26 octobre 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-20.123

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2016:SO01928

Texte de la décision

SOC.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2016




Rejet


M. FROUIN, président



Arrêt n° 1928 FS-D

Pourvoi n° G 15-20.123


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [B] [I].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 avril 2015.







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme [B] [I], domiciliée [Adresse 2],

contre les arrêts rendus les 16 mai 2013 et 18 septembre 2014 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'Agence spatiale européenne, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 septembre 2016, où étaient présents : M. Frouin, président, M. Huglo, Mme Lambremon, conseiller rapporteur, Mme Geerssen, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mmes Farthouat-Danon, Slove, Basset, conseillers, Mmes Wurtz, Sabotier, Salomon, Duvallet, M. Le Corre, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, Mme Becker, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Lambremon, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de Mme [I], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Agence spatiale européenne, l'avis de M. Petitprez, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 16 mai 2013 et 18 septembre 2014) que l'Agence spatiale européenne (l'Agence) organisation internationale bénéficiant d'une immunité de juridiction a, le 24 juin 2005, engagé Mme [I] en qualité d'ingénieur lanceur, pour une durée de quatre ans, contrat prolongé le 19 juin 2008 pour une durée de six années au-delà du terme initialement prévu ; qu'après s'être plainte auprès de l'Agence de la dégradation de ses conditions de travail, Mme [I], placée en arrêt de maladie, a, le 4 juin 2009, saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir la condamnation de son employeur au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral ; que par lettre du 28 juin 2010, le directeur général de l'Agence a résilié le contrat de la salariée ; que le 27 septembre suivant, Mme [I] a saisi la commission de recours instituée par les statuts du personnel, aux fins d'annulation de cette décision, en demandant en outre réparation des préjudices qu'elle considérait avoir subis ; que par décision du 1er mars 2011, la commission a rejeté ses demandes, considérant que la décision de résiliation du contrat était justifiée au regard des statuts et que les autres demandes étaient irrecevables, « faute d'avoir fait l'objet d'une décision du directeur général soumise au conseil consultatif » ; que le 20 octobre 2011, le président du conseil de l'Agence a refusé de lever l'immunité de juridiction de celle-ci ; que dans le dernier état de la procédure devant la juridiction prud'homale, Mme [I] demandait que la rupture de son contrat de travail soit qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse et que lui soient allouées différentes indemnités au titre de la rupture de son contrat, outre sa demande initiale de dommages-intérêts pour harcèlement moral ; que l'Agence a soulevé l'incompétence de la juridiction prud'homale en invoquant son immunité de juridiction ;

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt du 18 septembre 2014 de dire le conseil de prud'hommes incompétent pour connaître de ses demandes et de la renvoyer à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen, qu'une organisation internationale ne peut invoquer son immunité de juridiction dès lors qu'elle n'a pas mis en place, pour le règlement de ses conflits du travail, un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, conforme à la conception française de l'ordre public international dont l'une des composantes est le droit au procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; un tel recours n'existe pas au sein de l'Agence spatiale européenne ; en effet, sa commission de recours est composée de membres, rémunérés par elle, qui sont désignés par son conseil (composé des États membres) pour une durée de six années renouvelables sans limitation de durée (articles 34.1, 34.3 du statut du personnel), ce qui est de nature à faire douter un observateur objectif de son indépendance ; par ailleurs cette commission de recours ne jouit pas d'une plénitude de juridiction dès lors qu'elle n'a compétence que pour connaître « des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l'Agence » qu'elle peut annuler et pour « réparer tout dommage subi par le requérant à la suite de la décision [annulée] » (articles 33.1 à 33.3 du statut du personnel) ; de plus il existe des obstacles procéduraux excessifs pour accéder à la commission de recours puisqu'il faut au préalable épuiser la procédure devant un comité consultatif dont la saisine procède de la décision non pas du requérant, mais du seul directeur général de l'ASE (articles 41.5, 32/1 et 32/2 du règlement du personnel) ; en jugeant cependant, au regard des textes susvisés, que l'Agence spatiale européenne pouvait se prévaloir de son immunité de juridiction si bien que le conseil de prud'hommes de Paris était incompétent pour connaître des demandes formées par Mme [I], la cour d'appel a violé la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu que la commission de recours, indépendante de l'Agence, connaît des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l'Agence et l'opposant à un membre du personnel en fonction, un ancien membre du personnel ou ses ayants droit, qu'elle a pouvoir d'annulation des décisions contraires à la réglementation, au contrat ou aux droits acquis, et qui portent atteinte à un intérêt personnel et direct du requérant, et dispose d'un pouvoir subséquent de réparation du dommage subi, que ses six membres, de nationalités différentes, désignés pour six ans avec possibilité de renouvellement par le conseil de l'Agence, organe composé de représentants des États membres, sont indépendants, en ce qu'ils ne peuvent être membres ni du personnel de l'Agence, ni d'une délégation d'un État membre et « ne doivent ni solliciter, ni accepter d'instructions de quiconque », qu'ils ne peuvent être révoqués que par décision du conseil, « sur recommandation unanime de tous les autres membres de la Commission », que le fait que la rémunération des membres de la commission soit assurée par l'Agence est inévitable, et la circonstance que ce soit le conseil qui décide du niveau de cette rémunération et non le directeur général, constitue à cet égard une garantie suffisante, que la procédure devant la commission, contradictoire, est publique, à moins que la commission n'en décide autrement « pour des raisons valables », que la règle de la décision préalable qui prévoit que la commission de recours ne peut être saisie qu'à la suite d'une décision prise, expressément ou implicitement, par l'Agence, et ce pour contester cette décision, en obtenir l'annulation et la réparation du préjudice qui en est résulté, outre qu'elle découle pour l'essentiel de la nature de la commission de recours, chargée d'exercer un contrôle juridictionnel sur les décisions prises par l'Agence à l'égard de son personnel, a pour conséquence que l'agent qui entend former une demande contre l'Agence doit, avant d'exercer un éventuel recours, présenter directement cette demande à l'organe chargé de l'administration de celle-ci, le directeur général, pour obtenir soit directement satisfaction, soit une décision, expresse ou implicite, de refus qu'il pourra alors contester devant la commission, et que l'obligation de saisine préalable du comité consultatif mise en place par l'article 30-1 (ii) du statut selon une procédure détaillée à l'article 32-2 du règlement, et ce à peine d'irrecevabilité, ainsi que le prévoit l'article 41-5 du statut, qui, compte tenu du caractère paritaire de la composition du comité, est instituée dans un but de conciliation et s'apparente à un recours gracieux, ne constitue pas un obstacle à la saisine de la commission ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, faisant apparaître que le personnel de l'Agence spatiale européenne, laquelle n'a pas adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dispose, pour le règlement de ses conflits de travail, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, ce dont il se déduit que la procédure instituée par l'organisation internationale n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public international, la cour d'appel, après avoir rappelé qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier le bien-fondé des décisions de la commission de recours, a exactement décidé que cette organisation était fondée à revendiquer le bénéfice de son immunité de juridiction ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Et attendu qu'aucun moyen n'est développé contre l'arrêt du 16 mai 2013 ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [I] aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour Mme [I].

