20 février 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/06105

Pôle 2 - Chambre 3

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 3



ARRÊT DU 20 FÉVRIER 2017



(n°2017/32 - , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/06105



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2015 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 14/00548





APPELANTES



Association UNION SPORTIVE D'IVRY représentée par M. [Q] [J], son Président en exercice, domicilié es qualité audit siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me France WEYL de l'ASSOCIATION R. WEYL F. WEYL F. WEYL S. PORCHERON, avocat au barreau de PARIS, toque : R028





FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LUTTE agissant en la personne de son Président Monsieur [R] [G]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : P0480

et Me Jacques BODELS, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : R131



INTIMÉ À TITRE PRINCIPAL ET APPELANT À TITRE INCIDENT



SA COVEA RISKS

RCS de NANTERRE sous le numéro B 378 716 419

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représentée par Me Dominique CRESSEAUX, substitué par Me Stéphane GAILLARD, de l'ASSOCIATION LECLERE & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R075



INTIMÉS À TITRE PRINCIPAL



Mademoiselle [F] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050



Monsieur [J] [Y]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : L0050

et Me Sylvie VERNASSIER, avocat plaidant, toque B1163



Madame [L] [I]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat postulant, au barreau de PARIS, toque : L0050

et Me Sylvie VERNASSIER, avocat plaidant, toque B1163



Madame [D] [I] épouse [N]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat postulant, au barreau de PARIS, toque : L0050

et Me Sylvie VERNASSIER, avocat plaidant, toque B1163



Organisme CPAM DU VAL DE MARNE Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre

Mme Claudette NICOLETIS, Conseillère entendue en son rapport

Mme Stéphanie ARNAUD-MONGAY, Vice-présidente placée auprès de la Première Présidence

qui en ont délibéré





Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS







ARRÊT : CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par M. Thierry RALINCOURT, président et par Zahra BENTOUILA greffier présent lors du prononcé.




*******



Le 2 février 2009, lors d'un entraînement de lutte libre organisé par le l'Union Sportive d'Ivry (USI). club affilié à la Fédération Française de Lutte (FFL), [J] [Y], licencié au sein de ce club, et encadré par [X] [P], entraîneur, a été blessé alors qu'il combattait contre [P] [F] dans le cadre d'un jeu appelé "Survivor" au cours duquel l'ensemble des participants s'affrontaient successivement et cherchaient à éliminer un à un leurs adversaires en les faisant tomber au sol pour se hisser en finale.

[J] [Y] a subi une luxation rotatoire des vertèbres C3-C4 qui a provoqué une tétraplégie.



Par ordonnances de référé des 25/03 et 9/12/2010, une expertise a été confiée concurremment aux Docteurs [E], [K] et [H], destinée essentiellement à recueillir leur avis sur la dangerosité de la prise réalisée par [P] [F] et/ou à évaluer la maîtrise de celle-ci par [P], et à dire si l'application de celle-ci pouvait devenir dangereuse au regard des éventuelles différences de niveaux/expérience et de poids.

Les Docteurs [E] et [K] ont déposé un rapport non daté.

Le Professeur [H] a clos son rapport séparé le 16/04/2011 auquel il a ajouté une réponse aux dires des parties en date du 12/03/2012.



Par jugement du 6/02/2015 (instance n° 14/00548), le Tribunal de grande instance de Créteil a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la Fédération Française de Lutte,

- dit que la Fédération Française de Lutte et l'Union Sportive d'Ivry ne sont pas responsables de l'accident dont [J] [Y] a été victime le 2 février 2009,

- déclaré la Fédération Française de Lutte et l'Union Sportive d'Ivry entièrement responsables du dommage résultant, pour [J] [Y], de la perte d'une chance de 70 % de souscrire une assurance dommages corporels et d'être ainsi indemnisé, même en l'absence d'un tiers responsable, des conséquences dommageables non prises en charge par un tiers payeur, de l'accident dont il a été victime le 2 février 2009,

- condamné en conséquence in solidum la Fédération Française de Lutte, l'Union Sportive d'Ivry et la société COVEA RISKS, cette dernière dans la limite de la somme de 6.097.961 €, à indemniser le préjudice résultant de cette perte de chance,

- avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, ordonné une mesure d'expertise confiée à M [S], architecte, et au docteur [A],

- condamné in solidum la Fédération Française de Lutte, l'Union Sportive d'Ivry et la société COVEA RISKS à payer à [J] [Y] les sommes de :

> 400.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

> 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de provision formée par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne,

- rejeté les autres demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.



La Fédération Française de Lutte a interjeté appel par déclaration du 19/03/2015.

La société COVEA RISKS a interjeté appel par déclaration du 26/03/2015.

L'Union Sportive d'Ivry a interjeté appel par déclaration du 31/03/2015.

Les trois instances ont été jointes.




Selon dernières conclusions notifiées le 2/11/2016, il est demandé à la Cour par la Fédération Française de Lutte (FFL) de :

- la mettre hors de cause au motif qu'elle a rempli toutes ses obligations découlant des articles L.321-4 et L.321-6 du Code du sport,

subsidiairement,

-dire que la perte d'une chance ne saurait s'élever à une somme supérieure au montant du versement éventuel de l'assurance si elle avait été souscrite,

- en conséquence, dire que la perte d'une chance ne saurait être évaluée à une fraction du préjudice allégué, mais seulement à une fraction de la prime qui aurait pu être versée s'il avait été souscrit une assurance complémentaire,

- dire que la FFL sera, en cas de condamnation, intégralement couverte par COVEA RISKS,

-dire irrecevable les demandes de la CPAM pour être dirigées contre une fédération de tennis de lutte inexistante,

-rejeter toutes demandes de la CPAM à l'encontre de la FFL.



