces produites d'un motif légitime à la voir ordonner, alors qu'elle était tenue de rechercher d'office si la mesure sollicitée exigeait une dérogation à la règle de la contradiction

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Acies ayant saisi par requête le président du tribunal de grande instance de Lyon d'une demande d'expertise in futurum, ce dernier a accueilli la demande et désigné plusieurs huissiers de justice avec mission de se rendre aux domiciles respectifs de M. X..., M. Y... et au siège social de la société Ilceos Consulting, tous situés à Lyon, et aux domiciles de M. Z... et de Mme A... à Paris ;


Sur le premier moyen :


Attendu que M. Z..., M. Y..., M. X... et la société Ilceos Consulting font grief à l'arrêt de dire que le président du tribunal de grande instance de Lyon était compétent pour désigner des huissiers de justice afin d'exécuter des mesures ordonnées dans d'autres ressorts et de confirmer l'ordonnance de référé rendue le 4 septembre 2006 par le président du tribunal de grande instance de Lyon n'ayant que partiellement rétracté et modifié l'ordonnance sur requête du 26 janvier 2006, alors, selon le moyen, que le juge territorialement compétent pour rendre une ordonnance sur requête est le président de la juridiction saisie au fond ou celui du tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée ; qu'en l'absence d'instance engagée au fond entre les parties, seul le juge du lieu d'exécution de la mesure sollicitée est compétent ; qu'en l'espèce, aucune instance au fond n'était engagée entre les parties à la date de l'ordonnance du 26 janvier 2006, en sorte que le président du tribunal de grande instance de Lyon était incompétent territorialement pour ordonner des mesures d'instruction à Paris et à Saint-Marcel-en-Dombes ; qu'en retenant au contraire la compétence territoriale du président du tribunal de grande instance de Lyon pour ordonner de telles mesures dans le ressort de ces juridictions, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du code de procédure civile ;


Mais attendu qu'ayant relevé que l'une au moins des mesures sollicitées devait être exécutée dans le ressort du tribunal de grande instance de Lyon et que cette juridiction serait celle compétente pour connaître de l'éventuelle instance au fond, c'est à bon droit que l'arrêt retient que le président du tribunal de grande instance de Lyon était compétent pour les ordonner ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :


Vu les articles 493 et 812 du code de procédure civile ;


Attendu que pour confirmer l'ordonnance de référé ayant refusé de rétracter la décision, l'arrêt retient que la société Acies justifiait au vu des pièces produites d'un motif légitime à voir ordonner la mesure d'expertise ;


Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle était tenue de rechercher d'office si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 mars 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;


Condamne la société Acies aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Acies ; la condamne à payer à MM. Z..., Y... et X... et à la société Ilceos Consulting la somme globale de 2 500 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille neuf.






MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par la SCP THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocat aux Conseils pour MM. Z..., Y... et X... et la société Ilceos Consulting


PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le Président du tribunal de grande instance de LYON était compétent pour désigner des huissiers afin d'exécuter les mesures ordonnées dans d'autres ressorts, notamment à PARIS et à SAINT-MARCEL-EN-DOMBES et d'avoir en conséquence confirmé l'ordonnance rendue le 4 septembre 2006 par Monsieur le Président du tribunal de grande instance de LYON n'ayant que partiellement rétracté et modifié l'ordonnance rendue sur requête le 26 janvier 2006 ;


AUX MOTIFS QUE « le juge territorialement compétent pour rendre une ordonnance sur requête est le président de la juridiction appelée à connaître d'un litige éventuel sur le fond ou celui du tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée ; qu'en l'espèce, la juridiction lyonnaise, s'agissant d'un litige opposant deux sociétés ayant leur siège social à LYON ainsi que les gérants et associés d'une de ces sociétés sera compétente pour statuer sur le fond ; cette juridiction étant d'ailleurs déjà saisie ; que le Président du tribunal de grande instance de LYON était bien compétent même pour la désignation d'huissiers pour faire des constatations à LYON et dans d'autres ressorts notamment à PARIS et à SAINT-MARCEL-EN-DOMBES » ;


ALORS QUE le juge territorialement compétent pour rendre une ordonnance sur requête est le président de la juridiction saisie au fond ou celui du Tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée ; qu'en l'absence d'instance engagée au fond entre les parties, seul le juge du lieu d'exécution de la mesure sollicitée est compétent ; qu'en l'espèce, aucune instance au fond n'était engagée entre les parties à la date de l'ordonnance du 26 janvier 2006, en sorte que le Président du tribunal de grande instance de LYON était incompétent territorialement pour ordonner des mesures d'instruction à PARIS et à SAINT-MARCEL-EN-DOMBES ; qu'en retenant au contraire la compétence territoriale du Président du tribunal de grande instance de LYON pour ordonner de telles mesures dans le ressort de ces juridictions, la Cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du Code de procédure civile.


