4 février 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 14/15807

Pôle 5 - Chambre 6

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRÊT DU 04 FEVRIER 2016



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/15807



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2014 - Tribunal de Commerce de PARIS - Affaires contentieuses 6ème Chambre - RG n° 12/063066





APPELANT



Monsieur [L] [D] [I]

Né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représenté par Me Audrey HINOUX, avocate au barreau de PARIS, toque : D0049

Ayant pour avocat plaidant Guy DUVIGNAC, avocat au barreau de MONT DE MARSAN (40)





INTIMÉE



SOCIÉTÉ RIETUMU BANKA

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 3]

LETTONIE



Représentée par Me Stéphane FERTIER de l'AARPI JRF AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

Ayant pour avocat plaidant Me Charles-Henri BOERINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : K112





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 03 novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :



Madame Dominique LONNÉ, Présidente

Madame Caroline FÈVRE, Conseillère

Madame Muriel GONAND, Conseillère



qui en ont délibéré,





Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de Procédure Civile.



GREFFIÈRE, lors des débats : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE







ARRÊT :



- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique LONNE, présidente et par Madame Josélita COQUIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





****************



Le 16 février 2010, Monsieur [L] [D] [I] a créé la société Green + SRL, société de droit italien, dont il est le dirigeant et l'actionnaire unique.



En février- mars 2011, Monsieur [L] [D] [I] a ouvert un compte dans les livres de la Rietumu Banka, société de droit letton.



Par deux virements en date des 14 et 18 février 2011 d'un montant respectif de 750.000 euros et de 650.000 euros, Monsieur [L] [D] [I] a fait transférer la somme totale de 1.400.000 euros du compte courant de la société Green + SRL sur son nouveau compte ouvert à la Rietumu Banka.



Par acte du 18 mars 2011, Monsieur [L] [D] [I] a cédé toutes ses parts dans la société Green + SRL à la société Galaxy Group Limited au prix de 10.000 euros.



Le 9 mai 2011, Monsieur [L] [D] [I] a signé un ordre de virement de la somme de 1.484.000 euros de son compte ouvert au nom de la société Advise & Consult LP à la Rietumu Banka au profit du compte de la société Green + SRL.



Estimant avoir été forcé à effectuer ce virement par un mandataire de la banque, Monsieur [L] [D] [I] a fait assigner la Rietumu Banka par acte d'huissier en date du 21 septembre 2012.



Par jugement en date du 26 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de nullité de l'assignation, s'est déclaré compétent, débouté Monsieur [L] [D] [I] de l'ensemble de ses demandes, condamné Monsieur [L] [D] [I] à payer à la société Rietumu Banka la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, rejeté toutes autres demandes, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.



La déclaration d'appel de Monsieur [L] [D] [I] a été remise au greffe de la cour le 23 juillet 2014.



Dans ses dernières conclusions, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 13 février 2015, Monsieur [L] [D] [I] demande de le déclarer recevable et bien fondé en son appel, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité et d'incompétence opposée par la Rietumu Banka d'autant plus que la compétence retenue n'a pas fait l'objet d'un contredit ou d'appel par cette dernière et ne saurait être considérée comme recevable sur une demande reconventionnelle, réformer pour le surplus le jugement déféré et de :

- le déclarer bien fondé en ses demandes sur le fondement des articles 1984 et suivants du code civil, outre l'article 1998 du même code, et des articles 1109 et suivants du code civil, outre les articles 1382 et suivants du même code,

- condamner la Rietumu Banka à lui payer la somme de 1.484.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2011,

- condamner la Rietumu Banka à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.



Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 15 décembre 2014, la Rietumu Banka, société de droit letton, demande de :

A titre liminaire,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce Paris compétent pour connaître des demandes de Monsieur [I],

- se déclarer incompétent au profit des juridictions de Lettonie,

A titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner Monsieur [I] à lui payer la somme de 10.000 euros pour procédure abusive,

- condamner Monsieur [I] à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2015.





CELA ETANT


LA COUR





Considérant que Monsieur [I] soutient qu'il a fait l'objet de pressions de poursuites pénales pour abus de bien social de la part des représentants et mandataires de la Rietumu Banka pour l'inviter à retourner les fonds qu'il avait pourtant transféré légalement du compte de la société Green + SRL sur son compte ouvert dans ses livres ; qu'il a reçu de nombreux appels comminatoires de la banque et des lettres anonymes et qu'il a signé sous la menace, en présente de Monsieur [W] se présentant en qualité de mandataire de la Rietumu Banka, l'ordre de virement du 9 mai 2011 ; qu'il s'est rendu compte quelques jours plus tard qu'il avait été victime d'une escroquerie orchestrée par Monsieur [W] avec la complaisance, voire la complicité de la banque qui est un partenaire de la société France Offshore dont Monsieur [W] est le responsable ;



