30 juin 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/07267

Pôle 6 - Chambre 8

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 30 Juin 2016

(n° 506 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07267



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Avril 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 13/06094



APPELANTE

SAS BPI

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Nicolas SAUVAGE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2240





INTIMEE

Madame [B] [M]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 12 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère faisant fonction de présidente

M. Mourad CHENAF, Conseiller

Mme Camille-Julia GUILLERMET, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré





Greffier : Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, lors des débats



ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère faisant fonction de présidente et par Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, greffier présent lors du prononcé.






















Faits et procédure



La Sas BPI, principale société de BPI Groupe est une entreprise de conseil en ressources humaines et management. Elle emploie environ 500 salariés.



Mme [B] [M] a été engagée par la Sas BPI, par un contrat à durée indéterminée à compter du 7 septembre 2009, en qualité de consultante, statut cadre. Sa rémunération brute mensuelle s'est élevée en dernier lieu à 5 730 83 €.



Son contrat de travail prévoyait une convention de forfait annuel de 216 jours, en application d'un accord collectif d'entreprise du 19 janvier 2000 modifié par avenant du 22 décembre 2005.



Mme [M] est toujours en poste.



La relation de travail est régie par les dispositions de la convention collective Syntec, ainsi que des accords collectifs du 19 janvier 2000, complété par un avenant du 22 décembre 2005 lequel a été dénoncé le 5 mars 2012 et remplacé par un accord du 19 juillet 2013.



Contestant la validité de la convention individuelle de forfait en jours qui lui a été appliquée depuis son embauche, Mme [M] a, le 10 mai 2013, saisi le conseil des Prud'Hommes de Paris, d'une demande tendant, en dernier lieu à obtenir l'annulation de ladite convention, le paiement des heures supplémentaires, outre la remise des documents sociaux conformes et le paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par décision en date du 22 avril 2015, le conseil des Prud'Hommes a dit nulle la convention de forfait jours et condamné la Sas BPI à payer à Mme [M] , avec les intérêts au taux légal, la somme de 8 000 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 800 € au titre des congés payés afférents, ainsi que la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile. Il a débouté Mme [M] pour le surplus et condamné la Sas BPI aux dépens.



La Sas BPI a fait appel de cette décision dont elle sollicite l'infirmation en ses dispositions ayant fait droit aux demandes de Mme [M]. Elle conclut, en conséquence, à son débouté et à sa condamnation à lui payer la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Mme [M] demande à la cour, à titre liminaire, de voir écarter des débats la pièce intitulée 'statistiques' invoquée par la Sas BPI et qui n'a jamais été communiquée, puis de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la convention individuelle de forfait en jours et de l'infirmer pour le surplus. Elle demande donc à la cour de condamner la Sas BPI à lui payer les sommes suivantes :



- 11 392,86 € à titre de rappel d'heures supplémentaires

- 1 139,26 € au titre des congés payés afférents

- 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile



Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 12 mai 2016, reprises et complétées à l'audience.



A l'audience du 12 mai, l'appelante a demandé le renvoi, auquel s'est opposé Mme [M] La cour a retenu l'affaire, constatant que celle-ci, ayant fait l'objet d'un précédent renvoi, avait été appelée à l'audience du 21 janvier 2016, et que l'appelante n'avait pas respecté, sans motif légitime, le calendrier de procédure qui avait été alors établi par la cour avec l'accord des parties.







L'appelante a, dans ces conditions, demandé à voir écarter des débats les dernières conclusions de l'intimé au motif qu'elles lui avaient été communiquées tardivement, la veille de la présente audience.



L'incident a été joint au fond.



Au cours de l'audience, l'appelante a fait valoir que le motif de sa demande de renvoi résidait dans le fait qu'il lui fallait du temps pour finaliser la pièces intitulée 'statistiques' qui était discutée dans la présente instance par les parties sans être communiquée. Elle a insisté sur l'importance de cette pièce. Elle a demandé une expertise.



La salariée, par la voix de son avocat a sollicité que soit écartée des débats la discussion sur la pièce intitulée 'statistiques'.



