7 décembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-24.609

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2017:C301245

Texte de la décision

CIV. 3

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2017




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 1245 F-D

Pourvoi n° E 16-24.609






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Jacqueline X..., domiciliée [...]                           ,

contre l'arrêt rendu le 21 juillet 2016 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. Y... Z..., domicilié [...]                        ,

2°/ à M. François Z..., domicilié [...]                              ,

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 7 novembre 2017, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme A..., conseiller rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme A..., conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme X..., de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de MM. Y... et François Z..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 21 juillet 2016), que MM. Z..., propriétaires d'un bâtiment agricole qu'ils ont aménagé en maison d'habitation, ont assigné Mme X..., propriétaire de la parcelle voisine, en enlèvement d'une clôture, en soutenant qu'elle empêchait l'accès à la partie supérieure de leur maison, et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande en enlèvement de la clôture ;

Mais attendu qu'ayant constaté que MM. Z..., lors de la rénovation de leur immeuble, avaient respecté la disposition initiale des lieux et que le montoir de grange, autrefois comme maintenant, représentait le seul aménagement permettant, depuis la route, d'accéder directement à la partie supérieure de leur immeuble, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a souverainement retenu que la demande de passage de MM. Z... répondait à l'état d'enclave de la partie supérieure de leur habitation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des dommages-intérêts à MM. Z... ;