Il est fait grief à la décision attaquée du 16 mai 2013 d'AVOIR accueilli l'Agence spatiale européenne en son contredit, infirmé le jugement déféré, dit qu'en raison de l'immunité de juridiction de l'Agence spatiale européenne, le conseil de prud'hommes de Paris est incompétent pour connaître des demandes formées par Mme [B] [I], renvoyé celle-ci à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra et condamné Mme [B] [I] aux frais du contredit ;

AUX MOTIFS QUE « Sur les faits constants : Il résulte des pièces produites et des débats que -l'Agence spatiale européenne (en anglais, European Space Agency soit ESA) est une organisation internationale créée par une convention du 30 mai 1975 dont le siège est à PARIS, - Mme [B] [I], qui avait précédemment travaillé du mois de juillet 200 1 au mois de décembre 2004 (selon elle) ou de juin 200,5 (selon l'agence) au centre technique et scientifique de l'Agence spatiale européenne aux Pays-Bas pour le compte d'une société sous-traitante, a été engagée par lettre du 24 juin 2005 par l'Agence spatiale européenne en qualité d'ingénieur lanceur pour participer au programme « Soyouz au Centre spatial guyanais» pour une période de quatre ans, contrat prolongé le 19 juin 2008 pour une durée de six années au-delà du terme initialement prévu, - pour la première fois au mois de novembre 2007, puis à nouveau dans le cours de l'année 2009, Mme [B] [I] s'est plainte auprès de la direction de l'agence de la dégradation de ses conditions de travail, - elle a saisi le 4 juin 2009 le conseil de prud'hommes de Paris de la procédure qui a donné lieu à la décision frappée de contredit, - le 30 mars 2010, après avoir tenté de saisir la commission de recours de l'Agence spatiale européenne, Mme [B] [I] a saisi le comité consultatif « en vue de la reconnaissance de la dégradation progressive, spectaculaire et gravement pénalisante de ses conditions de travail à l'ESA et en vue de la réparation des préjudices », - le 28 juillet 2010, le directeur général de l'Agence spatiale européenne, après avoir obtenu l'avis du comité consultatif le 18 juin précédent, a résilié l'engagement de Mme [I], à effet du 30 novembre 2010, compte tenu d'un préavis de quatre mois que l'intéressée était dispensé d'effectuer, - le 27 septembre 2010, Mme [B] [I] a saisi la commission de recours de l'agence de demandes tendant à l'annulation de la résiliation de son engagement à la réparation des préjudices subis et d'un déni de justice, et à la condamnation des personnes responsables, - le 27 novembre 2010, Mme [B] [I] a tenté d'obtenir la levée de l'immunité de juridiction de certains agents ou anciens agents de l'agence, et ce en vue du dépôt par elle d'une plainte pénale, la levée de cette immunité lui ayant été refusée par décision du 17 décembre 2010, - par décision rendue à la suite d'une séance du 1er mars 2011 (affaire n° 87), la commission de recours a dit recevables mais non fondées les conclusions dirigées contre la décision de résiliation et tendant à la réparation des conséquences qu'elle entraînait, a dit que les autres conclusions n'étaient ni recevables ni fondées, et a décidé que la requérante supporterait les frais de sa défense, - le 28 mars 2011, par demande réitérée le 6 juin suivant, Mme [B] [I] a demandé au président du conseil de l'agence la levée de l'immunité de juridiction de celle-ci dans le cadre de la procédure en cours devant le conseil de prud'hommes, - cette demande a été rejetée par le conseil, ainsi que le président de celui-ci en a informé Mme [I] par lettre du 20 octobre 2011, -le 25 novembre 20 Il, Mme [B] [I] a saisi le conseil de prud'hommes en référé de demandes tendant notamment à voir condamner l'Agence spatiale européenne au paiement de ses salaires jusqu'au terme de son contrat, le 30 juin 2015, - par ordonnance du 23 décembre 2011 confirmée par arrêt de cette chambre en date du 6 septembre 2012, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître de ces demandes.
