21 mars 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-82.347

Chambre criminelle - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2017:CR00617

Texte de la décision

N° P 16-82.347 FS-D

N° 617


JS3
21 MARS 2017


CASSATION


M. GUÉRIN président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :


Statuant sur les pourvois formés par :


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-
M. [V] [N]
La caisse Suva, partie intervenante


contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 11 mars 2016, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef de violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils ;










La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 février 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, Farrenq-Nési, M. Lavielle, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou, Guého, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Cuny ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller BELLENGER, les observations de Me HAAS, de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;


Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour M. [V] [N] par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de séparation des pouvoirs, des articles 1382 du code civil, 2, 3, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit que la faute de M. [N] est une faute personnelle détachable du service, que la juridiction répressive est compétente pour en connaître, a ordonné la mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat et a condamné M. [N] à payer à la Caisse Suva la contrevaleur en euros de 322 010,26 CHF et 13 100 euros majorés des intérêts au taux légal à compter du jour de sa décision ;

"aux motifs qu'il y a lieu à titre liminaire de constater que la demande de M. [H] est exclusivement dirigée contre l'agent judiciaire de l'Etat ; qu'il convient de rappeler que M. [N] a, définitivement, été déclaré coupable d'avoir à [Localité 1], le 7 mars 2004, commis des violences volontaires avec arme ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours, par personne chargée d'une mission de service public à l'occasion de ses fonctions et été condamné pénalement pour ces faits ; qu'il n'est ni contestable ni contesté que M. [N], chargé d'une mission de service public était en fonction lors des faits litigieux et il y a lieu d'examiner la nature de sa faute, à savoir son caractère détachable ou non du service en rappelant les faits ; que le 7 mars 2004, vers 6 heures, le peloton léger d'intervention de l'escadron de gendarmerie mobile 24/7 de [Localité 2] composé de seize militaires s'est présenté au domicile de M. [H] et de sa famille aux fins d'interpeller M. [H] soupçonné d'être l'auteur de violences ; qu'il est constant que cette intervention avait été préparée la veille et le gendarme M. [N] était chargé d'intervenir en trinôme avec deux autres gendarmes dans une des pièces de l'étage de la maison ; qu'au cours de cette intervention, il a en effet pénétré dans cette pièce suivi de ses deux collègues, mais il a tiré un coup de feu avec son pistolet mitrailleur HK type MP5 A5F calibre 9 mm, dont la balle atteignit M. [H], qui était en train de se redresser dans son lit et qui fut grièvement blessé ; que le gendarme M. [N] a expliqué avoir dirigé le canon de son arme vers la personne à interpeller et que le coup est parti parce qu'il a trébuché sur le pas de la porte ; que, cependant l'expert en balistique qui a assisté à la reconstitution des faits a conclu que les constatations techniques faites sur l'arme démontrent que le tir ne pouvait se déclencher qu'à la suite d'une pression franche sur la queue de détente et que M. [N] a nécessairement volontairement déplacé son doigt du long du pontet sur la queue de détente de l'arme, geste sans lequel le coup de feu n'aurait pu avoir lieu ; que l'expert puis le tribunal et la cour ont dit que c'est par un acte volontaire que M. [N] a appuyé sur la détente de l'arme sachant que cette action allait occasionner des blessures ; qu'il est constant que l'intervention des forces de police ou de gendarmerie doit toujours être légitime, nécessaire et proportionnée, or en l'espèce les faits commis à l'occasion du service présentent une « gravité inadmissible » au regard du service et en conséquence cette faute qui revêt un caractère inexcusable est imputable au fonctionnaire et non à la fonction, l'acte perdant ainsi son caractère administratif, qui ne fait plus obstacle à la compétence judiciaire ; qu'il y a donc lieu de constater que la faute de M. [N] est une faute personnelle détachable du service, d'ordonner la mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat et de débouter M. [H] de sa demande mais aussi la Caisse Suva de la demande de condamnation in solidum dirigée à son encontre ;

"1°) alors que la faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public dans l'exercice de ses fonctions et avec les moyens du service, n'est pas détachable des fonctions ; qu'il en va, a fortiori ainsi de la faute non intentionnelle que constitue une telle faute non détachable du service, celle commise par un gendarme intervenant dans le cadre d'une opération de police judiciaire et utilisant son arme à feu dans ce contexte ; qu'ayant constaté que le gendarme M. [N] avait fait usage de son arme dans l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel ne pouvait pas en déduire qu'il avait commis une faute détachable de l'exercice des fonctions et qu'ainsi les juridictions répressives étaient compétentes pour en connaître ;