Selon dernières conclusions notifiées le 19/10/2015, il est demandé à la Cour par l'Union Sportive d'Ivry (USI) de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a écarté toute responsabilité contractuelle de l'USI du fait de l'accident,

- rejeter tous appels incidents de ce chef,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'USI sur le fondement des articles L.321-4 et suivants (sic),

- dire et juger que l'USI n'a pas manqué à son devoir d'information,

- subsidiairement, et au rappel de l'avertissement contenu dans le bulletin d'adhésion, dire que la perte de chance imputable à l'USI ne peut être calculée qu'au regard du maximum du capital de 60.979,61 € offert par la mutuelle "annexe n 13" du Groupe MDS,

- dire qu'au rappel de l'information donnée par le bulletin d'adhésion, la perte de chance imputable à l'USI ne saurait excéder 10 %, soit 6.097,96 €,

- dire qu'il n'y a dès lors pas lieu à expertise,

- donner acte de ce que COVEA RISKS garantit l'USI à due concurrence,

- en tant que de besoin, dire que COVEA RISKS devra garantir l'USI de toute condamnation prononcée à son encontre,

- en tant que de besoin, dire qu'il n'y a pas lieu de limiter à 152.450 € le montant de la garantie par COVEA RISKS des condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de l'USI.



Selon dernières conclusions notifiées le 4/11/2016, il est demandé à la Cour par la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles, venant toutes deux aux droits de la société COVEA RISKS, de :

en premier lieu :

- constatant que :

> les règles encadrant la pratique de la lutte libre n'interdisent l'exécution de la prise "cou-tête" que lorsque le cou de l'adversaire est saisi sans que son bras soit saisi dans le même temps,

> [P] [F] a exécuté une prise "cou-tête" sur [J] [Y] en saisissant dans le même temps son bras,

> cette prise a été exécutée dans le cadre d'un entraînement au sein du club de l'USI sous la surveillance de [X] [P], entraîneur,

> les différences de grades et de gabarits ne sont prises en considération que dans l'organisation des compétitions sportives,

> les Docteurs [E] et [K] n'ont retenu aucun manquement fautif ni à l'encontre de [P] [F] dans l'exécution de la prise réalisée sur [J] [Y], ni à l'encontre de l'entraîneur - [X] [P] ' dans l'organisation et l'encadrement de l'entraînement ni de l'USI et/ou de la FFL,

> le Professeur [H] s'est adonné à un raisonnement finaliste et partial en considérant que la gravité des lésions présentées par [J] [Y] était de nature à caractériser l'exécution d'une prise illicite par [P] [F],

> le Tribunal a fait une juste appréciation des faits et légitimement écarté toute faute de nature à engager la responsabilité du club ou de la fédération dans la survenue du handicap dont est atteint [J] [Y],

- entériner les conclusions expertales des Docteurs [E] et [K] et, confirmant le jugement déféré,

- rejeter la demande d'expertise de [J] [Y] devant être confiée à un technicien de la pratique de la lutte, en ce qu'elle est tardive et uniquement dictée par le fait que les conclusions du Docteur [K] ne satisfont pas sa thèse,

- dire et juger que [P] [F], l'USI et la FFL n'ont commis aucun manquement aux règles de la pratique de la lutte ou aux règles de prudence et de sécurité,

- considérant que la CPAM du Val-de-Marne n'a pas relevé appel de la décision rejetant son recours subrogatoire et ne rapporte pas la preuve d'une faute le justifiant, rejeter l'ensemble des demandes ladite CPAM,

- considérant également que l'USI, pas plus que la FFL, ne sauraient être comptables d'un quelconque défaut d'information à l'égard de leurs adhérents sur les risques que comporte la pratique de la lutte,

- rejeter l'ensemble des demandes de [J] [Y], des Consorts [I] et de la CPAM du Val-de-Marne dirigées à l'encontre des MMA, assureur de responsabilité civile de la FFL,

en second lieu, s'agissant du défaut d'information relevé à l'encontre de la FFL et de l'USI quant à la possibilité de souscrire une assurance de personnes complémentaire proposée dans le cadre de l'adhésion à la FFL,

- constatant que le club indiquait en l'espèce à ses adhérents que la garantie offerte avec la licence était le minimum prévu par la loi et les invitait en conséquence à se renseigner sur les possibilités de souscrire des garanties complémentaires,

- dire et juger que l'obligation d'information prévue par les articles L 321-6 et suivants du code du sport a été remplie et, infirmant le jugement entrepris, rejeter l'ensemble des demandes de [J] [Y],

subsidiairement,

- constatant que le préjudice qui découlerait en toute hypothèse de ce manquement à l'obligation d'information assurantielle ne serait constitué que de la perte de chance de bénéficier d'une garantie forfaitaire plus importante telle que celles proposées au sein du contrat collectif de la FFL, à l'exclusion de toute autre garantie de type «accidents de la vie»,

- constatant en effet que la fédération sportive comme les clubs affiliés ne peuvent être redevables d'une information visant à inviter l'adhérent à souscrire la meilleure des garanties accidents de la vie, sauf à assumer la fonction protégée d'intermédiaire d'assurance, ce qui est prohibé,

- constatant que la possibilité de souscrire des garanties complémentaires n'entraînerait pas la possibilité d'obtenir une indemnisation de son handicap en droit commun,