Sur le principe de l'immunité de juridiction de l'Agence spatiale européenne et ses exceptions : La convention internationale créant l'Agence spatiale européenne, convention dont la ratification par la France a été autorisée par la loi du 2 juillet 1980, prévoit en son article XV que « l'Agence, les membres de son personnel et les experts ainsi que les représentants de ses États membres, jouissent de la capacité juridique, des privilèges et immunités prévus à l'annexe 1 ». Ladite annexe énumère de façon limitative les exceptions à l'immunité de juridiction et d'exécution reconnue à l'agence (article IV), la première de ces exceptions et seule pertinente pour l'examen du présent litige étant le cas où l'agence renonce expressément à son immunité, par décision du conseil, et dans un cas particulier, précision étant apportée que « le Conseil a le devoir de lever cette immunité dans tous les cas où son maintien est susceptible d'entraver l'action de la justice et où elle peut être levée sans porter atteinte aux intérêts de l'Agence ». S'agissant spécifiquement de l'immunité reconnue aux membres du personnel de l'agence, il est également précisé (article XXI) que la levée de l'immunité doit être accordée par le directeur général quand les mêmes conditions sont remplies. Par ailleurs aux termes de l'article XXII, « l'Agence coopère en tout temps avec les autorités compétentes des États membres en vue de faciliter une bonne administration de la justice, d'assurer l'observation des règlements de police et de ceux qui concernent la manipulation d'explosifs et de matières inflammables, la santé publique et l'inspection du travail ou autres lois nationales de nature analogue, et d'empêcher tout abus des privilèges, immunités et facilités prévus par la présente annexe ». S'agissant de la situation des employés de l'organisation, l'article XXVII prévoit que « l'Agence prend les dispositions appropriées en vue du règlement satisfaisant des différends s'élevant entre l'Agence et le Directeur général, les membres du personnel ou les experts au sujet de leurs conditions de service ». En tout état de cause, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus l'Agence spatiale européenne, saisie d'une demande en ce sens par Mme [B] [I], a refusé de lever son immunité dans le cadre du litige engagé devant le conseil de prud'hommes. L'immunité ainsi reconnue à l'Agence spatiale européenne par la convention internationale qui l'a créée est, ainsi que le fait valoir à juste titre cette organisation internationale, de nature différente de celle reconnue aux États étrangers. Si l'immunité de ces derniers peut céder, ainsi que le prévoit la convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 relative à l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, lorsqu'ils sont attraits devant un conseil de prud'hommes par un salarié engagé en France et qui n'a pas été embauché pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique, il n'en est pas de même en pareil cas pour ce qui concerne une organisation internationale. La nature des fonctions exercées par l'agent qui saisit la juridiction nationale est, en effet sans incidence sur l'immunité, étant en tout état de cause observé qu'il n'est pas contesté que Mme [I], engagée pour participer à un programme commun avec les institutions spatiales russes, travaillait à l'accomplissement direct de la mission qui est confiée à l'agence par la convention qui l'a créée, à savoir assurer et développer « la coopération entre États européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiales », notamment en « concertant la politique des États membres à l'égard d'autres organisations et institutions nationales et internationales ». L'immunité de l'agence dans le cadre d'un litige l'opposant à un membre de son personnel n'est pas pour autant absolue. Ainsi que les parties en conviennent, une organisation internationale ne peut, en effet, invoquer son immunité devant une juridiction nationale du travail que pour autant qu'elle ait mis en place, pour le règlement de ses conflits du travail, un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité conformes à la conception française de l'ordre public international. Il convient que soit ainsi garanti l'accès à un tribunal indépendant et impartial, permettant la tenue d'un procès équitable dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme, dont Mme [B] [I] se prévaut à juste titre en ce que les exigences qui découlent de ce texte sont partie intégrante de la conception française de l'ordre public international. Il appartient, en conséquence, à la juridiction, nationale saisie d'un litige engagé par un employé de l'Agence spatiale européenne contre celle-ci de déterminer si les mécanismes de traitement des litiges de ce type mis en place par l'agence répondent ou non à ces exigences. La cour ne doit pas limiter son examen à l'analyse théorique des dits mécanismes, mais doit vérifier, ainsi que l'y invite Mme [I], la réalité de leur mise en oeuvre, afin de déterminer si ceux-ci permettent d'assurer effectivement la garantie du droit au procès équitable. Il sera ajouté, à ce titre, qu'au cas présent, ainsi qu'il a été déjà relevé, Mme [B] [I] avait saisi les organes internes de l'Agence spatiale européenne, qui ont rendu une décision qui lui a été défavorable. En pareille circonstance, il n'appartient pas à la cour, qui ne saurait s'ériger en juridiction d'appel des décisions d'un organe mis en place par une convention internationale, d'apprécier l'effectivité de la garantie du droit au procès équitable par l'examen du fond de la décision rendue. C'est en revanche de façon pertinente à la détermination de l'effectivité des droits garantis qu'il peut être procédé à l'analyse de la procédure suivie dans le cadre de cette instance interne à l'agence concernant la défenderesse au contredit, au même titre que dans le cadre d'autres instances concernant des tiers sur lesquelles des pièces sont produites aux débats. Sur la conformité aux règles du procès équitable des mécanismes de traitement des litiges mis en place par l'Agence spatiale européenne. Pour l'application de l'article XXVII de l'annexe 1 à la convention, le statut du personnel de l'agence crée deux organes distincts, un comité consultatif et une commission de recours, dont la mission, la composition et les règles de fonctionnement sont précisées dans le règlement du personnel, et ce ainsi qu'il est brièvement résumé ci-après Le comité consultatif donne un avis au directeur général avant les décisions de résiliation des contrats pour incapacité ou insuffisance professionnelle et les décisions de révocation disciplinaire des agents (article 30.1 (i) du statut), et lorsqu'un membre du personnel souhaite l'annulation d'une autre décision du directeur général - article 30.1 (ii) -, dès lors que cette annulation est de la compétence de la commission de recours, les parties pouvant toutefois convenir de saisir directement cette dernière sans solliciter l'avis du comité consultatif. Ce comité, qui ne peut être appelé qu'une seule fois à donner son avis sur une même affaire, a une composition paritaire, ses membres étant nommés pour moitié par le directeur général et pour moitié par l'association du personnel. La commission de recours, « indépendante de l'Agence », « connaît des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l'Agence et l'opposant à un membre du personnel en fonctions, un ancien membre du personnel ou ses ayants droit ». Elle a pouvoir d'annulation des décisions contraires à la réglementation, au contrat ou aux droits acquis, et qui portent « atteinte à un intérêt personnel et direct du requérant », et dispose d'un pouvoir subséquent de réparation du dommage subi. Elle a également compétence pour les litiges entre membres du personnel, lorsque le directeur général a refusé de lever leur immunité. Enfin, elle statue sur les « litiges relatifs à sa juridiction » telle que définie par le statut ou sur toute question de procédure. Ses six membres, de nationalité différente, sont désignés pour six ans - leur mandat pouvant être renouvelé - par le conseil de l'agence (organe composé de représentants des États membres, à qui incombent les principaux choix et qui, notamment, adopte à la majorité des deux tiers le statut du personnel), et ce sur proposition des délégations des États membres ou du directeur général, sont indépendants (ils ne peuvent être membres ni du personnel de l'agence, ni d'une délégation d'un Etat membre et « ne doivent ni solliciter, ni accepter d'instructions de quiconque »). Deux d'entre eux au moins sont « des personnalités particulièrement compétentes en matière de droit du travail et de relations avec le personnel, de préférence dans le domaine international ». Ils ne peuvent être révoqués que par décision du conseil, « sur recommandation unanime de tous les autres membres de la Commission ». La commission doit entreprendre l'examen des recours dans un délai de trois mois, qui peut être prorogé, sans pouvoir toutefois dépasser six mois. La procédure devant elle est publique, à moins que la commission n'en décide autrement « pour des raisons valables ». Elle est contradictoire et gratuite. Les décisions de la commission ne sont pas susceptibles d'appel. Des recours en interprétation ou en révision sont prévus.