Mais attendu, d'une part, que, le premier moyen étant rejeté, le moyen tiré d'une cassation par voie de conséquence est devenu sans portée ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'entrave mise au passage depuis octobre 2012, alors que la transformation de la grange datait de l'année 2000, était à l'origine d'un préjudice de jouissance, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et la condamne à payer à MM. Z... la somme de 1 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait condamné Mme X... sous astreinte à faire procéder à l'enlèvement de la clôture située en limite des parcelles n° [...] et [...] ou à la remplacer par un portail dont les consorts Z... auront la clef et en ce qu'il avait condamné Mme X... à payer aux consorts Z... la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts et, y ajoutant, d'AVOIR jugé recevable la demande en fixation de la largeur du passage présentée par les consorts Z... et précisé que le passage dont ces derniers bénéficieront aura une largeur de 3 mètres et dit qu'en conséquence, si Mme X... souhaite clôturer son héritage par un portail, celui-ci devra avoir 3 mètres de large au moins ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE dans cette affaire, un droit de passage est revendiqué par les consorts Z... sur une partie du fonds voisin appartenant à Mme X... ;
Qu'il s'agit pour les consorts Z... de pouvoir utiliser un ancien montoir de grange afin de desservir la partie supérieure d'une ferme qu'ils ont rénovée, jouxtant la maison de Mme X... ; que la partie basse de ce montoir forme une courbe qui prend naissance sur une portion du terrain de Mme X... à la jonction avec la voie publique ;
Que les droits de passage sont des servitudes discontinues qui ne peuvent s'acquérir que par titre (articles 688 et 691 du code civil) ;
Que la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu 'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien (3e Civ., 24 novembre 2004, n° 03-16.366) ;
Qu'aucun titre établissant la servitude litigieuse n'est versé au dossier par les consorts Z... ;
Que même si les parties font l'une et l'autre allusion à des partages intervenus en 1889, 1925 et 1966, elles n'en tirent toutefois nulle conclusion déterminante au regard d'une possible destination du père de famille ; que les titres les plus anciens versés en copie au dossier, outre qu'ils sont pour l'essentiel illisibles en raison de la mauvaise qualité des reproductions, n'apportent de ce chef aucune information utile ;
Que, par conséquent, seule l'hypothèse d'une enclave permet le cas échéant, en application des articles 682 et suivants du code civil de reconnaître un droit de passage sur le fonds X... au bénéfice du fonds Z... ;
Que, pour la même raison que ci-dessus tenant à la difficulté de lecture et d'interprétation des actes les plus anciens, il n'est pas possible de déterminer avec certitude si l'enclave résulterait de la division d'un fonds autrefois unique, ni d'appliquer par conséquent l'article 684 du code civil qui dispose que dans ce cas le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l'objet de ces actes ;
Que la question de l'enclave doit donc être examinée sous le seul angle de l'article 682 ;
Qu'il convient tout d'abord d'observer, au vu des pièces versées au dossier, comme l'a fait le premier juge, qu'en réalité les consorts Z... n'ont pas modifié considérablement la position de l'ancienne montoir de grange ; qu'en effet sur la première photographie du dossier « volet paysager » de la demande de permis de construire, l'on voit parfaitement que ce montoir à l'origine, comme actuellement, descendait en pente depuis la porte de la grange située dans la partie supérieure du bâtiment et tournait ensuite le long d'un mur de soutènement qui allait en diminuant pour rejoindre la route en passant sur une partie du terrain voisin propriété aujourd'hui de Mme X... ;
Que c'est exactement la même configuration des lieux que l'on retrouve sur la construction actuelle des consorts Z..., après la rénovation du bâtiment, la seule différence consistant, pour ce qui concerne le montoir, dans la réfection de l'ancien mur de soutènement ;
Que d'évidence, par conséquent, les consorts Z... lors de la rénovation de leur immeuble n'ont fait que respecter la disposition initiale des lieux, ce qui d'ailleurs laisse supposer qu'il s'agissait à l'origine d'un bâtiment unique bien que cela ne puisse pas être démontré par les actes, et en tout cas ils n'ont pas aménagé le montoir dans sa configuration actuelle pour empiéter volontairement sur le fonds de Mme X... ;
Que les pièces du dossier démontrent par ailleurs que ce montoir de grange, aussi bien autrefois que maintenant, est le seul aménagement qui permet depuis la route d'accéder directement à la partie supérieure de l'immeuble Z... ;
Qu'il est important d'observer que ledit montoir donne accès à une vaste porte-fenêtre qui a remplacé la porte de grange d'autrefois ;
Que ceci étant posé, il apparaît, compte tenu de la configuration des lieux ci-dessus décrite, que même si la partie supérieure de l'immeuble Z... dispose au rez-de-chaussée d'un accès à la voie publique au moyen d'un escalier intérieur, il n'en demeure pas moins que le transport de gros meubles ou matériaux à destination de la partie supérieure de l'habitation, par exemple, ne peut se faire commodément qu'en empruntant le montoir litigieux et non pas en passant par l'escalier intérieur ; que la démonstration d'une « issue insuffisante » au sens de l'article 682 du code civil est donc ainsi faite ;
Que, par conséquent, la demande de passage des consorts Z..., outre le fait qu'elle ne consiste en réalité qu'à pérenniser la situation ancienne, répond sans conteste à l'état d'enclave de la partie supérieure de leur habitation ;
Que le jugement, dans lequel le tribunal a pertinemment observé que rien n'empêchait Mme X... de clore son fonds par un portail pourvu qu'elle en donne une clé aux consorts Z..., doit donc être intégralement confirmé, y compris en qu'il a statué sur les dommages et intérêts et l'article 700 du code de procédure civile ;
Que la suppression pure et simple de la barrière suffit au désenclavement du fonds Z... ; qu'aucune raison ni de fait ni de droit ne permet d'exiger de Mme X... qu'elle pose en outre un portail fermé à clé, ce qu'a parfaitement reconnu le tribunal en lui laissant le choix ;
Qu'en réponse à la demande sur ce point des consorts Z..., qui se rattache par un lien évident à l'objet du litige, la cour précisera que le passage dont ils bénéficient aura une largeur de 3 m qui apparaît suffisante compte tenu de la nouvelle destination du lieu, puisque d'évidence il ne s'agit plus de faire circuler sur ce montoir des chars à foin ou autres véhicules agricoles ;
Qu'en conséquence, si Mme X... souhaite remplacer la clôture par un portail fermé à clé, dont elle donnera dans ce cas une clé aux consorts Z..., ce portail devra avoir une largeur de 3 m au moins ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le litige qui oppose les consorts Z... à Mme X... porte sur l'accès à une ancienne grange transformée en habitation par les demandeurs au début des années 2000 ;
Que, comme fréquemment en Haute-Loire, la grange était située à un niveau supérieur par rapport au terrain naturel et était accessible par un terrain pentu appelé "montoir de grange".
Qu'en application de l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante en raison de la destination de son bien, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de sa propriété, ce passage en application de l'article 684 du code civil, devant être pris sur le fonds issu du partage à l'origine de l'enclave ;
Qu'en l'espèce, la situation des lieux avant transformation, est particulièrement visible sur les photographies figurant en première et deuxième page du document relatif au volet paysager de la demande de permis de construire (pièce 7) : l'accès à la grange se faisait par une montée de forme circulaire, seule apte à adoucir la pente puisqu'en ligne droite, l'accès serait impraticable eu égard d'une part à la faible distance entre le chemin et la grange et, d'autre part, à la surélévation de celle-ci par rapport au chemin ; que compte tenu du dénivelé, le montoir de grange était soutenu par un mur en pierres dont la hauteur suivait le trajet de l'accès pour être à son maximum au niveau de la porte d'entrée ;
Qu'il est incontestable au vu de ces photographies que l'accès à la grange n'était possible qu'en passant, dans sa partie basse, sur ce qui est devenue ultérieurement la propriété X... ;
Qu'il existait donc bien une situation d'enclave avec par voie de conséquence une servitude légale sur le fonds voisin issu du passage actuellement propriété de Mme X... ;
Que toutes les photographies récentes émanant des demandeurs comme de la défenderesse, montrent que le mur soutenant le montoir de grange a été repris et rénové sans que son tracé et sa hauteur n'aient été modifiés ;
Que la seule question qui pourrait se poser au regard de l'enclave est la création par les consorts Z..., lors des travaux d'aménagement, de deux logements, un dans la grange située au niveau supérieur l'autre dans la partie inférieure correspondant à l'ancienne écurie et à l'appentis complètement remanié avec une surélévation de la toiture, ce second logement disposant d'un accès direct à la voie publique ;
Que toutefois, l'enclave, au sens des dispositions de l'article 682 du code civil, s'apprécie en fonction de la destination du fonds qui doit avoir une issue suffisante eu égard à l'exploitation que son propriétaire entend en faire ;
Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les deux logements sont distincts et ont été aménagés dans un ancien bâtiment agricole qui dès l'origine, était composé de deux parties ;
Qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu par Mme Z... que le logement situé au niveau supérieur disposerait d'un accès autre que celui correspondant à l'ancien montoir de grange ;
Qu'en conséquence, les consorts Z... sont bien fondés à demander la protection du passage dont leur fonds bénéficie sur le fonds voisin ;
Que Mme X... bénéficiant du droit de se clore, devra, si elle entend délimiter sa propriété, enlever sa clôture et la remplacer par un portail, dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision ;
Que l'entrave mise au passage depuis octobre 2012 est à l'origine d'un préjudice de jouissance qui doit être réparé par une somme de 1 500 € ;