Motivation



- Sur les incidents de communication de conclusions et de pièces



En premier lieu, la cour constate que l'appelante, en concluant une première fois le 7 avril 2016, puis, avec des moyens et des pièces nouveaux, le 22 avril 2016, ne s'est pas conformée au calendrier de procédure établi par la cour qui fixait au 29 février 2016 la date de dépôt de ses conclusions et au 14 avril 2016, le dépôt des conclusions de Mme [M]

Elle en conclut que cette inobservation par la Sas BPI , sans motif légitime, a conduit Mme [M] à conclure tardivement, ce dont l'appelante ne peut valablement venir se plaindre, sous couvert d'une prétendue violation du principe du contradictoire dont elle seule serait à l'origine, à supposer celle-ci établie.



Il s'ensuit que les conclusions de Mme [M] déposées la veille de l'audience du fait de la carence de l'appelante dont il n'a pas à souffrir, n'ont pas à être écartées des débats alors, au surplus, que la Sas BPI y a répondu à l'audience.



De la même manière, le contenu de la pièce intitulée 'statistiques' est dans les débats, discuté par les parties, en dépit du fait que la pièce elle-même ne soit pas communiquée. L'affaire est ainsi soumise à l'examen de la cour dans l'état où les parties la lui présentent, sans qu'il y ait lieu d'en retrancher un élément.



- Sur la validité de la convention de forfait et les heures supplémentaires



Il ressort des débats que le contrat de travail de Mme [M] contient une clause instaurant un régime de forfait jours.



Mme [M] se prévaut du caractère illicite de sa convention individuelle de forfait jours auquel s'oppose la Sas BPI, qui fait valoir que ce caractère illicite a été dégagé par une précédente décision de la cour de cassation en violation du principe de sécurité juridique affirmé par la jurisprudence tant de la cour européenne des droits de l'homme que de la cour de justice de l'Union européenne, principe qui bénéficie de la primauté sur le droit national.



Selon les termes de l'article L212-15-3 III du code du travail, repris après le 1er mai 2008, aux articles L3121-45 et suivants et l'article L3171-3 du code du travail, la convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés. Il doit, en outre, préciser les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées et des demi-journées de repos, déterminer les conditions de contrôle de son application et prévoir des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. En outre, l'article L3121-46 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2008-789 du 20 août 2008, applicable en l'espèce, met à la charge de l'employeur un entretien individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention en forfait jours sur l'année.



En l'espèce, le contrat de travail de Mme [M] soumet celle-ci à une convention de forfait annuel de 216 jours travaillés, en application de l'accord collectif du 19 janvier 2000 modifié par la suite, par avenant du 22 décembre 2005.



L'accord du 19 janvier 2000 complété par ses avenants, pour mesurer le temps de travail effectif et le dépassement du temps annuel, met en place un système de gestion des temps appelé 'Gestaff'dans lequel chaque salarié doit saisir son temps de travail qui permettra l'établissement d'un état récapitulatif du temps travaillé par personne chaque mois pour le mois M-2, remis à sa hiérarchie (article 4b). Cette même disposition prévoit encore qu'une présentation sera faite chaque année au comité de suivi de cet accord'.



Il convient de constater, en outre, que tout particulièrement les prescriptions relatives aux conditions de contrôle de l'application de l'accord collectif, aux modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, à l'amplitude de leurs journées d'activité et à la charge de travail qui en résulte touchent à la sécurité et à la santé des salariés.



Il résulte de sa lecture que l'accord collectif en cause ne prévoit aucune disposition relative aux conditions de contrôle de son application ainsi que des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. Il n'est donc pas conforme à l'article L212-15-3 III précité.



Au surplus, il ressort des débats, qu'alors même que l'accord collectif en cause prévoit spécialement la mise en place du système de gestion du temps de travail Gestaff, la Sas BPI affirme que ce dispositif, qui existe, sert uniquement à la facturation de ses clients et n'a pas pour objet le décompte du temps de travail des salariés, de sorte que l'application qui est faite de l'accord collectif en cause, en ne permettant pas la mesure du temps de travail effectif des salariés de l'entreprise, n'est pas non plus conforme aux dispositions précitées. En outre, aucun élément n'est produit aux débats sur l'entretien individuel mis à la charge de l'employeur par le texte précité.



Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se référer à une quelconque jurisprudence, comme l'a fait le conseil des Prud'Hommes en cela critiqué par la Sas BPI , et sans que le principe de sécurité juridique soit atteint, l'accord collectif en cause, non conforme à la loi, est privé de tout effet à l'égard de Mme [M], la cour n'étant pas en mesure, dans le cadre du présent litige, à en prononcer l'annulation.



Il résulte de tout ce qui précède que Mme [M] à laquelle ne peut être opposée une convention de forfait en jours valable, est soumise au régime de droit commun de la durée légale du travail et en particulier au régime des heures supplémentaires.



En application de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



En outre, l'absence d'autorisation préalable des heures supplémentaires n'exclut pas en soi un accord tacite de l'employeur.



En l'espèce, Mme [M] produit aux débats un décompte des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir effectuées sur la période de janvier 2010 à juin 2013. Elle précise que ce décompte provient de la base Gestaff qui constitue l'outil de gestion du temps de travail de l'entreprise, celui-ci ne retenant que le temps de travail effectif à l'exclusion des temps non constitutifs de travail effectif (maladie, congés, repos,...). Elle ajoute que seules huit heures par jour ont été déclarées car Gestaff ne permettait pas la déclaration d'un nombre supérieur d'heures travaillées. Ainsi Mme [M] ne réclame-t-elle en paiement que les heures supplémentaires comprises entre la 36ème et la 40ème heures.



La cour relève que, contrairement à ce que soutient l'employeur, le récapitulatif ainsi réalisé prend en compte les jours d'absence de Mme [M] , notamment au titre des RTT et que, issu de l'outil de gestion spécialement mis en place par l'accord collectif, il apparaît suffisamment fiable pour être retenu, nonobstant les affirmations non prouvées de l'employeur, selon lesquelles cet outil n'aurait pas été utilisé à des fins de décompte du temps de travail



Par ces éléments précis, Mme [M] étaye sa demande.



Alors qu'il appartient dès lors à l'employeur d'apporter à la cour tout élément de nature à quantifier le travail effectif réalisé par Mme [M], il convient de constater que la Sas BPI ne produit aux débats aucun document permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié, documents que l'article L3171-3 du code du travail lui fait obligation de tenir.



La cour relève, en outre, que caractérise le manque de sérieux de l'employeur, le fait pour lui de se prévaloir, sans la produire, au motif que cette opération est complexe, d'une pièce intitulée 'statistiques', seule selon lui, de nature à établir la réalité du temps de travail effectif réalisé par Mme [M], alors que la question du temps de travail est dans les débats depuis trois ans que la juridiction sociale est saisie.



Il s'ensuit que la cour retient les informations livrées par l'outil de gestion Gestaff qui ne sont pas sérieusement contestées par l'appelante et sur la base desquelles la cour a la conviction que Mme [M] a accompli les heures supplémentaires revendiquées en relevant, au surplus, que l'utilisation qui est faite de l'outil Gestaff ne permet pas, en tout état de cause, aux salariés de l'entreprise de déclarer un nombre d'heures travaillées supérieur à 8, ce qui n'est pas conforme aux textes précités.



Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, que la Sas BPI est condamnée à payer à Mme [M] la somme de 11 392,86 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre celle de 1 139,26 € au titre des congés payés afférents.



Par ces motifs, la cour,



- rejette la demande de la Sas BPI de voir écarter des débats les conclusions de Mme [M] déposées à l'audience du 12 mai 2016



- dit n'y avoir lieu à écarter des débats la discussion sur la pièce intitulée ' statistiques'



- infirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne l'article 700 du code de procédure civile et les dépens



Statuant à nouveau pour le surplus et y ajoutant :



- dit que la convention de forfait jours est inopposable à Mme [B] [M]



- condamne, en conséquence, la Sas BPI à payer à Mme [M] les sommes suivantes :



* 11 392,86 € à titre de rappel d'heures supplémentaires

* 1 139,26 € au titre des congés payés afférents



- rejette la demande d'expertise de la Sas BPI



- condamne la Sas BPI aux dépens



- confirme le jugement déféré pour le surplus





Vu l'article 700 du code de procédure civile ;



- condamne la Sas BPI à payer à Mme [M] la somme de 1 500 €



- la déboute de sa demande de ce chef.



La Greffière La Présidente

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.