- Sur les conditions de saisine de ces organes Mme [B] [I] soutient à tort que des restrictions indues, contraires à son droit d'accès à un tribunal, seraient apportées à la possibilité de saisir ces organes. La règle de la décision préalable, qui prévoit que la commission de recours ne peut être saisie qu'à la suite d'une décision prise, expressément ou implicitement, par l'agence, et ce pour contester cette décision, en obtenir l'annulation et la réparation du préjudice qui en est résulté, ne saurait constituer une telle restriction. Une telle règle, dont on relèvera qu'elle s'applique à la saisine des juridictions administratives françaises, outre qu'elle découle pour l'essentiel de la nature de la commission de recours, chargée d'exercer un contrôle juridictionnel sur les décisions prises par l'agence à l'égard de son personnel, a pour conséquence que l'agent qui entend former une demande contre l'agence doit, avant d'exercer un éventuel recours, présenter directement cette demande à l'organe chargé de l'administration de celle-ci, le directeur général, de sorte soit à obtenir directement satisfaction, soit à obtenir une décision, expresse ou implicite, de refus, qu'il pourra alors contester devant la commission. L'obligation de saisine préalable du comité consultatif mise en place par l'article 30-1 (ii) du statut selon une procédure détaillée à l'article 32/2 du règlement, et ce à peine d'irrecevabilité, ainsi que le prévoit l'article 41-5 du statut, n'encourt pas davantage les griefs qui lui sont adressés. Si, en effet, il résulte de ces textes qu'après toute décision du directeur général qui n'a pas été rendue sur avis préalable du comité consultatif, l'avis de ce comité doit être demandé « lorsque le membre du personnel intéressé a manifesté par écrit au Directeur général son intention de contester la décision prise », cette procédure préalable qui, compte tenu du caractère paritaire de la composition du comité, est instituée dans un but de conciliation et s'apparente à un recours gracieux, dès lors que sur l'avis du comité consultatif le directeur général peut décider d'annuler ou de modifier sa décision, ne constitue pas un obstacle à la saisine de la commission. Il est en effet prévu que c'est à l'agent intéressé qu'il appartient d'introduire une demande d'avis du comité, demande sur la base de laquelle le directeur général, soit annule ou modifie sa décision, soit poursuit la procédure en saisissant le secrétaire du comité de la demande d'avis. Il en résulte que, si la saisine formelle du comité est faite par le seul directeur général, c'est pour tenir compte de la faculté qui est laissée à celui-ci, lorsque l'agent intéressé initie la procédure par la demande de saisine de cet organe consultatif, d'annuler ou de modifier la décision litigieuse. En cas d'annulation, la décision contestée ayant disparu, la saisine du comité perd tout objet. Il en est de même au cas où la décision initiale est seulement modifiée, dès lors que cette décision modifiée se substitue à la précédente et que c'est seulement elle qui peut alors faire l'objet d'une nouvelle procédure de contestation. C'est donc à tort que Mme [I] soutient que le directeur général aurait un pouvoir discrétionnaire pour saisir, ou ne pas saisir et ainsi bloquer la procédure, le comité consultatif. Il est sans effet sur l'accès à la commission de recours que l'avis du comité ne puisse porter que sur la régularité de la procédure éventuellement mise en cause, la légalité des décisions contestées et le bien-fondé d'une demande d'indemnisation, étant observé que le champ des litiges potentiels semble ainsi épuisé, dès lors qu'une éventuelle limitation du champ de compétence du comité ne saurait limiter la compétence de la commission de recours à statuer sur tous les points découlant de la décision litigieuse. C'est à tort, à cet égard, que Mme [B] [I] soutient que cette compétence limitée lui interdisait de voir trancher ses demandes relatives à la reconnaissance et à l'indemnisation de la dégradation de ses conditions de travail, au motif que « ces faits ne renvoient à aucune procédure du statut du personnel », alors que toute décision du directeur général refusant de reconnaître et d'indemniser la dégradation alléguée aurait été susceptible d'un recours devant la commission et d'une saisine préalable du comité consultatif, lequel aurait alors été compétent pour examiner le bien-fondé d'une telle décision, et que le statut du personnel n'a pas vocation à énumérer de façon limitative le type de décision que le directeur général est susceptible de prendre, chaque décision dépendant de la demande à laquelle elle répond, ni à codifier pour chaque type de demande une « procédure » devant ledit directeur général, selon laquelle celui-ci devrait répondre à la demande correspondante, dans des conditions qui pourraient être ultérieurement contestées. Il doit être encore rappelé, à ce titre, que la saisine du comité consultatif, préalable à celle de la commission, est, elle aussi et pour cette raison même, soumise à la règle de la décision préalable. C'est tout aussi en vain qu'il est encore soutenu par la défenderesse au contredit qu'il résulterait des termes de l'article 41.5 du règlement (« l'action devant la Commission de Recours n'est recevable que lorsque la procédure prévue par les articles 30.1 (ii) et 32 est épuisée ») que la commission ne pourrait être saisie par quiconque dans le cas de l'article 30.1 (i), alors qu'au contraire, cette omission permet que la commission de recours soit saisie alors même que le directeur général a pris une décision de résiliation ou de révocation sans avoir respecté l'obligation qui lui est faite de demander l'avis préalable du comité consultatif. C'est également par une lecture erronée de cette même disposition et de la décision de la commission de recours dans l'affaire n° 70 (séance du 8 juillet 1998) que Mme [I] soutient que les anciens membres du personnel ne pourraient pas saisir la commission de recours, alors que s'il résulte de la rédaction de l'article 30.1 (ii), tel qu'interprété par ladite décision, que la saisine du comité consultatif avant l'engagement d'une procédure devant la commission de recours n'est pas ouverte aux anciens membres du personnel, la conséquence en est, non pas que la saisine de la commission de recours est impossible aux anciens membres du personnel, mais au contraire que ceux-ci peuvent saisir cette commission sans passer par la phase préalable d'avis devant le comité consultatif, ce qui résulte clairement des termes de J'article 41.5 susvisé. Il sera observé, à cet égard, que si la décision du 9 octobre 1998 conclut à l'irrecevabilité du recours, ce n'est nullement à raison du défaut de saisine préalable du comité consultatif, mais parce qu'il avait été