1°) ALORS QUE l'état d'enclave, justifiant l'instauration d'une servitude de passage, résulte de ce que le fonds ne dispose pas, sur la voie publique, d'une issue suffisante ; qu'en constatant par motifs propres que le fonds des consorts Z... bénéficiait d'un accès à la voie publique par le rez-de-chaussée, la cour d'appel, qui a néanmoins imposé au fonds de Mme X... la création d'une servitude de passage au profit du fonds des consorts Z..., au motif que « le transport de gros meubles ou de matériaux (
) ne peut se faire commodément (
) en passant par l'escalier intérieur », n'a pas déduit les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article 682 du code civil ;

2°) ALORS QUE l'origine volontaire de l'état d'enclave exclut l'instauration d'une servitude de passage ; qu'en affirmant que les consorts Z... n'ont fait que respecter la disposition initiale des lieux, en se bornant, en ce qui concerne le montoir, à la réfection du mur de soutènement, quand une photographie établissait qu'un accès direct à la voie publique existait avant les travaux entrepris par les consorts Z..., la cour d'appel qui n'a pas examiné l'ensemble des éléments de preuve versés aux débats, a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait condamné Mme X... à payer aux consorts Z... la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le jugement, dans lequel le tribunal a pertinemment observé que rien n'empêchait Mme X... de clore son fonds par un portail pourvu qu'elle en donne une clé aux consorts Z..., doit donc être intégralement confirmé, y compris en qu'il a statué sur les dommages et intérêts et l'article 700 du code de procédure civile ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'entrave mise au passage depuis octobre 2012 est à l'origine d'un préjudice de jouissance qui doit être réparé par une somme de 1 500 € ;

1°) ALORS QUE par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du dispositif ayant condamné Mme X... sous astreinte à enlever la clôture située en limite des parcelles cadastrées section [...] et [...] ou à la remplacer par un portail entraînera, par voie de conséquence, celui ayant condamné Mme X... à payer aux consorts Z... la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts ;

2°) ALORS QUE ne commet pas une faute le propriétaire qui clôt son héritage ; qu'en constatant que Mme X... bénéficiait du droit de se clore, tout en affirmant que l'entrave mise au passage depuis octobre 2012 est à l'origine d'un préjudice de jouissance, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute de l'exposante, a violé l'article 1382 du code civil.

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