- constatant par ailleurs que les probabilités que, mieux informé, [J] [Y], aurait souscrit une des garanties complémentaires proposées au sein du contrat collectif de la FFL sont très faibles,

- dire et juger que seule une perte de chance d'être couvert par une meilleure garantie forfaitaire telle que proposée au titre des garanties complémentaires, à l'exclusion de toute autre garantie accidents de la vie, pourrait être retenue,

- infirmant le jugement critiqué, annuler l'organisation d'une expertise de cotation et d'évaluation du préjudice de [J] [Y] « en droit commun »,

- infirmant également le jugement entrepris, dire et juger que la perte de chance de souscrire un tel contrat ne pourrait excéder 10 % du capital invalidité qui aurait été servi à [J] [Y] au titre de la meilleure garantie complémentaire du contrat collectif de la FFL,

- en conséquence, statuant à nouveau, ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la Cour de désigner avec pour seule mission de fixer la date de consolidation et d'évaluer et coter en pourcentage le déficit fonctionnel séquellaire résultant du handicap de [J] [Y] de manière à pouvoir déterminer le montant du capital invalidité qu'il aurait été susceptible de percevoir au titre de cette garantie complémentaire.

- pour le surplus, concernant l'indemnisation de cette perte de chance résultant du défaut d'information éventuellement relevé, confirmer la décision entreprise et rejeter les demandes de [L] [I], agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille [F] [Y], de [D] [I] épouse [N], ainsi que de la CPAM,

en dernier lieu et en tout état de cause :

- constatant que le contrat de responsabilité civile souscrit par la FFL auprès de COVEA RISKS stipule plusieurs plafonds de garantie fixés à la somme de "tous dommages confondus : 6.097.961€ par sinistre dont :

* dommages matériels et immatériels consécutifs : 914.694 € par sinistre,

* dommages immatériels non consécutifs : 152.450 € par année d'assurance",

- constatant que l'éventuel dommage subi par [J] [Y] serait une perte de chance d'être couvert par une assurance de personnes plus avantageuse se définit comme un dommage immatériel non consécutif,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le plafond de garantie des MMA à la somme de 6.097961 € et, statuant à nouveau, dire et juger que, aux termes du contrat souscrit par la FFL auprès de COVEA RISKS, la garantie de la compagnie MMA ne peut être retenue que dans la limite d'un plafond contractuellement fixé à la somme de 152.450 € par année d'assurance.

- condamner [J] [Y] et les Consorts [I] à verser à MMA une indemnité de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.



Selon dernières conclusions notifiées le 4/11/2016, il est demandé à la Cour par [J] [Y], [L] [I] (mère de la victime), tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille [F] [Y], née le [Date naissance 1]/1999, et par [D] [I], de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

> retenu un manquement fautif à leur obligation d'information à l'encontre de la FFT et l'USI,

> ordonné une mesure d'expertise confiée aux Docteurs [A] et [S],

> sursis à statuer sur l'indemnisation du préjudice corporel de [J] [Y] dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire,

> condamné in solidum la FFT, l'USI, ainsi que leurs assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, toutes deux venant aux droits de la société COVEA RISKS, à payer à [J] [Y] une indemnité provisionnelle de 400.000 € à valoir sur l'indemnisation de son entier préjudice,

- réformer le jugement entrepris en ses autres dispositions et statuant à nouveau,

à titre principal :

- constater que [X] [P] a commis une faute d'encadrement et de surveillance,

- constater que [P] [F] a commis une faute dans la réalisation de la prise à l'origine de l'accident,

- dire et juger [P] [F] entièrement responsable des dommages dont a été victime [J] [Y] le 2 février 2009 sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil,

- dire et juger que la FFL et l'USI ont manqué à leur obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers [J] [Y] en application des articles 1135 et 1147 du code civil,

- dire et juger la FFT et l'USI entièrement responsables des dommages dont a été victime [J] [Y] le 2 février 2009, tant du fait des fautes commises par [X] [P], que de celle commise par [P] [F] en application de l'article 1384-1 du code civil,

- constater que [J] [Y] n'a commis aucune faute à l'origine de l'accident du 2 février 2009 dont il a été victime,

- condamner in solidum la FFT et l'USI ainsi que les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, en leur qualité d'assureurs de ces dernières ainsi que de [P] [F] au titre de l'action directe, à indemniser [J] [Y] de son entier préjudice corporel,

à titre subsidiaire, s'il était jugé qu'une luxation grave des cervicales conduisant à une tétraplégie peut intervenir dans le cadre de l'exécution d'une prise autorisée sur une victime débutante, passive et non fautive,

- dire et juger que la FFT et l'USI ont manqué à leur obligation d'information relative aux risques liés à la pratique de la lutte en diffusant des messages trompeurs à l'égard de la sécurité,

- condamner que la FFT sur le fondement de l'article 1382 du code civil et l'USI sur le fondement de l'article 1135 et 1147 du code civil, ainsi que leurs assureurs les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à indemniser [J] [Y] de son entier préjudice corporel,

plus subsidiairement, si la Cour ne se considérait pas suffisamment éclairée par les rapports des Experts sur les causes à l'origine de la survenance de l'accident,

- ordonner une mesure d'expertise judiciaire complémentaire confiée à un Expert qualifié dans les sports de combats, dans les conditions ci-dessus évoquées,

à titre plus subsidiaire, si seul le manquement à l'obligation d'information était retenu :

- condamner in solidum, ou l'une à défaut de l'autre, la FFL et l'USI, ainsi que leurs assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à indemniser [J] [Y] des postes de préjudices DFP, Frais d'aménagement du véhicule et du domicile, frais d'assistance tierce personne, PGPF, SE, PE, PA, avec un plafond à 2 millions d'euros à hauteur de 95 % au titre du manquement à leur obligation d'information sur le fondement des articles L.321-4, L.321-6 et L.141-4 du code du sport,

En tout état de cause :

- surseoir à statuer sur les demandes de la CPAM de Créteil (sic) dans l'attente de la détermination de la créance de [J] [Y] et de son parfait règlement en application de l'article 1252 du code civil,

- condamner in solidum la FFI et l'USI, ainsi que leurs assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à [J] [Y] une indemnité de 12.000 €, en sus de la somme déjà alloué en première instance, au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.