Qu'il fait valoir que c'est tort que la société Rietumu Banka maintient en appel son exception d'incompétence alors qu'elle dispose d'un établissement bancaire à [Localité 2] et que les faits reprochés ont été accomplis à [Localité 2] au lieu où elle s'exerce son activité ; qu'il ajoute que la banque s'est abstenue de former un contredit sur la compétence ou même un appel sur le rejet de son exception par les premiers juges et qu'elle ne peut plus le faire ; qu'il fait valoir qu'elle a été assignée au lieu de son siège social en France qui ne constitue pas un simple bureau de représentation, mais une agence bancaire qui s'est développée depuis sa création en 1992 ; que c'est une réunion dans les locaux de la banque en présence de Monsieur [W] et de Monsieur [N], responsable de la banque en France, qui l'a conduit à signer l'ordre de virement de 1.947.000 euros au profit de la société Green+; qu'elle est ainsi responsable en tant que mandant, en vertu de la théorie du mandat apparent, des agissements de Monsieur [W], son mandataire, ou bien pour avoir commis une faute dolosive qui engage la responsabilité de son auteur sur le plan délictuel;qu'il reproche aux premiers juges de ne pas avoir pris en compte le contexte dans lequel le transfert des fonds a été réalisé; qu'il a légitimement cru à l'étendue du pouvoir de Monsieur [W] qui s'est présenté à lui comme conseiller des affaires générales de la banque en lui remettant une carte de visite au nom de la banque avec l'accord de Monsieur [N], directeur de la banque en France ; qu'il explique qu'avant la cession de sa société, il a recueilli le montant des actifs constitués des bénéfices pour un montant de 1.947.000 euros lui appartenant et qu'il a viré une somme de 1.500.000 euros sur son compte personnel ouvert à la Rietumu Banka; qu'il précise qu'il n'a pas signé le protocole transactionnel envisagé avec la société Green + SRL lequel n'a pas été exécuté et n'aurait pas l'être compte tenu de la disparition des fonds ; que la banque lui a laissé croire par sa négligence que Monsieur [W] était habilité à lui faire signer l'ordre de virement et que c'est sa faute qui l'origine de son erreur sur les pouvoirs de ce dernier ; qu'il n'avait aucune raison de douter de la qualité et des pouvoirs de Monsieur [W] qui lui a présenté des documents officiels de la banque et lui a fixé un rendez-vous dans les locaux de la banque ; qu'elle est tenue de répondre des instructions fautives de Monsieur [W] avec la complicité, à tout le moins, passive du directeur de l'agence en France et doit réparer le préjudice qu'il a subi constitué par la perte de la somme de 1.487.000 euros et par un préjudice moral ;



Considérant que la Rietumu Banka soulève l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit des juridictions de Lettonie pour connaître du litige ; qu'elle soutient qu'elle est une banque de droit letton qui dispose depuis le 8 juillet 2009 d'un bureau parisien, situé [Adresse 2], qui n'est qu'une simple représentation de la banque en France lui permettant d'informer ses clients français ; que toutes les demandes sont transmises au siège à [Localité 3] et qu'elles sont exécutées en Lettonie ; qu'elle fait valoir que son bureau parisien n'a aucune autonomie de gestion et aucun pouvoir décisionnel et qu'il ne peut réaliser aucune opération bancaire de sorte que l'article 5-5 du règlement de Bruxelles I n'a pas vocation à s'appliquer; qu'elle se prévaut d'un courrier de la Banque de France du 22 janvier 2009 qui confirme que le bureau a une simple mission d'information, de liaison et de représentation de la banque à l'exclusion de toute opération bancaire ; que ce bureau n'est pas un établissement au sens du règlement communautaire, ni au sens de l'article 690 du code de procédure civile ; qu'elle ajoute que le bureau a transmis l'ordre de virement donné par Monsieur [I] et qu'il a été exécuté à [Localité 3] et qu'en application de l'article 5-1 a) du règlement n°44/2001, seules les juridictions lettones sont compétentes pour statuer sur les demandes de son client concernant l'exécution de cet ordre ; qu'en outre, l'article 6.1 de la convention d'ouverture de compte soumet la relation contractuelle au droit letton ;



Qu'elle prétend, sur le fond, que Monsieur [I] ne rapporte aucune preuve de ses allégations très imprécises et confuses; que les faits dont il fait état ne sont pas datés et qu'une partie des pièces qu'il produit sont rédigées en langue italienne sans être traduites de sorte qu'elles lui sont incompréhensibles ; que rien ne prouve que sa responsabilité dans le cadre d'un mandat puisse être engagée alors que Monsieur [I] est son client et qu'elle a exécuté son ordre, ce qui exclut toute responsabilité délictuelle ; que l'appelant se fonde sur l'article 1109 du code civil sans apporter aucun élément de preuve d'un vice du consentement, ni des pressions ou, menaces alléguées ; qu'elle affirme être étrangère à la prétendue escroquerie organisée et injustifiée dont il aurait été victime ; que, s'il y a eu un litige entre la société Green + et Monsieur [I] au sujet du compte de la société qui aurait été vidé avant la cession, il lui est étranger ; que la somme de1.947.000 euros n'apparaît sur aucun des documents produits ; qu'elle n'a aucun lien avec la société Green+ et que le protocole que le cédant et le cessionnaire ont envisagé de signer prouve que le virement litigieux avait une cause; qu'elle souligne que les deux attestations produites par l'appelant en appel concernent un rendez-vous qui a eu lieu à l'hôtel [Établissement 1] dont l'objet n'est pas précisé et qu'il n'y est pas fait mention de la présence d'un représentant de la banque, mais seulement de Monsieur [W] qui n'a pas été attrait dans la cause ; qu'il n'est justifié d'aucun mandat apparent entre elle et Monsieur [W] et qu'il n'est caractérisé aucun acte juridique que Monsieur [I] aurait cru conclure avec elle par l'intermédiaire de Monsieur [W] puisque c'est son client qui lui a remis directement l'ordre de virement qu'elle a exécuté conformément à leur convention et sans aucune faute ; qu'elle estime que la procédure engagée à son encontre par Monsieur [W] est abusive et vise à porter atteinte à son honneur et à sa réputation, ce qui justifie l'octroi de dommages-intérêts ;