engagé alors que le délai pour agir avait expiré. Enfin, si la saisine de la commission de recours n'est pas accessible aux « contractants et personnes extérieures de l'ASE », c'est évidemment parce que l'agence n'est pas leur employeur, de sone qu'il appartient au salarié concerné d'agir contre son réel employeur Mme [I] ne saurait donc se prévaloir de ce que l'action prud'homale qu'elle a engagée concernerait des faits criminels survenus en 2004 (une tentative de viol) alors qu'il n'est pas contesté qu'elle n'était pas salariée de l'agence, mais engagée dans une relation contractuelle (dont la nature n'est pas précisée) avec un sous-traitant de celle-ci. L'incompétence de la commission de recours dans ce type de cas ne saurait donc priver l'intéressée du recours à un tribunal, au cas où une procédure pénale conduirait à la mise en cause, dans ces faits criminels, d'un salarié de l'agence, puisque cette commission de recours n'est pas une juridiction pénale. Rien, dans l'analyse de la procédure suivie dans le cas de Mme [I], devant le comité consultatif et la commission de recours, ni des termes de la décision finalement rendue de laquelle la cour, ainsi qu'il a été dit, ne saurait s'ériger en juridiction d'appel, ne vient contredire l'analyse qui précède il sera en particulier relevé qu'aucune des pièces produites ne démontre que Mme [I] aurait tenté d'obtenir du directeur général telle ou telle autre décision préalable que celle de résiliation, qu'elle a en vain contestée devant la commission, et ce dans des conditions qui auraient rendu recevables ses autres demandes, ce que confirme l'exposé des faits donné par la défenderesse au contredit elle-même en pages 60 à 66 de ses écritures, précisément au soutien du moyen consistant à faire valoir qu'elle aurait été personnellement privée de son droit d'accès à un tribunal de sorte que son propre cas serait l'illustration de la démonstration générale à laquelle elle s'était précédemment livrée
- Sur la compétence de la commission de recours : Il sera en tant que de besoin rappelé à ce stade que c'est à tort que Mme [B] [I] déduit de la combinaison de l'article 30.1 (ii) du statut, qui impose l'avis du comité consultatif lorsqu'un membre du personnel soutient qu'une décision du directeur général autre que celles visées au (i) « devrait être annulée pour l'un des motifs indiqués à l'article 33 qui définit la compétence de la Commission de Recours », d'une part, et de l'article 32/2 du règlement qui limite, en pareil cas, le champ de l'avis du dit comité qui ne doit porter que « sur la régularité de la procédure éventuellement mise en cause, sur la légalité des décisions contestées ou sur le bien-fondé d'une demande d'indemnisation » (à supposer, ainsi qu'il a été déjà relevé, qu'une telle énumération écarte de la procédure d'avis des questions qui entrent dans le champ de compétence de la commission), d'autre part, que la compétence de la commission devrait connaître les mêmes éventuelles limitations qui sont apportées à celle du comité. L'article 33.6 du statut qui donne compétence à la commission de recours « pour statuer sur les litiges relatifs à sa juridiction » n'a de sens que si l'on considère l'emploi du substantif « juridiction » comme résultant d'un anglicisme et signifiant en fait « compétence » et non pas, comme le propose Mme [I], « législations », ce que le contexte exclut. Il rappelle ainsi un principe général du droit international et national selon lequel toute juridiction est le premier (et au cas présent le seul) juge de sa compétence, notamment au regard des textes qui la fondent, et ne constitue donc nullement une restriction illégitime des pouvoirs de la commission de recours. À cet égard, Mme [I] soutient en vain que la commission se verrait ainsi interdire de juger de la conformité du statut du personnel de l'Agence spatiale européenne à d'éventuelles normes supérieures, qu'il lui appartiendrait de dégager ou de déterminer et d'interpréter. Il doit être encore rappelé, à ce stade, que la règle de la décision préalable ne constitue pas une limitation abusive de la compétence de la commission de recours, dès lors que l'intervention d'une telle décision résulte inéluctablement de l'existence d'une demande claire et précise, puisque les décisions susceptibles de recours peuvent être, ainsi qu'il a déjà été relevé, expresses ou implicites. Par ailleurs, Mme [I], qui indique avoir déposé une plainte pénale devant le procureur de la République compétent du chef des faits criminels dont elle se plaint et qui a échoué à obtenir la levée de l'immunité d'employés de l'agence dont la responsabilité pénale lui paraissait acquise pour la seule raison que lesdits employés n'étaient pas mis en cause dans le cadre de cette procédure pénale, ne saurait sérieusement prétendre que la commission de recours, instituée comme juridiction du travail, devrait pouvoir également agir en qualité de juridiction civile, pénale, constitutionnelle et de sécurité sociale. Pour autant, Mme [I], indiquant qu'elle n'envisage les faits susceptibles de donner lieu à des actions devant ces différents types de juridiction qu'en tant qu'ils participent d'un harcèlement moral, pouvait susciter du directeur général de l'agence une décision reconnaissant ou non l'existence d'un tel harcèlement et accordant ou non une indemnisation de ce chef, pour la contester ensuite devant la commission de recours. Les décisions prises par cette commission invoquées par Mme [I] au soutien du moyen selon lequel les limitations apportées à la compétence de la commission seraient contraires à son droit d'accès à un tribunal sont dénuées de pertinence On relèvera en effet que : - la décision dans l'affaire n° 60 (séance du 14 octobre J 996) rappelle seulement le principe de la décision préalable, de même que celles rendues dans les affaires n" 49 (séance du 8 décembre 1994) et 56 (séance du 27 mars J 996) tirent de ce principe la conséquence qu'il n'appartient pas à la commission de substituer sa décision à la décision qu'il lui est demandé, ou qu'elle décide, d'annuler, - malgré sa formulation (« il n'appartient pas à la Commission de substituer son appréciation à celle du Directeur Général »), la décision n° 8 (séance du 20 octobre 1978) procède à une telle appréciation 'dans le cadre d'un recours contre un licenciement disciplinaire (« attendu que l'absence manifeste de bonne volonté du requérant en face des efforts de l'administration pour sauvegarder ses intérêts de celui-ci conduisait naturellement à une décision grave qui était nécessaire à la défense des intérêts de l'Agence») prononcé à raison de fautes dont la réalité n'était par ailleurs pas contestée, - la décision dans l'affaire n° 17 (séance du 11 décembre 1980), qui relève que l'avis du comité consultatif n'était pas