Selon dernières conclusions notifiées le 4/11/2016, il est demandé à la Cour par la CPAM du Val-de-Marne de :

de :

- rejeter l'appel de la FFL et de l'USI,

si la Cour estimait que [P] [F] et/ou la FFL et/ou l'USI ont commis une faute à l'origine des préjudices subis par [J] [Y] engageant ainsi leur responsabilité,

- dire la FFL, l'USI et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles tenues d'indemniser dans son intégralité la CPAM du Val-de-Marne,

- condamner solidairement la FFL, l'USI et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à lui verser, à titre de provision, une somme de 514.040,60 € avec intérêts au taux légal sur la somme de 491.732,16 € à compter de la première demande du 15/04/2014 et à compter du 20/10/2015 pour le surplus,

- condamner solidairement la FFL, l'USI et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à lui verser une indemnité de 3.000 €, par application de l'article 700 du code de procédure civile.






MOTIFS de l'ARRET



1 -[J] [Y] et les consorts [Y]-[I] font valoir, à l'appui de leur demande principale en indemnisation intégrale de leurs préjudices direct et par ricochet, aux termes de conclusions répétitives et malaisément synthétisables :

1° - que le lutteur [P] [F] aurait commis des fautes qui engageraient la responsabilité de la FFL et de l'USI, et donc l'obligation de garantie de leurs assureurs MMA, aux motifs :

que le premier Juge n'aurait pas dû rechercher une faute aggravée de [P] [F] à l'origine des séquelles conservées par [J] [Y], mais une faute simple pouvant être prouvée par tous moyens,

qu'en toute hypothèse, [P] [F] aurait commis une faute caractérisée en ayant saisi la tête de [J] [Y] et en ayant appliqué une traction et rotation qui, selon les experts, auraient été la cause de la luxation des 3ème et 4ème vertèbres cervicales,

que l'avis des experts [E] et [K], selon lequel il ne serait pas possible de conclure que la prise réalisée par [P] [F] n'aurait pas été exécutée dans les règles de l'art dès lors que cette prise ne serait pas réputée dangereuse, seraient contradictoires avec le mécanisme lésionnel à l'origine de la tétraplégie de [J] [Y],

qu'en réalité, les règles régissant la lutte libre proscriraient toute action dangereuse pour la colonne vertébrale, l'article 59 interdisant plus précisément de provoquer une luxation ou de pratiquer une torsion susceptible de faire souffrir,

que serait de même considéré comme fautif, en matière de sport de combat, l'excès de combativité d'un compétiteur, son engagement excessif ou la réalisation d'un geste sans discernement,

qu'en l'occurrence, le lutteur senior et expérimenté (tel [P] [F]) qui réalise sur un débutant passif (tel [J] [Y]) une saisie de sa tête suivie d'une traction et rotation brutale commettrait une faute en accomplissant un geste contraire à l'esprit de la lutte,

2° - que, sur le fondement de l'article 1147 (ancien) du Code Civil, la responsabilité de la FFL et de l'USI serait engagée pour manquement à leur obligation contractuelle de sécurité, aux motifs :

que la surveillance des combats de lutteurs devrait être effective afin d'empêcher une prise mal portée ou d'une trop grande technicité pour celui qui la reçoit,

que cette surveillance aurait dû, en l'occurrence, être plus étroite en raison de la disparité de gabarit et de niveau technique entre les deux combattants [J] [Y] et [P] [F],

que l'expert [H] aurait relevé, sur la question de savoir si l'entraîneur [X] [P] pouvait interrompre le combat avant l'accident fatal, que l'intéressé avait déclaré qu'il n'avait "pas eu le temps de voir", ce que démontrerait son manquement dans la surveillance du combat,

qu'ainsi, l'entraîneur [X] [P] aurait laissé un lutteur néophyte ([J] [Y]) soumis aux risques d'une prise comportant une technique qui n'aurait pas correspondu à ses aptitudes et à son expérience,

que l'entraîneur [X] [P] n'aurait imposé à [P] [F] aucune limite (technique) aux attaques qu'il pouvait porter sur son adversaire [J] [Y], de sorte que le combat aurait été hautement inégal,

que, dès la saisie de la tête de [J] [Y] par [P] [F], l'entraîneur [X] [P] aurait dû faire cesser la prise à laquelle [J] [Y] était exposé alors qu'il ne pouvait pas la connaître.