Considérant que la Rietumu Banka peut en appel contester à nouveau la compétence des juridictions françaises au profit des juridictions lettonnes dès lors que le jugement a retenu sa compétence territoriale et a statué sur le fond du litige, ce qui exclut la voie du contredit; que Monsieur [I] ayant interjeté appel de ce jugement, la partie intimée peut former un appel incident et contester la compétence territoriale de la juridiction saisie ;



Considérant que l'extrait Kbis produit en date du 12 avril 2012 indique que la société Rietumu Banka, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 513 591 636 le 8 juillet 2009, est une société anonyme d'un Etat membre de la CE ou partie à l'accord sur l'espace économique européen, qu'elle a son siège à l'étranger et qu'elle exerce une activité de bureau de représentation au [Adresse 2] ; que son responsable en France est Monsieur [G] [N] ;



Considérant qu'il est justifié que la Rietumu Banka, société de droit letton ayant son siège social à [Localité 3], a ouvert un bureau de représentation à [Localité 2] ayant une activité d'information, de liaison et de représentation dans le respect de l'article L.511-19 du code monétaire et financier le 8 juillet 2009, ce qui est confirmé par la lettre de la Banque de France du 22 janvier 2009 consécutif à sa déclaration préalable ;



Considérant que rien ne justifie que ce bureau de représentation ouvert par la Rietumu Banka à [Localité 2] a une personnalité morale distincte de celle de son siège, ni que l'ordre de virement qui a été signé en France par Monsieur [I] et reçu par Madame [O] [E] a été exécuté sur le territoire français de sorte que la prestation incriminée est présumée avoir été exécuté sur les lieux où la banque exerce son activité bancaire en Lettonie ;



Considérant que le bureau de représentation, qui ne sert qu'à informer et à servir de liaison entre la banque lettone et ses clients français, n'a pas d'autonomie et n'a pas la capacité de contracter directement et qu'il ne constitue pas un établissement au sens du règlement Bruxelles I; qu'il n'est pas prouvé qu'elle exerce une activité bancaire sur le territoire français, ce qui résulte de la seule affirmation de Monsieur [I] qui n'apporte aucune pièce au soutien de sa prétention ; que d'ailleurs les relevés d'appel téléphonique, dont il se prévaut, prouvent qu'il a appelé ou envoyé des SMS très fréquemment en Lettonie en juin 2011 corroborant que l'activité bancaire de la Rietumu Banka s'exerce en Lettonie et non en France;



Considérant que Monsieur [I] recherchant la responsabilité de la Rietumu Banka en tant que mandant de Monsieur [W], qui n'est pas dans la cause, qui aurait fait pression sur lui pour qu'il signe l'ordre de virement litigieux exécuté en Lettonie ou bien au titre d'une faute délictuelle fondée sur l'article 1109 du code civil dans le cadre de l'exercice de son activité bancaire, les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître du litige au profit des juridictions lettones ;



Considérant que le jugement déféré doit être infirmé ;



Considérant qu'il n'est pas justifié d'une procédure abusive de sorte que la Rietumu Banka est mal fondée en sa demande en dommages-intérêts ;



Considérant que le jugement déféré sera infirmé sur la compétence et confirmé pour le surplus en ses autres dispositions non contraires au présent arrêt ;



Considérant qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la Rietumu Banka le montant de ses frais irrépétibles d'appel ; qu'il convient de condamner Monsieur [I] à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;



Considérant que Monsieur [I], qui succombe, supportera les dépens d'appel;





PAR CES MOTIFS





Infirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a débouté Monsieur [I] de ses demandes et le confirme pour le surplus en ses autres dispositions non contraires au présent arrêt,



Statuant à nouveau quant à ce,



Dit que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître du litige opposant Monsieur [L] [D] [I] à la Rietumu Banka, société de droit letton,



Condamne Monsieur [L] [D] [I] à payer à la Rietumu Banka la somme de 2.500,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,



Rejette toutes autres demandes,



Condamne Monsieur [L] [D] [I] aux dépens d'appel avec distraction au profit de l'avocat concerné dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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