13 septembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-24.397

Chambre sociale - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:SO02048

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - convention de forfait - convention de forfait en heures - validité - défaut - effets - proposition de l'employeur - modification du contrat de travail - refus du salarié protégé - appréciation - office du juge

Aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne pouvant être imposé à un représentant du personnel, il incombe à l'employeur, en cas de refus du salarié d'accepter la modification ou le changement litigieux, d'obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail de rompre le contrat de travail. Une cour d'appel ayant constaté qu'un salarié, qui avait refusé la proposition de modification de son contrat de travail à la suite de la nullité de sa convention de forfait en heures, était salarié protégé, aurait dû déduire de ce refus l'obligation pour l'employeur, soit de maintenir le montant de la rémunération, soit de saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation administrative de licenciement

Texte de la décision

SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2017




Cassation


M. X..., président



Arrêt n° 2048 FP-P+B

Pourvoi n° D 15-24.397










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. Daniel Y..., domicilié [...],

contre l'arrêt rendu le 30 juin 2015 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Aldi marché, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 juin 2017, où étaient présents : M. X..., président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Geerssen, Goasguen, Vallée, M. Chauvet, Mmes Guyot, Farthouat-Danon, conseillers, M. Flores, Mmes Sabotier, Salomon, conseillers référendaires, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Y..., de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Aldi marché, l'avis écrit de M. A..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application des dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu les articles L. 2411-1, L. 2411-3 et L. 2411-8 du code du travail ;

Attendu qu'aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un représentant du personnel ; qu'il incombe à l'employeur, en cas de refus du salarié d'accepter la modification ou le changement litigieux, d'obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail de rompre le contrat de travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé par la société Aldi marché et exerçait, en dernier lieu, les fonctions de responsable de magasin, statut cadre ; que le salarié était délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise ; que les parties ont, en application des dispositions de l'article 5.7.3 de la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, conclu une convention individuelle de forfait annuel de mille neuf cent-vingt heures correspondant à un temps de travail effectif hebdomadaire moyen de quarante-deux heures augmenté de 5 % de temps de pause rémunéré ; que des conventions individuelles de forfait en heures ayant, dans le cadre de contentieux opposant la société Aldi marché à d'autres salariés occupant également les fonctions de responsable de magasin, été déclarées nulles faute pour les intéressés de disposer d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, l'employeur a informé M. Y... par lettre du 30 avril 2012 de ce qu'à compter du mois de juin suivant, il décompterait son temps de travail sur la base de trente-cinq heures hebdomadaires au taux horaire prévu par la convention; qu'estimant que l'employeur lui avait imposé une baisse de son volume horaire hebdomadaire et de sa rémunération, le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes de rappel de salaires, l'arrêt, après avoir relevé que ce salarié bénéficiait d'une rémunération sur la base d'un horaire moyen de quarante-deux heures effectives, augmentées des temps de pause, pour un montant de 3 064 euros en mai 2012, retient, d'abord que plusieurs décisions, certes affectées de l'autorité relative de la chose jugée, ayant remis en cause la validité de l'article 8.3 de l'avenant n° 80 du 14 janvier 2000 à la convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire, l'employeur était fondé à proposer une modification du contrat de travail, ensuite que le salarié n'ayant pas opté pour l'une des formules proposées, l'employeur a fait application du régime de droit commun soit un horaire de trente-cinq heures hebdomadaires et le paiement d'heures supplémentaires, et que ce salarié ne peut prétendre se voir appliquer une diminution de l'horaire de travail de sept heures et refuser l'autre aspect, soit la diminution corrélative de la rémunération, cette baisse de la rémunération s'imposant au regard de l'égalité entre salariés ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'ayant constaté que M. Y..., qui avait refusé la proposition de modification de son contrat de travail, était salarié protégé, la cour d'appel, qui devait déduire de ce refus l'obligation pour l'employeur, soit de maintenir le montant de la rémunération, soit de saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation administrative de licenciement, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Aldi marché aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Aldi marché à payer à M. Y... la somme de 2 800 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Y....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté M. Y... de l'intégralité de ses demandes et D'AVOIR confirmé la condamnation de M. Y... à payer à la société Aldi Marché une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE M. Y... bénéficiait d'un contrat de travail aux fonctions de responsable de magasin, statut cadre, il était rémunéré sur la base d'un horaire moyen de 42 heures effectives augmentées des temps de pause réglementaires pour un montant de 3 064 euros, en mai 2012, s'agissant d'un forfait en heures sur l'année en application de l'article 8.3 de l'annexe IV de la convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire ; que plusieurs décisions, certes affectées de l'autorité relative de la chose jugée, sont venues remettre en cause la validité de l'article 8.3 de l'avenant n° 80 du 14 janvier 2000 à la convention collective nationale applicable dont celles citées par l'intimée à savoir : - un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2006, rectifié par arrêt du 12 juillet 2006, cassant l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Metz ayant admis la licéité du forfait annuel en heures des responsables de Magasin Aldi Marché, - un arrêt de la Cour d'appel de Dijon, cour d'appel de renvoi suite à l'arrêt de la Cour de cassation précité, retenant que le forfait annuel en heures des responsables de magasin n'est pas conforme « aux dispositions de la convention collective puisque le temps de travail des responsables de magasin (
) est prédéterminé et qu'en raison des contraintes qui leur sont imposées, les intéressés ne disposent d'aucune autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps », - un arrêt de la cour d'appel de Douai qui a retenu, elle aussi, « les contraintes horaires imposées par la société ALDI MARCHE et les obligations du contrat de travail, notamment la présence dans le magasin pendant les heures d'ouverture au public ainsi que durant le temps nécessaire à l'ouverture et à la fermeture du magasin » pour retenir l'illicéité et donc la nullité de la convention annuel en heures ; que la société Aldi Marché était donc fondée à proposer à M. Y... une modification de son contrat de travail pour se mettre en conformité avec ses décisions de justice ; M. Y... n'ayant pas opté pour l'une ou l'autre des formules proposées, l'employeur a fait application du régime de droit commun soit un horaire de 35 heures hebdomadaires et paiement des heures supplémentaires éventuellement effectuées ; que ni l'employeur, qui n'est nullement tenu d'y procéder, ni le salarié qui préfère conserver son emploi, ne se prévaut du refus d'accepter cette modification du contrat de travail pour prendre l'initiative d'une rupture de celui-ci ; que les premiers juges ont considéré, pour débouter le salarié de ses demandes, qu'il lui appartenait en effet, qui se voyait imposer une modification de son contrat de travail, d'en tirer la conséquence consistant à en demander la résiliation ; qu'or, le salarié n'est nullement tenu de demander la résiliation de son contrat de travail pour voir juger le caractère fondé ou non de la modification proposée puis imposée ; que la question demeure du sort du contrat de travail dont l'une de ses principales dispositions se trouve invalidée a posteriori par la jurisprudence remettant en cause la validité d'un accord sur la base duquel il a été conclu ou modifié ; qu'un auteur, M. B..., (SSL 2012 – n° 1544, supplément du 25/06/2012) soutenait que la disparition de l'accord collectif devait entrainer le retour au droit commun horaire, c'est-à-dire à une appréciation du temps en heure dans un cadre hebdomadaire ; que cet avis était conforté par les observations d'un conseiller rapporteur dans une affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 4 février 2015 (n° 13-20891) considérant que « dès lors que la convention de forfait est privée d'effet ou est nulle, tout se passe comme si le salarié n'avait jamais été soumis à une telle convention. Le temps de travail du salarié doit alors être décompté suivant le droit commun de l'article L. 3121-10 du code du travail et conformément à l'article L.3171-4 du code du travail, tout heure supplémentaire effectuée au-delà de la durée légale de travail devant lui être payée et majorée. La rémunération des heures supplémentaires effectuée au-delà de la durée légale du travail, calculée conformément aux dispositions de l'article L. 3121-22 du code du travail, doit donc s'ajouter au salaire brut mensuel contractuellement prévu », ce qui autorisait, dans cette espèce, au salarié de réclamer des heures supplémentaires accomplies en exécution d'un forfait invalidé ; qu'il en résulte que c'est à bon droit que l'employeur a réintégré M. Y... dans un dispositif légal de 35 heures par semaine, ce dernier étant en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires éventuellement accomplies ; que le retour au droit commun, par l'effet de la disparition pour cause de nullité d'une disposition conventionnelle jusqu'alors, ne requerrait pas l'assentiment du salarié ; que comme le rappelle à juste titre la société Aldi Marché, M. Y... ne peut prétendre se voir appliquer un aspect de la modification de son contrat de travail (durée du travail diminuée de 7 heures par semaine) et refuser l'autre (diminution corrélative de la rémunération) et elle ajoute à bon droit que cette baisse de rémunération s'impose au regard de l'égalité entre les salariés ; qu'il convient, pour les motifs qui précèdent substitués à ceux des premiers juges, de confirmer en toues ses dispositions le jugement déféré ;