Les sociétés MMA font valoir en réplique, aux termes de conclusions dont le dispositif contrevient aux prescriptions de l'article 954 alinéa 2 du Code de Procédure Civile en ce qu'il mêle l'énoncé de moyens et de prétentions au lieu d'être circonscrit aux seules prétentions :

- que les règles encadrant la pratique de la lutte libre n'interdiraient l'exécution de la prise "cou-tête" que lorsque le cou de l'adversaire est saisi sans que son bras soit saisi dans le même temps,

- que [P] [F] aurait exécuté une prise "cou-tête" sur [J] [Y] en saisissant dans le même temps son bras,

- que cette prise aurait été exécutée dans le cadre d'un entraînement au sein du club de l'USI sous la surveillance de [X] [P], entraîneur,

- que les différences de grades et de gabarits ne seraient prises en considération que dans l'organisation des compétitions sportives,

- que les experts [E] et [K] n'auraient retenu aucun manquement fautif ni à l'encontre de [P] [F] dans l'exécution de la prise réalisée sur [J] [Y], ni à l'encontre de l'entraîneur [X] [P] dans l'organisation et l'encadrement de l'entraînement, ni de l'USI et/ou de la FFL,

- que l'Expert [H] se serait adonné à un raisonnement finaliste et partial en considérant que la gravité des lésions présentées par [J] [Y] était de nature à caractériser l'exécution d'une prise illicite par [P] [F],

- que le Tribunal aurait fait une juste appréciation des faits et légitimement écarté toute faute de nature à engager la responsabilité du club ou de la fédération dans la survenue du handicap dont est atteint [J] [Y].



La FFL conclut au rejet de l'action en responsabilité engagée à son encontre par [J] [Y] et les consorts [Y]-[I] en faisant valoir :

- que ces derniers confondraient les notions techniques de "prise" et de "contrôle", et que, lors de l'accident, [P] [F] aurait effectué un contrôle régulier bras-tête de [J] [Y] pour parer à une attaque aux jambes entreprise par ce dernier,

que, si ce contrôle n'avait pas été régulier, l'entraîneur, faisant fonction d'arbitre, aurait arrêté cette action,

- que les demandeurs à l'action confondraient les notions d'entraînement et de compétition,

que si, en compétition, l'égalité de chance entre les participants est recherchée, il n'en serait pas de même des séances d'entraînement durant lesquelles l'affrontement d'adversaires de gabarit et/ou de niveau différents serait pédagogiquement profitable pour les intéressés,

- que l'action de [P] [F] n'aurait été ni contraire aux règles du jeu, ni volontairement dommageable.



L'USI conclut à la confirmation du rejet de l'action principale de [J] [Y] et des consorts [Y]-[I] en responsabilité civile de la FFL et de l'USI pour faute(s) commise(s) lors de la séance d'entraînement du 2/02/2009.



La CPAM du Val-de-Marne fait valoir que, si la Cour réformait le jugement entrepris et estimait que [P] [F] et/ou la FFL et/ou USI ont commis une faute à l'origine des préjudices subis par [J] [Y], il conviendrait de condamner solidairement la FFL, l'USI et les sociétés MMA à indemniser la CPAM de l'intégralité de sa créance dont le montant a évolué par rapport à celui déclaré en première instance.





1.1 -Concernant les fautes imputées à [P] [F] par les consorts [Y]-[I], en droit, en vertu de l'article 1384 alinéa 1er du Code Civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10/02/2016, les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger ou de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres.

Il incombe dès lors aux demandeurs à l'action de prouver que l'action de [P] [F] au cours de laquelle est survenue la luxation de deux vertèbres cervicales de [J] [Y] est constitutive d'une violation des règles de la lutte libre pratiquée par les intéressés le 2/02/2009.

Aucune des parties n'a cru devoir produire le règlement de la FFL en vigueur à cette date.

La FFL se réfère, en page 5 de ses conclusions, à des articles d'un règlement qu'elle ne produit pas, en violation des articles 132 alinéa 1er et 954 alinéa 1er du Code de Procédure Civile.

Les demandeurs à l'action ont, pour leur part, produit inutilement : un article (59) extrait des règles internationales de lutte édictées en 2002 par la fédération internationale des luttes associées (pièce n° 35), les articles 53 à 55 des mêmes règles édictées par la même fédération en 2006 (pièce n° 59), sans produire la disposition de ces règlements définissant leur domaine d'application et donc sans démontrer qu'ils auraient régi une séance d'entraînement suivie au sein d'un club français entre participants français ; le règlement de la FFL régissant la lutte universitaire en date de 2015, postérieur de 6 ans au fait dommageable (pièce n° 60) ; un extrait du règlement de la lutte collège datant de 1997 (pièce n° 61), antérieur de 12 ans par rapport au fait dommageable ; un tableau intitulé "la lutte", non daté et sans indication de provenance (pièce n° 34).



En fait, le collège des trois experts a fait procéder le 5/02/2011 à une reconstitution des faits en présence notamment de [J] [Y], de [P] [F] et du moniteur [X] [P].

Les Experts [E] et [K] ont énoncé en page 5 de leur rapport : "l'accident est survenu (...) au cours d'un jeu pratiqué de manière habituelle lors des entraînements de lutte, appelé «survivor» (le survivant), qui permet de développer les réflexes et de mettre en application les prises enseignées pour la pratique de la lutte libre (...). Ce jeu avait lieu sous la surveillance de l'entraîneur, et sous les yeux des témoins attentifs et proches de la scène.

"L'attaque de [J], par une descente aux jambes sur son adversaire, est une prise très classique, elle a pour but de faire chuter l'adversaire.

"La réaction de [P] qui saisit son adversaire pour le «décaler» et tenter à son tour de le faire chuter est également habituelle. Nous avons tenté de préciser au mieux la manière utilisée par [P] pour saisir la tête de son adversaire car il est une prise interdite dans la pratique de la lutte : la saisie complète de la tête seule par enroulement des deux bras autour du cou. Il n'est pas apparu qu'une telle prise ait été portée, sur la description apportée par les témoins, par l'entraîneur, ou par les deux protagonistes".



