17 février 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-86.969

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:CR00149

Titres et sommaires

INSOLVABILITE FRAUDULEUSE - Eléments constitutifs - Elément légal - Décision de justice - Constatation - Nécessité

Le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est caractérisé que lorsque l'intéressé a commis les faits dans le but de se soustraire à l'exécution d'une condamnation patrimoniale définitive, même postérieure aux agissements incriminés. Encourt la censure l'arrêt qui déclare le prévenu coupable de cette infraction sans constater qu'il a fait l'objet d'une telle condamnation

Texte de la décision

N° W 14-86.969 FS-B-P

N° 149

SC2
17 FÉVRIER 2016


CASSATION PARTIELLE


M. GUÉRIN président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. [H] [D], contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2014, qui, pour recel, blanchiment et organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve, cinq ans d'interdiction d'émettre des chèques et d'utiliser une carte bancaire, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 janvier 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mme Zerbib, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Bonnet ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, et du jugement qu'il confirme, que Mme [D], comptable du comité d'établissement de la Région SNCF [Localité 1] (CE SNCF [Localité 1]), a, entre le 10 juillet 2009 et le 10 juillet 2012, détourné des sommes au préjudice de son employeur en contrefaisant des chèques qui ont été déposés sur son compte personnel, sur lequel son époux bénéficiait d'une procuration ainsi que sur plusieurs comptes joints dont le couple était titulaire, augmentant ainsi ses revenus annuels de 75 000 euros ; qu'à l'issue de l'information, M. [D] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de recel habituel, blanchiment et organisation frauduleuse d'insolvabilité ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 321-1 et 321-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [D] coupable de recel à titre habituel, blanchiment à titre habituel, organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'a condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans, a prononcé l'interdiction d'émettre des chèques et d'utiliser des cartes bancaires pendant cinq ans, a décerné un mandat de dépôt, a ordonné la confiscation des scellés, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs qu'ainsi que le retient le tribunal, M. [D] était loin d'être détaché de la gestion des biens du couple comme l'attestent les travaux qu'il a fait réaliser dans la maison de [Localité 2], héritée de sa mère dans laquelle il a créé deux lots qu'il a lui-même vendus, et l'établissement d'un tableau très détaillé des dépenses engagées pour rénover ce bien entre 2009 et 2012 afin de les imputer au titre des frais de succession ; qu'il devait encore manifester son engagement dans la gestion de ses biens en faisant réaliser des travaux de rénovation de l'autre immeuble, également compris dans la succession de sa mère, pour un montant de 13 800 euros, et dans la résidence du couple à [Localité 3] pour 8 800 euros (portail et terrassement) ; que non seulement, M. [D] n'était nullement ignorant des dépenses du couple, mais il connaissait parfaitement ses revenus réguliers mentionnés sur la déclaration annuelle des revenus cosignée par lui, de l'ordre de 57 000 euros en 2011, alors que les détournements opérés par son épouse s'élevaient à 75 000 euros ; qu'il ne peut donc sérieusement prétendre que le véhicule Mercédès acquis en 2012 pour 32 000 euros, le camping-car acheté 78 000 euros en 2010, la moto acquise pour 28 000 euros fin 2007, ainsi que les travaux engagés dans les biens immobiliers pour un montant de 32 000 euros entre 2009 et 2012 et la donation de 28 500 euros ont été financés avec les seuls revenus licites du ménage, alors que la vente du premier lot de [Localité 2] en janvier 2012 n'a rapporté que 88 000 euros ;

"1°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à son absence ; que le recel est le fait, par un moyen quelconque, de bénéficier en connaissance de cause du produit de l'infraction principale ; que la qualité d'époux de l'auteur de l'infraction principale ne permet pas de caractériser le recel ; qu'en déduisant implicitement l'existence de faits de recel à l'encontre de M. [D] de sa qualité d'époux de Mme [K] [D], auteur de l'infraction principale de détournement, tandis qu'aucun élément du dossier n'établit sa connaissance de la provenance frauduleuse des fonds détournés exclusivement par son épouse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

"2°) alors que de même, la gestion par M. [D] des biens hérités de sa mère et leur entretien au moyen de ses revenus licites ne sauraient impliquer un bénéfice, en connaissance de cause, des sommes détournées par son épouse ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision ;

"3°) alors que la contradiction de motifs équivaut à son absence ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que les revenus réguliers du couple, mentionnés sur la déclaration annuelle des revenus cosignée par M. [D], étaient de l'ordre de 57 000 euros annuels, que le montant total des dépenses engagées pour rénover les biens immobiliers était, pendant la période de la prévention, de 32 000 euros, soit un montant annuel moyen de 10 600 euros, montant qui pouvait par conséquent être financé par les revenus réguliers et donc licites du couple ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, en déduire le recel ;