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue sur requête le 4 septembre 2006 par Monsieur le Président du tribunal de grande instance de LYON n'ayant rétracté et modifié que partiellement l'ordonnance rendue sur requête le 26 janvier 2006 ;


AUX MOTIFS QUE « la société ACIES justifiait amplement d'un motif légitime, au vu des pièces produites, à voir désigner des huissiers pour comparer les clients de la société ILCEOS CONSULTING avec son propre listing de clients comprenant notamment AREVA et ses filiales, MECAPLAST, ALSTOM, GEMPLUS et IPSEN, alors que cette dernière société avait été créée par d'anciens salariés qui avaient eux-mêmes été en charge, dans leurs fonctions antérieures, des dossiers de ces clients (cf. dossier AREVA) ; que la mesure instituée permettait de vérifier la réalité d'un éventuel détournement de clientèle ; que la mission donnée aux huissiers, limitées aux documents présentant une similitude figurant avec les noms de contacts figurant sur le listing clients de la société ACIES était parfaitement circonscrite et ne peut pas être considérée comme ayant un caractère général ; qu'il ne peut pas être opposé le secret des affaires pour empêcher la communication des documents permettant à la société ACIES de protéger ses droits ; que la juridiction présentement saisie est incompétente pour se prononcer sur les conditions d'exécution des mesures ordonnées par les huissiers (atteinte à la vie privée de tiers, violation des secrets de correspondances), qu'il en est de même pour la licéité des filatures sollicitées par la société ACIES ; qu'en conséquence la décision déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions, en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance du 26 janvier 2006 pour Patrick B... et modifié la mission confiée aux huissiers » ;


ALORS QUE D'UNE PART les mesures d'instruction légalement admissibles ne peuvent être ordonnées sur requête que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et que les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ; qu'une mesure d'instruction in futurum ne peut ainsi être ordonnée sur requête qu'à la stricte condition que soient constatées, par des motifs contrôlables, les circonstances justifiant que ladite mesure d'instruction in futurum soit prise de façon non contradictoire ; qu'en se bornant en l'espèce, pour refuser de rétracter l'ordonnance rendue sur requête de la société ACIES, à relever que celle-ci « justifiait amplement d'un motif légitime » et que la mesure instituée « permettait de vérifier la réalité d'un éventuel détournement de clientèle » sans constater que les mesures sollicitées sur requête exigeaient une dérogation au principe du contradictoire, la Cour d'appel a violé les articles 16, 145, 493, 495 et 812 du Code de procédure civile, et 6 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;


ALORS QUE D'AUTRE PART les mesures d'instruction légalement admissible, de nature à établir avant tout procès la preuve d'un fait dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être accueillies sur requête qu'à la double condition qu'il soit justifié de l'urgence des mesures sollicitées et de l'existence de circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction ; qu'en se bornant en l'espèce à confirmer l'ordonnance ayant rétracté et modifié de façon seulement partielle l'ordonnance rendue sur requête le 26 janvier 2006 ordonnant les mesures d'instruction litigieuses, sans constater l'urgence de telles mesures, la Cour d'appel a violé les articles 145, 493, 495 et 812 du Code de procédure civile.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 4 septembre 2006 par Monsieur le Président du tribunal de grande instance de LYON n'ayant rétracté et modifié que partiellement l'ordonnance rendue sur requête le 26 janvier 2006 ;


AUX MOTIFS QU' « étaient annexées à la requête 32 pièces établissant que d'anciens salariés de la société ACIES ayant démissionné avaient constitué une société concurrente et que d'anciens clients avaient pris attache avec cette nouvelle société ; que les moyens mis en oeuvre par la société ACIES (recours à un détective privé) pour découvrir cette situation de fait importent peu dans le cadre de cette procédure ; (…) que la société ACIES justifiait amplement d'un motif légitime, au vu des pièces produites, à voir désigner des huissiers pour comparer les clients de la société ILCEOS CONSULTING avec son propre listing de clients comprenant notamment AREVA et ses filiales, MECAPLAST, ALSTOM, GEMPLUS et IPSEN, alors que cette dernière société avait été créée par d'anciens salariés qui avaient eux-mêmes été en charge, dans leurs fonctions antérieures, des dossiers de ces clients (cf. dossier AREVA) ; que la mesure instituée permettait de vérifier la réalité d'un éventuel détournement de clientèle ; que la mission donnée aux huissiers, limitées aux documents présentant une similitude figurant avec les noms de contacts figurant sur le listing clients de la société ACIES était parfaitement circonscrite et ne peut pas être considérée comme ayant un caractère général ; qu'il ne peut pas être opposé le secret des affaires pour empêcher la communication des documents permettant à la société ACIES de protéger ses droits ; que la juridiction présentement saisie est incompétente pour se prononcer sur les conditions d'exécution des mesures ordonnées par les huissiers (atteinte à la vie privée de tiers, violation des secrets de correspondances), qu'il en est de même pour la licéité des filatures sollicitées par la société ACIES ; qu'en conséquence la décision déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions, en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance du 26 janvier 2006 pour Patrick B... et modifié la mission confiée aux huissiers » ;