Bien que, comme relevé supra, aucune des parties n'ait produit le règlement de la FFL en vigueur au 2/02/2009 alors que le critère juridique d'engagement de la responsabilité d'une association sportive consiste précisément dans une violation des règles du jeu par un ou plusieurs de ses membres, toutefois, aucune des parties ne conteste l'affirmation des deux Experts [E] et [K] selon laquelle la saisie complète de la tête de l'adversaire par enroulement des deux bras est interdite.



Il y a dès lors lieu de déterminer s'il est établi que [P] [F] a pratiqué une telle saisie prohibée, et donc fautive.

La réponse négative apportée par les deux Experts [E] et [K] n'est pas pleinement probante dès lors :

- que, d'une part, ainsi que le relèvent avec pertinence les consorts [Y]-[I], l'impartialité de l'expert [K] est sujette à caution, en ce que l'intéressé était susceptible d'être en situation de conflit d'intérêts qui aurait dû le conduire à se déporter dans une expertise concernant l'engagement éventuel de la responsabilité civile de la FFL, puisqu'il est établi qu'à la date du 2/04/2012 (environ un an après la réunion d'expertise) le Docteur [K] était membre du comité directeur du comité d'Ile-de-France de lutte, l'assemblée générale de la FFL étant l'émanation, notamment, des comité départementaux ainsi qu'il résulte de l'article 17 des statuts de la FFL (pièces n° 24 et 25 des consorts [Y]-[I]), la FFL n'ayant pas démenti que le Docteur [K] occupait déjà les mêmes fonctions en 2011 ;

- et que, d'autre part, le Professeur [H], dans son rapport séparé du 16/04/2011 exprimant son avis divergent de celui de ses deux homologues, a relevé avec pertinence que la reconstitution du 5/02/2011 n'était pas nécessairement probante puisque "ce qui est autorisé, c'est l'enroulement (ou prise) du cou avec un seul membre supérieur. Ce qui est prohibé, c'est de prendre le cou de l'adversaire en utilisant les deux membres supérieurs" et que "il est certain que, devant les experts et les avocats, la manoeuvre dangereuse ne sera pas faite à nouveau puisque celui qui l'aurait faite sait précisément qu'elle est dangereuse et interdite".



Aucun des deux autres participants au jeu "survivor" pratiqué le 2/02/2009 et présents lors de la reconstitution expertale du 5/02/2011 ([O] [N] et [G] [B]) n'a affirmé que [P] [F] avait saisi la tête de [J] [Y] par enroulement des deux bras autour du cou.

[J] [Y] a indiqué, pour sa part, qu'il ne pouvait préciser de quelle manière sa tête était prise, si ce n'est pas une saisie autour du cou (rapport [Q] pages 4-5).



Le Professeur [H] a émis l'avis médico-légal suivant (pages 4-5): "si la prise au cou avait été faite correctement, l'irréparable ne se serait pas produit. Il faut mentionner aussi que [J] [Y] avait demandé à son adversaire d'arrêter parce qu'il se sentait en danger. Ce dernier a déclaré ne pas avoir entendu mais d'avoir perçu le craquement de son cou. (...)

"La survenue d'une luxation des vertèbres cervicales conduisant à une tétraplégie pour [J] permet de confirmer que la réalisation de cette technique par [P] n'a pas été faite dans les règles de l'art ;

"la notion de craquement avant la chute et la notion de traumatisme en rotation sur l'imagerie permet de confirmer l'erreur technique de [P] dans la technique réalisée sur [J] ;

"la traction et la rotation que [P] a indiqué avoir réalisées constitue une faute dans l'exécution de la technique bras-tête".



Les Docteurs [E] et [K] - sous les réserves sus-énoncées concernant ce dernier - ont émis pour leur part l'avis médico-légal suivant (rapport pages 5-6) : "le traumatisme s'est produit lors de la saisie de la tête, avant que les adversaires ne chutent, après que [J] ait relâché sa prise, et pendant que [P] tentait par une traction et une vraisemblable rotation de décaler latéralement son partenaire pour l'amener au sol. La douleur ressentie par [J] accompagnée de la sensation clinique de courant électrique jusque dans les membres inférieurs est médicalement très évocatrice du «signe de [W]», correspondant à la lésion brutale de la moelle survenant en particulier au décours d'un traumatisme.

"On mesure la dangerosité de la prise portée par [P] [F] de manière rétrospective au vu des conséquences dramatiques constatées chez [J] (tétraplégie survenue sur une lésion médullaire par luxation brutale des vertèbres cervicales, en regard de la quatrième vertèbre cervicale). Cette lésion semble bien être survenue au cours de la prise par saisie de la tête à hauteur du cou, et avant même la survenue de la chute, selon un mécanisme vraisemblable en traction et rotation de la tête par la force exercée par [P], conjointement au «relâchement» décrit par [J] (le scanner objective une subluxation des facettes articulaires postérieures sans fracture associée, ce qui est effectivement plus fréquent dans ce type de mécanisme, et qu'on retrouve dans la littérature). Pour autant que l'on puisse constater ces conséquences majeures, il n'est pas apparu lors des simulations réalisées au cours de l'expertise que [P] ait réalisé une prise interdite par le règlement de la lutte".