obligatoire en l'espèce, ne limite nullement la compétence de la commission, mais au contraire déclare la requête recevable et la rejette, contredisant formellement l'argumentation générale par ailleurs formée par la défenderesse au contredit sur les conséquences alléguées sur la compétence de la cour de l'énumération éventuellement limitative des cas dans lesquels l'avis du comité doit être recueilli, - par la décision dans l'affaire n° 47 (séance du 7 juillet 1993), la commission ne se dit incompétente pour examiner un moyen des requérants tendant à une violation alléguée d'un article de la convention ayant fondé l'agence que parce que « la, prétendue violation de l'article XIII de la Convention de l'Agence spatiale européenne est sans rapport avec la Réglementation [applicable au personnel] ou avec les droits [de celui-ci] », ne s'interdisant donc pas de contrôler le respect d'une violation de la convention qui aurait une conséquence sur les droits des requérants, -la décision n° 54 (séance du 27 mars 1996) écarte expressément le moyen de l'agence que Mme [I] conteste donc inutilement, dès lors qu'il n'est pas repris à son compte par la commission, - tout en relevant, ainsi que le fait observer Mme [I], que « la commission note avec satisfaction qu'il a été clairement établi, lors de la procédure écrite et orale, que le recours ne portait pas sur l'exactitude des faits ayant entraîné les décisions déférées », dès lors que « cet aspect de la question aurait indiscutablement dépassé la compétence de la Commission de Recours », la décision rendue dans l'affaire n° 74 (séance du Il juin 2002), sans préciser en aucune façon de quels faits il s'agit - le litige portant sur l'atteinte aux droits acquis que pourrait emporter une décision d'augmentation des taux de contribution des agents actifs et des pensionnés -, évoque le fond du litige qui lui est soumis, pour décider que « l'accroissement des contributions en vue de rétablir l'équilibre du régime de sécurité sociale et éviter une baisse des prestations n'affecte pas les conditions fondamentales ou essentielles d'engagement ou d'emploi », de sorte que la limitation de compétence critiquée n'emporte aucune conséquence, - enfin, la limite à la compétence de la commission, que consacre la décision rendue dans l'affaire n° 85 (séance du 21 septembre 2010) qui déclare irrecevable une requête tendant à l'annulation d'une décision du conseil, au motif que la commission n'est pas juge des choix faits par l'organe « législatif» de l'agence, qui regroupe les représentants des Etats membres, n'apporte pas une restriction illégitime au droit d'accès à un tribunal, les Etats membres ayant pu décider que la définition des grandes orientations et l'élaboration des règles de fonctionnement incombant au conseil ne pouvaient faire l'objet de recours. Dans ces conditions, les pouvoirs reconnus à la commission de recours par la convention, le statut et le règlement, ainsi que l'application effective de ces textes, telle qu'elle résulte de l'analyse des décisions susvisées, ne sont pas contraires au droit d'accès à un tribunal que l'agence doit garantir aux membres de son personnel qui ont un litige avec elle, à défaut d'accepter d'être attraite devant le conseil de prud'hommes en raison de l'immunité dont elle bénéficie.
- Sur la nature de la norme ayant créé la commission de recours : C'est à tort que Mme [B] [I] fait grief à la commission de recours de l'Agence spatiale européenne de n'avoir pas été établie par la loi, au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. Étant rappelé que l'agence n'est pas partie à ladite convention et que, n'étant pas un État, la notion de loi, au sens de l'article 6, doit s'apprécier au regard des règles propres de fonctionnement de cette organisation internationale, il sera seulement observé que si une juridiction doit être établie par la loi, c'est pour présenter un caractère de stabilité et de sécurité juridique et pour garantir le respect des règles démocratiques. Il importe donc peu que la commission de recours n'ait pas été instituée par la convention créant l'agence elle-même, mais par des actes subséquents pris par le conseil de l'agence qui ainsi qu'il a déjà été relevé, est composé de représentants des États membres et est notamment chargé par la convention d'adopter, « à la majorité des deux tiers de tous les États membres, le statut du personnel », de prendre « toutes autres mesures nécessaires à l'accomplissement de la mission de l'Agence », de « créer tous autres organes subsidiaires nécessaires » au dit accomplissement, d'en définir les attributions et de déterminer les cas où ils sont habilités à prendre des décisions. Dans ces conditions, le mode de création de la commission de recours répond aux exigences de la conception française de l'ordre public international.
- Sur l'indépendance et l'impartialité de la commission : Si, ainsi qu'il a été dit, les membres de la commission de recours sont nommés par le conseil de l'agence sur proposition soit des délégations des États membres, soit du directeur général, il ne résulte pas de ce mode de désignation que l'indépendance de la commission à l'égard du conseil, regardé comme l'organe législatif de l'organisation, et du directeur général, considéré comme son organe exécutif, serait compromise. La circonstance que le conseil comme le directeur général puissent être conduits à intervenir dans le cours d'une procédure susceptible d'être ensuite examinée par la commission, le premier pour décider de renoncer dans un cas particulier à l'immunité de l'Agence spatiale européenne, et le second en qualité de défendeur au recours intenté contre une décision qu'il a prise, est à cet égard sans effet sur l'indépendance des membres de la commission. Une éventuelle décision sur une demande de renonciation à l'immunité n'a en effet, de conséquence que sur la compétence des juridictions nationales. Par ailleurs, toute juridiction administrative est instituée pour juger les litiges mettant en cause les autorités publiques, au nombre desquelles se trouvent inévitablement celles participant au processus de nomination des membres de ladite juridiction, étant observé qu'elles y participent /plus souvent comme autorité de nomination à part entière que comme au cas présent, en simple qualité d'autorité susceptible, conjointement avec d'autres de proposer les nominations à l'autorité de nomination. S'il doit être observé que c'est à tort que Mme [B] [I] soutient que le directeur général aurait usé de son pouvoir de proposition des membres qui composaient la commission pendant la période où son affaire a été évoquée, puisqu'au contraire, ainsi qu'elle l'admet ensuite elle-même de façon contradictoire, tous avaient été proposés par leurs délégations respectives, il doit être en