1°) ALORS QU'aucune modification de son contrat de travail ne peut être imposée à un salarié pour quelque motif que ce soit ; que la modification du volume horaire hebdomadaire accompagnée d'une diminution de la rémunération constitue une modification du contrat de travail qui requiert, quelles que soient les circonstances qui l‘entourent, l'accord du salarié ; qu'en jugeant que la société Aldi était en droit d'imposer à M. Y... une diminution de son volume horaire de travail hebdomadaire par un retour au dispositif légal de 35 heures, et ce en dépit d'une baisse substantielle de sa rémunération, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

2°) ALORS QUE les décisions de justice citées par l'arrêt attaqué n'ont pas annulé les dispositions conventionnelles instaurant la convention de forfait en heures sur l'année mais ont jugé que ce dispositif était inopposable aux responsables de magasin de la société Adli car ils ne jouissaient pas de l'autonomie nécessaire dans l'organisation de leur travail pour pouvoir en relever ; qu'en jugeant que le retour au droit commun du temps de travail ne requerrait pas l'assentiment de M. Y... au motif qu'il était justifié par l'effet de la disparition pour cause de nullité d'une disposition conventionnelle jusqu'alors applicable, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

3°) ALORS, en tout état de cause, QUE quels que soient les motifs pour lesquels une convention de forfait n'est pas opposable au salarié, l'employeur ne peut modifier unilatéralement le nombre d'heures de travail hebdomadaire prévu contractuellement dans le cadre de cette convention et diminuer corrélativement la rémunération du salarié ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil.

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