Les mêmes Experts ont émis l'avis suivant en réponse au dire adressé par l'avocat de [J] [Y] : "nous confirmons que les règles qui régissent la lutte libre proscrivent les prises susceptibles d'engendrer un danger au niveau de la colonne vertébrale. C'est pour ces raisons que la prise tête seule est interdite.

"La technique utilisée par [P], à savoir la réalisation d'une saisie "tête-bras", en réaction à une attaque portée par son adversaire (descente aux jambes), est une prise très habituelle, qui n'est pas réputée dangereuse en soi, ni même réservée à une pratique de haut niveau".



Il résulte de l'ensemble des éléments d'appréciation qui précèdent et notamment de la divergence des avis expertaux que n'est pas rapportée la preuve de ce que la saisie de [P] [F] exercée sur [J] [Y] ait constitué une action interdite par le règlement fédéral de la lutte ni que, par conséquent, la responsabilité des associations sportives FFL et/ou USI soit engagée du fait du licencié [P] [F].





1.2 -Concernant le manquement à l'obligation contractuelle de sécurité imputé aux associations sportives par les consorts [Y]-[I], en droit, en vertu de l'article 1147 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10/02/2016, le moniteur de sport est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu'il s'agit d'un sport dangereux.

Cette obligation contractuelle de sécurité de moyens renforcée est applicable au moniteur ou à l'entraîneur de lutte, dès lors que le caractère potentiellement dangereux de ce sport a rendu nécessaire la fixation de règles précises, et notamment l'interdiction d'actions sportives susceptibles de porter atteinte à la sécurité corporelle des lutteurs.



En fait, il n'est pas contesté qu'il existait entre [P] [F] et [J] [Y] une disparité importante de gabarit (1,69 mètre et 89 kg pour le premier  ; 1,75 mètre et 65 kg pour le second) et de niveau technique ([P] [F] pratiquant la lutte depuis 3 ans et demi au jour de l'accident selon les Experts [E] et [K] et étant licencié en catégorie "senior compétiteur" ; [J] [Y] pratiquant la lutte depuis 4 mois - bulletin d'adhésion signé le 6/10/2008 - pièce n° 2 des sociétés MMA - et étant licencié en catégorie "junior pratiquant").

S'il n'est pas davantage contesté que l'organisation, dans le cadre d'un entraînement et non d'une compétition, d'un jeu opposant des lutteurs de gabarits et de niveaux techniques différents, n'est pas proscrite par le règlement fédéral et peut présenter des vertus pédagogiques, toutefois, elle impose au moniteur (en l'occurrence l'entraîneur faisant fonction d'arbitre) une vigilance particulière sur les conditions de déroulement du jeu de lutte.



Par ailleurs, il n'est pas davantage contesté qu'en raison de la règle adoptée pour le jeu "survivor" organisé le 2/02/2009, tous les concurrents avaient été précédemment éliminés, à l'exception des deux "finalistes" [P] [F] et [J] [Y], de sorte qu'à ce moment de l'entraînement, l'entraîneur [X] [P] n'avait aucun autre combat ou lutteur à surveiller ou guider, et ne pouvait que concentrer toute son attention et sa vigilance sur l'unique combat en cours, opposant [P] [F] à [J] [Y].



S'il a été relevé supra qu'il n'est pas établi que la saisie par [P] [F] de la tête de [J] [Y] ait été effectuée selon un mode interdit, comme contraire aux règles fédérales de la lutte, toutefois, [X] [P], entraîneur et professeur de lutte depuis 22 ans au jour de l'accident (pièces n° 5 et 16 de [J] [Y]), ne pouvait ignorer, en raison de son expérience, qu'une telle saisie opérée avec traction et rotation de la tête de l'adversaire, était porteuse d'un risque majeur de lésions cervicales graves et irréversibles, compte tenu, en outre, du caractère néophyte de [J] [Y] le privant de la capacité d'adopter la réaction appropriée à l'action de son adversaire.

En l'état de cette situation, il incombait à l'entraîneur-arbitre [X] [P], en exécution de son obligation de sécurité renforcée, soit d'intimer instantanément à [P] [F] de cesser la saisie et de lâcher son adversaire, soit d'ordonner instantanément l'arrêt du combat.

Les associations sportives et les sociétés MMA invoquent de manière inopérante l'action prétendument rapide de [P] [F], alors que cette rapidité est inhérente à la lutte, sport fondé sur les réflexes des combattants, et qu'il incombe précisément au moniteur ou arbitre expérimenté d'anticiper, par sa vigilance, le caractère potentiellement dangereux de l'action d'un lutteur.



Il résulte des éléments d'appréciation qui précèdent que l'entraîneur [X] [P] a manqué à son obligation de sécurité renforcée envers [J] [Y] lors du combat ludique du 2/02/2009, en n'ayant pas empêché l'action de [P] [F] ayant provoqué le dommage corporel subi par [J] [Y].

Le manquement de [X] [P] engage la responsabilité civile contractuelle de l'USI, association sportive au sein de laquelle a été organisé l'activité sportive dommageable, envers [J] [Y], victime directe en qualité de licencié de la FFL, et envers les consorts [Y]-[I], victimes par ricochet.



Les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles ne contestent pas devoir leur garantie en exécution du contrat d'assurance n° 114 969 440 de responsabilité civile susceptible d'être encourue par la FFL et les clubs affiliés envers les licenciés de la FFL pratiquant la lutte, souscrit auprès de la société COVEA RISKS, et transféré auxdites sociétés MMA par voie de fusion-absorption de la première par les secondes (cf. conclusions des sociétés MMA page 3).