"2°) alors que les juges correctionnels, se prononçant sur les intérêts civils, sont tenus de respecter les motifs qui servent de soutien nécessaire à la décision définitive sur l'action publique ; que dans sa décision définitive du 28 juin 2007, la cour d'appel a, tant par motifs propres que par motifs adoptés, constaté que les responsables du peloton léger d'intervention de l'escadron de gendarmerie mobile ont créé les conditions ayant amené M. [N] à faire usage de son arme, en le désignant pour interpeller une personne susceptible d'être armée et qualifiée de dangereuse par sa hiérarchie tandis qu'il n'avait jamais connu ce type d'intervention, en mettant à sa disposition une arme particulièrement dangereuse – un pistolet mitrailleur HK type MP5 AF calibre 9 mm –, en lui donnant pour mission d'avancer en tête du trinôme dans un lieu habité de nuit avec pour seul éclairage sa lampe frontale, en mettant en place un dispositif surdimensionné renforçant le sentiment de celui-ci d'avoir affaire à un individu dangereux et en faisant de façon générale pression sur ses agents par les ordres donnés ; que, lorsque les responsables d'une unité de gendarmerie ont créé les conditions pour que l'un de ses agents, dont elle ne pouvait ignorer qu'il n'avait pas l'expérience suffisante pour accomplir la mission qui lui était confiée, fasse un usage inapproprié de son arme, la faute résultant de cet usage inapproprié ne peut pas revêtir le caractère d'une faute détachable du service ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel qui a méconnu le principe de l'autorité de la chose jugée, n'a pas justifié sa décision ;

"3°) alors que les motifs propres ou repris des premiers juges de l'arrêt définitif du 1er juin 2007 sur l'action pénale excluent de la part du jeune gendarme M. [N] toute malveillance à l'égard de la personne à interpeller et révèlent au contraire une simple inexpérience ; que l'hypothèse que celui-ci a pu tirer par peur a été admise par la cour d'appel, excluant nécessairement que la faute relevée puisse revêtir un caractère inexcusable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision" ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour la Caisse Suva par Me Haas, pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 14 fructidor an III, de l'article 1382 du code civil, et des articles 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la Caisse Suva de sa demande de condamnation de l'Agent judiciaire de l'État et a ordonné la mise hors de cause de ce dernier ;

"aux motifs que le gendarme M. [N] a expliqué avoir dirigé le canon de son arme vers la personne à interpeller et que le coup est parti parce qu'il a trébuché sur le pas de la porte ; que, cependant, l'expert en balistique qui a assisté à la reconstitution des faits a conclu que les constatations techniques faites sur l'arme démontrent que le tir ne pouvait se déclencher qu'à la suite d'une pression franche sur la queue de détente et que M. [N] a nécessairement volontairement déplacé son doigt du long du pontet sur la queue de détente de l'arme, geste sans lequel le coup de feu n'aurait pu avoir lieu ; que l'expert puis le tribunal et la cour ont dit que c'est par un acte volontaire que M. [N] a appuyé sur la détente de l'arme sachant que cette action allait occasionner des blessures ; qu'il est constant que l'intervention des forces de police ou de gendarmerie doit toujours être légitime, nécessaire et proportionnée or en l'espèce les faits commis à l'occasion du service présentent une "gravité inadmissible" au regard du service et en conséquence cette faute qui revêt un caractère inexcusable est imputable au fonctionnaire et non à la fonction, l'acte perdant ainsi son caractère administratif, qui ne fait plus obstacle à la compétence judiciaire ; qu'il y a donc lieu de constater que la faute de M. [N] est une faute personnelle détachable du service et d'ordonner la mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'État ;

"1°) alors que la faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public, dans l'exercice de ses fonctions et avec les moyens du service, n'est pas détachable de ses fonctions ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait pas retenir la qualification de faute personnelle détachable du service après avoir pourtant constaté que la faute du gendarme avait justement eu lieu pendant qu'il participait à une opération de police judiciaire et avec les moyens du service ;

"2°) alors que, subsidiairement, l'affirmation du caractère détachable du service d'une faute commise dans l'exercice de ses fonctions et avec les moyens du service suppose la caractérisation d'un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; qu'en se bornant à relever le caractère volontaire de la pression sur la détente sans constater la volonté de l'agent de manquer à des obligations professionnelles et déontologique, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision ;

"3°) alors que, subsidiairement, en se bornant à relever la « gravité inadmissible » de la faute pour déduire son caractère inexcusable, sans rechercher, ainsi que l'y invitaient les conclusions de la Caisse SUVA, si la difficulté de l'interpellation ou l'inexpérience du gendarme pouvaient au contraire conférer un caractère excusable à sa faute, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. [N], gendarme, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, du chef de violences aggravées pour avoir tiré, lors d'une opération de police judiciaire d'interpellation au domicile de M. [H], sur celui-ci, présenté comme étant l'auteur de violences et de tirs de coups de feu, qui se redressait sur son lit ; que M. [N] a été déclaré coupable de violences volontaires et condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis ; que les juges du premier degré, statuant sur intérêts civils, ont débouté M. [H], partie civile, qui n'avait pas conclu ; que celui-ci et la Caisse Suva, partie intervenante, ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour dire que la faute de M. [N] est une faute personnelle détachable du service, ordonner la mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat et condamner M. [N] à payer à la Caisse Suva la contre-valeur de 322 010,26 francs suisses augmentée de 13 100 euros et majorée des intérêts au taux légal, la cour d'appel retient que l'intervention des forces de police ou de gendarmerie doit toujours être légitime, nécessaire et proportionnée, qu' en l'espèce, les faits commis à l'occasion du service présentent une gravité inadmissible au regard du service et qu' en conséquence, cette faute, qui revêt un caractère inexcusable, est imputable au fonctionnaire et non à la fonction, l'acte perdant ainsi son caractère administratif ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans mieux caractériser un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique s'appliquant au gendarme, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 11 mars 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un mars deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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