"4°) alors que les juges correctionnels ont l'obligation de répondre aux moyens péremptoires soulevés par les conclusions régulièrement déposées ; que M. [D] faisait valoir que les véhicules Mitsubichi Pajero et Camping car pilote avaient été achetés d'occasion grâce à un crédit Cetelem et Finaco et que le véhicule Mercédès classe B avait été acheté avec l'argent de la vente d'un lot créé dans la propriété de [Localité 2] héritée de sa mère ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce chef péremptoire des conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer M. [D] coupable du délit de recel, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le prévenu a utilisé les sommes qu'il savait provenir d'un détournement pour, notamment, effectuer des réparations sur les biens immobiliers dont sa mère lui avait fait donation et pour acquérir plusieurs véhicules, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-1, 324-1 et 324-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [D] coupable de recel à titre habituel, blanchiment à titre habituel, organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'a condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans, a prononcé l'interdiction d'émettre des chèques et d'utiliser des cartes bancaires pendant cinq ans, a décerné un mandat de dépôt, a ordonné la confiscation des scellés, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que c'est à bon droit que le premier juge a estimé que l'infraction de blanchiment reprochée au prévenu était caractérisée puisque l'information a permis d'établir que les nombreux chèques contrefaits au préjudice du comité d'établissement SNCF [Localité 1] étaient déposés dans des automates afin de ne pas attirer l'attention des employés des agences bancaires avant que les fonds ne viennent se mélanger aux revenus légaux du couple et non déclarés ;

"et aux motifs adoptés que les nombreux chèques contrefaits au préjudice du comité d'établissement SNCF [Localité 1] étaient déposés non dans les agences bancaires où le couple [D] détenait ses comptes, mais dans des automates, les lieux de remises de chèques étaient multipliées, de façon à ne pas attirer l'attention des employés d'agence, et les fonds d'origine frauduleuse étaient ainsi mélangés avec les revenus légaux du couple et non déclarés fiscalement ; Mme [D] avait en outre pris la précaution d'aviser le Crédit mutuel que des remises de chèques en provenance du compte de son mari, ouvert dans une autre banque pourraient intervenir ;

"alors qu'aux termes de l'article 121-1 du code pénal, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, estimé le blanchiment caractérisé en énonçant que les chèques contrefaits avaient été déposés dans des automates pour ne pas attirer l'attention des employeurs des agences bancaires et que Mme [D] avait pris la précaution d'avertir le Crédit mutuel que des remises de chèques, en provenance de compte ouvert dans une autre banque, pourraient intervenir ; qu'en l'état de ces énonciations ne relevant à l'encontre de M. [D], aucun acte de participation à la justification mensongère de l'origine des revenus, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer le demandeur coupable de blanchiment, l'arrêt attaqué énonce qu'afin de ne pas attirer l'attention des employés d'agence, les chèques contrefaits étaient déposés dans des automates situés à des endroits différents, les fonds d'origine frauduleuse étant ainsi mélangés avec les revenus légaux du couple et non déclarés fiscalement ;

Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui ne caractérisent pas un fait de blanchiment imputable au prévenu, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-7 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [D] coupable de recel à titre habituel, blanchiment à titre habituel, organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'a condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans, a prononcé l'interdiction d'émettre des chèques et d'utiliser des cartes bancaires pendant cinq ans, a décerné un mandat de dépôt, a ordonné la confiscation des scellés, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que le tribunal a justement retenu que le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité était constitué en retenant que la donation de la maison de [Localité 4], même si elle était prévue antérieurement, alors que M. [D] connaissait les détournements effectués par son épouse, notamment, par les documents récupérés sur son lieu de travail, l'un d'entre eux relatif au compte fictif mentionnant une somme de 1 200 000 euros, avait été réalisée en urgence entre parents et enfants afin de soustraire ce bien à une éventuelle saisie, de même que le produit de la vente de l'immeuble de [Localité 2] et du camping-car a été utilisé dès perception pour rembourser par anticipation les crédits contractés par le couple et diminuer ainsi son actif, et que les deux véhicules des époux [D] ont été vendus pour les faire échapper à une éventuelle saisie cependant que le prix de vente a été dissimulé ;

"1°) alors que le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité suppose le fait par le débiteur, "même avant la décision judiciaire constatant sa dette", d'organiser ou d'aggraver son insolvabilité ; que ce délit n'est constitué que si le débiteur a eu conscience, au moment des agissements incriminés, du caractère inéluctable de sa condamnation au titre de sa dette ; qu'en l'absence de saisine d'une juridiction de nature à aboutir à une condamnation pécuniaire de M. [D] au titre de sa dette, condition préalable à la caractérisation de l'infraction d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

"2°) alors que les juges sont tenus de répondre aux moyens péremptoires des conclusions régulièrement déposées ; que M. [D] faisait valoir son absence de volonté de soustraire son patrimoine à d'éventuelles poursuites, sa seule volonté étant de rembourser les créanciers ; qu'en s'abstenant de toute réponse à cet argument péremptoire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 314-7 du code pénal ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, selon le second de ces textes, le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est caractérisé que lorsque le prévenu a commis les faits dans le but de se soustraire à l'exécution d'une condamnation patrimoniale définitive, même postérieure aux agissements incriminés ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le prévenu a procédé, à une époque où il savait que les détournements commis par son épouse, qui faisaient l'objet d'une enquête préliminaire, ne pourraient qu'aboutir à une instance pénale ou civile, à la donation d'un immeuble en faveur de ses enfants ainsi qu'à la vente des véhicules lui appartenant afin, d'une part, de réduire son actif patrimonial, et, d'autre part, d'échapper à d'éventuelles saisies ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans constater que le prévenu avait fait l'objet d'une condamnation patrimoniale définitive, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés :

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 5 septembre 2014, mais en ses seules dispositions relatives aux délits de blanchiment et d'organisation frauduleuse d'insolvabilité et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept février deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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