tout état de cause rappelé que l'indépendance des membres de la commission se mesure aux garanties statutaires qui leurs sont données afin de leur permettre de résister aux éventuelles pressions dont ils pourraient être l'objet de la part des autorités concourant à leur nomination. Il sera relevé à cet égard que le statut du personnel affirme leur indépendance, prévoit qu'« ils ne peuvent être membres du personnel de l'Agence ni d'une délégation d'un Etat membre » et ajoute qu'« ils ne doivent ni solliciter, ni accepter d'instructions de quiconque ». Le règlement prévoit encore, pour au moins deux d'entre eux, une garantie de compétence « en matière de droit du travail et de relations avec le personnel, de préférence dans le domaine international », et exige également que les propositions de nomination tendent à « assurer un roulement entre les candidats de diverses nationalités ». La durée de leur mandat, soit six années, est suffisamment longue pour assurer un exercice serein de leur mission, et le seul fait que ce mandat peut être renouvelé, s'il peut sembler introduire un risque de complaisance à l'égard de l'autorité compétente pour décider de ce renouvellement, n'est pas en soi suffisant à remettre en cause leur indépendance, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, étant observé en outre que de nombreuses organisations internationales prévoient cette possibilité de renouvellement du mandat des membres de leur juridiction interne, sans que cette situation ait encouru la critique. Surtout, ainsi que le précise l'article 38 du statut, « la décision de révoquer un membre de la Commission de Recours ne peut être prise que par le Conseil de l'Agence sur recommandation unanime de tous les autres membres de la Commission ». L'inamovibilité des intéressés est donc ainsi suffisamment garantie. Enfin, ce sont également les seuls membres de la commission qui désignent le président et le président suppléant de celle-ci. De plus, le fait que la rémunération des membres de la commission soit assurée par l'agence est inévitable, sauf à envisager une participation purement bénévole ou une dépendance financière à l'égard des parties ou de tiers, et la circonstance que ce soit le conseil qui décide du niveau de cette rémunération, peu important que celle-ci soit assurée à la vacation ou au forfait, et non le directeur général, constitue à cet égard une garantie suffisante. Dans ces conditions et comme le fait valoir le ministère public, l'indépendance statutaire des membres de la commission est assez garantie. C'est en vain que Mme [I] fait valoir, par ailleurs, que le greffier est un membre du personnel de l'Agence spatiale européenne qui, occupé à temps partiel à d'autres tâches que celles du secrétariat de la commission, est pour l'exécution de ces tâches distinctes sous l'autorité du directeur général, dès lors que le greffier n'étant pas membre de la commission de recours et n'ayant aucune part aux décisions que prend celle-ci, n'est pas soumis aux mêmes exigences en la matière que les membres de la commission. Contrairement à ce que soutient encore Mme [B] [I], le curriculum vitae des membres de la commission n'est pas davantage de nature à faire douter de leur impartialité, voire de leur indépendance vis-à-vis de l'agence. Le fait que deux de ces membres aient dans le passé assumé d'importantes responsabilités au sein d'institutions nationales (britannique et française) oeuvrant dans le domaine de l'espace et travaillant en lien avec l'Agence spatiale européenne, avant, plusieurs années plus tard, d'être nommés au sein de la commission, est à cet égard indifférent. Il en est de même de la circonstance qu'un autre membre aurait été expert juridique national du comité administratif et financier de l'agence, plusieurs années avant d'être désigné au sein de la commission, qui n'est pas davantage de nature à faire douter de son impartialité. Il sera, en tout état de cause, relevé que les règles de procédure prévues au statut et au règlement prohibent qu'un membre de la commission prenne part au jugement d'une affaire dans laquelle il est intervenu précédemment en quelque qualité que ce soit et permettent aux parties de demander en pareil cas, comme à raison de la nationalité d'un membre (laquelle introduit seulement une présomption de partialité), une modification de la composition.
- Sur les règles de procédure : Il n'appartient pas, ainsi qu'il a été déjà dit, à la cour de s'ériger en juridiction d'appel de la décision rendue par la commission de recours dans l'affaire concernant Mme [I]. Les griefs que fait valoir celle-ci à cet égard, spécialement sur le déroulement de la procédure d'instruction et de jugement, ne sauraient, en conséquence, être examinés, dès lors qu'ils ne viennent nullement remettre en cause les développements qui précèdent. Il sera seulement observé que la défenderesse au contredit ne soutient à aucun moment, ce qui ne résulte pas davantage de la lecture de la décision prise dans l'instance la concernant (affaire n° 87, séance du 1er mars 2011), qu'elle aurait demandé à la commission le remplacement de l'un ou l'autre de ses membres à raison d'un défaut d'impartialité, ni qu'elle aurait fait valoir devant la commission j'argumentation qu'elle présente aujourd'hui à la cour Mme [I], qui ne conteste pas que la procédure devant la commission de recours est publique et qui, par sa production de pièces, montre qu'elle n'a eu aucune difficulté à obtenir une copie de nombreuses décisions rendues par la commission dans des affaires qui ne la concernaient pas, fait valoir en vain que les décisions de celle-ci ne seraient pas accessibles sur le site internet de l'agence, la conception française de l'ordre public international n'exigeant pas un tel mode d'accès aux décisions d'une juridiction. Les développements que Mme [I] consacre encore au respect du délai raisonnable ne concernent pas spécifiquement la procédure devant la commission de recours, laquelle est d'ailleurs encadrée dans les brefs délais prévus à l'article 41.111 du règlement et étant rappelé qu'il résulte de ce qui précède que moins de six mois se sont écoulés entre la saisine par elle de la commission et la séance pendant laquelle son affaire a été jugée. Aucun manquement à ce principe ne résulte par ailleurs de l'examen des autres décisions produites. Enfin, c'est en vain que Mme [I] oppose aux règles prévues par l'article 41 11/2 du règlement en matière de témoignages les dispositions françaises du code de procédure pénale, et ce sans tenir compte de ce que la commission a été instituée comme juridiction du travail, et non pas comme juridiction pénale et alors qu'aucune limitation indue à la possibilité d'obtenir des témoignages effectifs n'est en tout état de cause apportée par les règles contestées.