La FFL doit être mise hors de cause pour les motifs pertinents retenus par le premier Juge, en ce que :

elle n'a pas été l'organisatrice de l'entraînement au cours duquel [J] [Y] a été blessé, et n'était ainsi pas tenue envers lui d'une obligation de sécurité ;

en tant que de besoin, il n'est par ailleurs pas prétendu que la FFL aurait commis une faute ayant contribué à la survenance du dommage dans l'exercice du pouvoir d'édicter des règles techniques et d'organisation qui lui a été délégué par l'Etat.



2 -Dès lors que l'action principale des consorts [Y]-[I] en responsabilité contractuelle de l'USI est accueillie, induisant une indemnisation intégrale des préjudices subis par la victime directe et les victimes par ricochet, et induisant l'obligation de garantie par les sociétés MMA en exécution du contrat d'assurance de responsabilité civile envers les licenciés de la FFL, souscrit auprès de la société COVEA RISKS, il en résulte que la demande subsidiaire des consorts [Y]-[I] fondée sur une perte de chance de [J] [Y] d'avoir souscrit un contrat d'assurance de personne, et les moyens de défense opposés sur ce point par les appelantes, sont sans objet.



3 -Concernant le recours de la CPAM du Val-de-Marne, l'USI fait valoir, de manière inopérante, que ladite caisse n'aurait pas interjeté appel du jugement entrepris et aurait demandé la condamnation des appelantes si la Cour réforme le jugement entrepris et estime que [P] [F] et/ou la FFL et/ou l'USI ont commis une faute à l'origine des préjudices subis par [J] [Y] et que, n'ayant articulé aucune critique du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées sur ce fondement, aucune condamnation ne pourrait être prononcée au profit de ladite caisse.

Les sociétés MMA soutiennent, de manière analogue, que la CPAM du Val-de-Marne n'aurait pas relevé appel de la décision ayant rejeté son recours subrogatoire, de sorte que l'ensemble de ses demandes devrait être rejeté.



Les sociétés MMA dénaturent le jugement entrepris en soutenant qu'il aurait rejeté le recours subrogatoire de la CPAM.

Dans les motifs de son jugement, le Tribunal s'est borné à énoncer que la créance de la CPAM était sérieusement contestable de sorte que, dans le dispositif de sa décision, il a rejeté la demande de provision présentée par la CPAM.

Le Tribunal n'a, en revanche, pas statué sur le fond du recours de la caisse.



La CPAM du Val-de-Marne a formé appel incident du rejet de sa demande de provision puisqu'elle demande en cause d'appel la condamnation des appelantes principales à lui payer une provision de 514.040,60 €.

La recevabilité de cet appel incident n'est pas contestable.



La CPAM a produit un décompte provisoire de débours en date du 12/08/2015, d'un montant total de 514.040,60 €, correspondant exclusivement à des prestations en nature.

Ces prestations seront nécessairement partie intégrante des postes de préjudice corporel de [J] [Y] afférents aux dépenses de santé actuelles et, le cas échéant, futures (selon la date de consolidation qui sera fixée par expertise).

Toutefois, il n'y a pas lieu de condamner l'USI, tiers responsable, au paiement d'une provision de ce montant, qu'elle n'est pas financièrement en mesure d'assumer.

La garantie, par les sociétés MMA, de la dette de l'USI envers la CPAM ne peut être considérée présentement comme non sérieusement contestable, compte tenu du plafond de garantie stipulé dans le contrat d'assurance de responsabilité civile souscrit auprès de la société COVEA RISKS, et compte tenu de l'indétermination actuelle des indemnisations devant revenir à la victime directe.

La demande de provision de la CPAM sera en conséquence écartée.



4 -Il résulte des motifs qui précèdent que l'USI et les sociétés MMA sont parties perdantes, de sorte qu'elles doivent supporter les dépens d'appel.

La demande indemnitaire de [J] [Y] fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile sera accueillie, en cause d'appel, à hauteur de 6.000 €.

Celle de la CPAM du Val-de-Marne pareillement fondée sera accueillie à hauteur de 1.500 €.



PAR CES MOTIFS,

la Cour



Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Créteil en date du 6/02/2015 en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la Fédération Française de Lutte,

- avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [S], architecte, et au docteur [A],

- condamné in solidum l'Union Sportive d'Ivry et la société COVEA RISKS à payer à [J] [Y] les sommes de :

> 400.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

> 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de provision formée par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne,

- rejeté les autres demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens,



Y ajoutant,



Condamne les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à payer les sommes au paiement desquelles la société COVEA RISKS a été condamnée en première instance.



Infirme ledit jugement en ses autres dispositions et, statuant à nouveau,



Dit que l'Union Sportive d'Ivry est contractuellement responsable des dommages dont a été victime [J] [Y] le 2 février 2009.



Dit que l'Union Sportive d'Ivry et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES - ces dernières dans les limites de garantie stipulées par le contrat d'assurance de responsabilité civile n° 114 969 440 - sont obligées in solidum à l'indemnisation de l'entier préjudice corporel subi par [J] [Y].



Met la Fédération Française de Lutte hors de cause.



Condamne l'Union Sportive d'Ivry et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES in solidum à payer les indemnités suivantes par application, en cause d'appel, de l'article 700 du Code de Procédure Civile :

- à [J] [Y] : 6.000 € (six mille euros)

- à la CPAM du Val-de-Marne : 1.500 € (mille cinq cents euros).



Condamne l'Union Sportive d'Ivry et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES in solidum aux dépens d'appel.



Dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile au profit de l'avocat de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val-de-Marne.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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