27 juin 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-87.009

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:CR01217

Titres et sommaires

PEINES - peines complémentaires - confiscation - prononcé - motivation - eléments à considérer - fondement - défaut - portée

En matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur. Le juge qui prononce une mesure de confiscation doit apprécier, hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l'infraction, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu. Encourt, dès lors, la censure l'arrêt de la cour d'appel qui, pour confirmer la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire, énonce qu'elle est justifiée en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, qui n'a pas d'antécédent judiciaire, sans préciser à quel titre le bien a été confisqué, et ne met pas ainsi la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation ont été respectées

Texte de la décision

N° F 16-87.009 FP-P+B

N° 1217

VD1
27 JUIN 2018


CASSATION PARTIELLE


M. SOULARD président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. Jean-Claude X..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 20 septembre 2016, qui, pour abus de biens sociaux, travail dissimulé et blanchiment aggravé, l'a condamné à 300 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer, a ordonné une mesure de confiscation et prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 avril 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, MM. Pers, Straehli, Castel, Mme de la Lance, Mme Dreifuss-Netter, MM. Moreau, Steinmann, Mmes Drai, Durin-Karsenty, M. Cathala, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Chauchis, M. Barbier, Mme Guého, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Z... ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z..., l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été convoqué par le procureur de la République de Reims devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens sociaux, pour avoir établi, en qualité de dirigeant de la société Lavalin, des fausses factures pour un montant de 775 556 euros au nom de la société Arges, dont il était également le dirigeant, afin d'obtenir le paiement de prestations fictives de tenue de séminaires dans un château, du chef d'exécution d'un travail dissimulé, pour n'avoir pas déclaré des suppléments de rémunération, d'un montant de 373 300 euros, perçus de la société Lavalin grâce au recours à de fausses factures, ni réglé les cotisations patronales et salariales y afférentes, et du chef de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé commis de façon habituelle, pour avoir encaissé les sommes provenant desdites fausses factures ;

Que le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l'a condamné à 300 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer et a prononcé la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire, par un jugement dont le prévenu et le ministère public ont interjeté appel ;

Que, devant la cour d'appel, le conseil du prévenu a déposé des conclusions écrites aux seules fins de relaxe ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation :

Vu l'article 567-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-20, alinéa 2, et 132-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale :

"en ce que la cour d'appel a condamné M. Jean-Claude X... à une amende délictuelle de 300 000 euros, l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pendant une durée de dix ans et la confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la Banque Populaire Lorraine-Champagne n° [...] ;

"aux motifs qu'en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire, sont justifiées et doivent être confirmées l'amende délictuelle de 300 000 euros, l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans ainsi que la confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la Banque Populaire Lorraine-Champagne n° [...] ;

"1°) alors qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en se bornant à retenir que la peine d'amende est justifiée en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans s'expliquer sur ses ressources et ses charges qu'elle devait prendre en considération la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

"2°) alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant une peine d'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, sans s'expliquer sur la gravité des faits, la personnalité de son auteur et sa situation personnelle qu'elle devait prendre en considération, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

"3°) alors que, si la confiscation rejoint l'intérêt général prévu à l'article premier du Protocole n° 1 permettant de porter atteinte au droit de propriété, c'est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis, les juges du fond devant évaluer et justifier, au regard de la gravité concrète des faits et de la situation personnelle du condamné, les nécessité et proportionnalité de l'atteinte portée par la peine ; qu'en prononçant la confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la Banque Populaire Lorraine-Champagne n° [...], sans évaluer et justifier, au regard de la gravité concrète des faits et de la situation personnelle du condamné, les nécessité et proportionnalité de l'atteinte portée par la peine, ni établir que les fonds saisis seraient, dans leur totalité, le produit ou l'objet des infractions, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches ;

Vu les articles 130-1, 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ; que le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; que lorsque plusieurs peines sont prononcées, les motifs peuvent être communs à celles-ci ;

Qu'il appartient au juge de motiver la peine qu'il prononce en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ; qu'il revient au prévenu, à la demande du juge ou d'initiative, d'exposer sa situation et de produire, éventuellement, des justificatifs de celle-ci ; que lorsque le prévenu n'a pas comparu et n'a pas fourni ni fait fournir d'éléments sur sa situation, il n'incombe pas au juge d'en rechercher d'autres que ceux dont il dispose ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour confirmer l'amende de 300 000 euros et l'interdiction de gérer d'une durée de dix ans, l'arrêt énonce, par des motifs communs aux peines prononcées, qu'elles sont justifiées en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, d'une part, sans s'expliquer sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle qu'elle devait prendre en considération pour prononcer les peines d'amende et d'interdiction de gérer, d'autre part, sans mieux s'expliquer sur les ressources et charges du prévenu, pour le condamner à une amende, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 et 132-1 du code pénal, ensemble les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ;

Attendu que, hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine ;

Qu'il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ;

Attendu que, pour confirmer la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire, l'arrêt énonce qu'elle est justifiée en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs qui ne précisent pas à quel titre le bien a été confisqué, la cour d'appel, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 20 septembre 2016, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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