ALORS QUE le motif légitime permettant d'obtenir sur requête une mesure d'instruction in futurum ne peut reposer sur des éléments illicitement obtenus ; que ne justifie pas d'un motif légitime à solliciter sur requête une mesure d'instruction in futurum tendant à établir la preuve de faits de concurrence déloyale commis par d'anciens salariés, la société qui introduit une telle requête sur le fondement d'opérations de surveillance et de filatures illicites confiées à des enquêteurs privés – procédé déloyaux rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue et constituant une immixtion intolérable dans la vie privée de ces salariés – ; qu'en énonçant en l'espèce, pour dire que la société ACIES disposait d'un motif légitime à obtenir les mesures d'instructions sollicitées, que « les moyens mis en oeuvre par la société ACIES pour découvrir » les indices d'actes de concurrence déloyale prétendument commis par ses anciens salariés « importent peu dans le cadre de cette procédure » et en relevant son « incompétence » pour se prononcer sur la licéité des filatures organisées par la société ACIES, cependant que la requête initiale était fondée sur une violation du principe de la loyauté de la preuve et du respect de la vie privée – ce qui excluait par là même l'existence d'un motif légitime – la Cour d'appel a violé les articles 9 du Code civil, 9 et 145 du Code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.


QUATRIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 4 septembre 2006 par Monsieur le Président du tribunal de grande instance de LYON n'ayant rétracté et modifié que partiellement l'ordonnance rendue sur requête le 26 janvier 2006 ;


AUX MOTIFS QUE « la mission donnée aux huissiers, limitées aux documents présentant une similitude avec les noms de contacts figurant sur le listing clients de la société ACIES était parfaitement circonscrite et ne peut pas être considérée comme ayant un caractère général ; qu'il ne peut pas être opposé le secret des affaire pour empêcher la communication de documents permettant à la société ACIES de protéger ses droits » ;


ALORS QUE D'UNE PART, toute mesure d'instruction in futurum doit être strictement circonscrite et limitée aux seules investigations nécessaires à la preuve des faits litigieux, de manière à ne pas porter une atteinte illégitime aux libertés fondamentales du défendeur, et notamment au secret des affaires ; qu'en conséquence, ne sont pas légalement admissibles les mesures qui confèrent à l'huissier une mission générale d'investigation et un pouvoir d'enquête et de contrainte lui permettant de mener une véritable perquisition civile des locaux visés par l'ordonnance ; qu'en autorisant en l'espèce l'huissier à « se faire communiquer et au besoin rechercher tous documents commerciaux, fichiers clients, bons de commande, offres de services, documents techniques de la société ILCEOS et/ou de Monsieur Ludovic X... présentant une similitude avec les noms et contacts figurant sur le listing clients de la société ACIES, qui sera en possession de l'huissier ainsi qu'à consulter les messageries e-mail et se faire remettre ou prendre copie de tous courriers ou mail présentant une similitude avec les noms et contacts figurant sur le listing clients de la société ACIES » cependant que ledit listing client de la société ACIES n'était pas communiqué en sorte que son contenu ne pouvait être contrôlé et que les « documents techniques » de la société ILCEOS CONSULTING, qui ne concernaient que les modalités choisies par cette société pour l'exécution de ses missions et le coût des méthodes de gestion utilisées par celle-ci, étaient sans aucun rapport avec les faits litigieux – ce dont il résultait que l'huissier s'était vu conférer un véritable pouvoir d'enquête et que les mesures prescrites n'étaient aucunement circonscrites, mais constituaient au contraire une atteinte illégitime au secret des affaires, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile.


ALORS QUE D'AUTRE PART s'il est possible à l'huissier chargé d'effectuer des mesures d'instruction in futurum de se faire assister d'un homme de l'art ou d'une tierce personne, il ne peut s'agir – conformément au droit au procès équitable – que d'une personne indépendante des parties ; qu'en refusant de rétracter l'ordonnance du 26 janvier 2006 qui autorisait pourtant l'huissier commis à se faire assister d'un représentant social ou d'un mandataire de la société ACIES, la Cour d'appel a violé l'article 145 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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