Sur les autres demandes : Les autres demandes formées par Mme [I], tant relativement aux discriminations dont elle aurait été l'objet au sein de l'Agence spatiale européenne que s'agissant de l'appréciation par les organes de cette agence des demandes qu'elle avait formées tendant à obtenir la renonciation à l'immunité de juridiction ou la levée de celle-ci, ne sauraient être examinées dans le cadre d'un contredit de compétence. Il sera, en conséquence de ce qui précède, constaté que l'Agence spatiale européenne offre aux membres de son personnel la possibilité de faire valoir leur cause devant un organe juridictionnel interne qui présente les caractéristiques d'un tribunal indépendant et impartial et leur garantit un procès équitable, et ce dans des conditions qui sont en conséquence compatibles avec la conception française de l'ordre public international. Cette organisation internationale pouvait donc se prévaloir de l'immunité de juridiction qui lui est reconnue. Elle sera donc accueillie en son contredit. Le jugement déféré sera infirmé. Il sera dit que le conseil de prud'hommes était incompétent pour connaitre des demandes formées par Mme [B] [I], qui sera en conséquence invitée à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra. Les frais du contredit seront mis à la charge de Mme [I] » ;

1) ALORS QU'une organisation internationale ne peut invoquer son immunité de juridiction dès lors qu'elle n'a pas mis en place, pour le règlement de ses conflits du travail, un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, conforme à la conception française de l'ordre public international dont l'une des composantes est le droit au procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'un tel recours n'existe pas au sein de l'agence spatiale européenne ; qu'en effet, sa commission de recours est composée de membres, rémunérés par elle, qui sont désignés par son conseil (composé des États membres) pour une durée de six années renouvelables sans limitation de durée (articles 34.1, 34.3 du statut du personnel), ce qui est de nature à faire douter un observateur objectif de son indépendance ; que par ailleurs cette commission de recours ne jouit pas d'une plénitude de juridiction dès lors qu'elle n'a compétence que pour connaitre « des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l'Agence » qu'elle peut annuler et pour « réparer tout dommage subi par le requérant à la suite de la décision [annulée] » (articles 33.1 à 33.3 du statut du personnel) ; que de plus il existe des obstacles procéduraux excessifs pour accéder à la commission de recours puisqu'il faut au préalable épuiser la procédure devant un comité consultatif dont la saisine procède de la décision non pas du requérant, mais du seul directeur général de l'ASE (articles 41.5, 32/1 et 32/2 du règlement du personnel) ; qu'en jugeant cependant, au regard des textes susvisés, que l'agence spatiale européenne pouvait se prévaloir de son immunité de juridiction si bien que le conseil de prud'hommes de Paris était incompétent pour connaître des demandes formées par Mme [B] [I], la cour d'appel a violé la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2) ALORS en tout état de cause QU'une organisation internationale ne peut invoquer son immunité de juridiction dès lors qu'elle n'a pas mis en place, pour le règlement de ses conflits du travail, un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, conforme à la conception française de l'ordre public international dont l'une des composantes est le droit au procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme ; que l'accès à ce recours de nature juridictionnelle doit être concret et effectif ; qu'en l'espèce, Mme [I] a attiré l'attention de sa direction à de nombreuses reprises sur la situation de harcèlement au travail qu'elle subissait, mais s'est heurtée à une fin de non-recevoir le 18 mai 2009 (pièce d'appel annexe A-29) avant de faire l'objet d'une procédure de rupture de son contrat de travail ; qu'elle a ensuite tenté d'obtenir du directeur général qu'il accepte la saisine directe de la commission de recours de l'ASE pour qu'elle statue sur les faits de harcèlement (annexe A-54), ce qu'il a refusé le 17 mars 2010 (pièce d'appel n° 75) sans pour autant mettre en oeuvre la procédure préalable devant le comité consultatif ; que la tentative de saisine du comité consultatif par Mme [I] à propos des faits de harcèlement du 30 mars 2010 (annexe A-3) a ensuite été écartée dès lors que « le Comité ne peut être saisi que par le Directeur Général, étant son Comité Consultatif » (annexe A-4) ; que par la suite le directeur n'a saisi le comité consultatif que de la question de la rupture du contrat de Mme [I], si bien que la commission de recours dans sa décision du 1er mars 2011 n'a pu que juger les demandes de la salariée relatives à ses conditions de travail « irrecevables, faute d'avoir fait l'objet d'une décision du DG soumise au Comité consultatif » ; qu'en retenant que Mme [I] aurait pu faire statuer la commission de recours sur la situation de harcèlement dont elle se plaignait si elle avait provoqué une décision de l'employeur sur ce point, sans rechercher s'il ne résultait pas des pièces susvisées qu'une telle décision existait bel et bien, et si l'absence de consultation préalable du comité de consultation ne résultait pas de l'attitude du directeur de l'ASE qui a omis de le saisir, empêchant ainsi Mme [I] d'accéder à la procédure de règlement des conflits pour une partie de ses demandes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3) ALORS QUE tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent viser et analyser les éléments de preuve versés aux débats ; qu'en l'espèce, la salariée versait notamment aux débats la lettre de l'employeur du 18 mai 2009 (pièce d'appel « annexe A-29) répondant à son conseil et indiquant : « selon l'Agence, votre cliente n'a été victime d'aucun harcèlement ni d'aucune mesure susceptible de porter atteinte à sa dignité comme à sa réputation et qu'en définitive l'accumulation de griefs non fondés conduit l'Agence à douter de la bonne foi de l'intéressée » ; qu'il s'en évinçait que Mme [I] avait bel et bien obtenu une décision relative au harcèlement, décision qui n'a cependant pas été soumise au comité consultatif par le directeur de l'ASE malgré son refus de saisine directe de la commission de recours du 17 mars 2010 (pièce d'appel n° 75) ; qu'en affirmant cependant (arrêt page 8 § 2) qu'aucune pièce produite ne démontrait que Mme [I] avait tenté d'obtenir du directeur général telle ou telle autre décision préalable que celle de résiliation de son contrat sans examiner les pièces susvisées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4) ALORS QU'une organisation internationale ne peut invoquer son immunité de juridiction dès lors qu'elle n'a pas mis en place, pour le règlement de ses conflits du travail, un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, conforme à la conception française de l'ordre public international dont l'une des composantes est le droit au procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'une juridiction ou un organe juridictionnel qui excède sa compétence habituelle en méconnaissant délibérément la loi n'est pas un tribunal établi par la loi ; qu'en l'espèce, il était constant qu'après avoir déclaré « irrecevables, faute d'avoir fait l'objet d'une décision du DG soumise au comité consultatif » les demandes de Mme [I] relatives au harcèlement dont elle a fait l'objet, la commission de recours a néanmoins cru « devoir indiqué que ces conclusions ne sont, en tout état de cause, nullement fondées », excédant ainsi sa compétence telle qu'elle était définie par le règlement du personnel de l'ASE ; qu'en omettant d'en déduire tel qu'elle y était invitée (conclusions d'appel page 81) que l'ASE ne pouvait se prévaloir de son immunité, la cour d'appel a violé la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5) ALORS en outre QU'il appartient à l'organisation internationale qui se prévaut de son immunité de juridiction de justifier que les conditions de son application sont réunies, et notamment qu'il existe en son sein un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, conforme à la conception française de l'ordre public international dont l'une des composantes est le droit au procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'en faisant en l'espèce peser le risque et la charge d'une telle preuve sur Mme [I], la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.