16 avril 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-84.073

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:CR00554

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE - Maxime non bis in idem - Identité de faits - Faits dissociables - Applications diverses

Ne méconnaît pas le principe ne bis in idem la cour d'appel qui retient, d'une part, la qualification de déversement de substances nuisibles à la santé, à la faune et à la flore dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer prévue par l'article L. 216-6 du code de l'environnement, d'autre part, celle de rejet en eau douce ou pisciculture de substances nuisibles au poisson ou à sa valeur alimentaire prévue par l'article L. 432-2 du même code, dès lors que la seconde incrimination tend à la protection spécifique du poisson que l'article L. 216-6 exclut expressément de son propre champ d'application, de sorte que seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions

CUMUL IDEAL D'INFRACTIONS - Fait unique - Pluralité de qualifications - Infractions de droit commun - Double déclaration de culpabilité - Maxime non bis in idem - Violation (non)

Texte de la décision

N° F 18-84.073 FS-P+B+I

N° 554

SM12
16 AVRIL 2019


CASSATION



M. SOULARD président,



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________





LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par la commune de La Porta, contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2018, qui, pour infractions au code de l'environnement, l'a déclarée coupable et a ajourné le prononcé de la peine ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 mars 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, MM. Pers, Fossier, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, MM. Bellenger, Lavielle, conseillers de la chambre, Mme Méano, conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Desportes ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, 121-2, 132-2 du code pénal, L. 216-6, L. 431-3, L. 432-2 du code de l'environnement, préliminaire, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale :

"en ce que la cour d'appel a déclaré la commune de La Porta coupable de l'infraction de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et de l'infraction de rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire ;

"aux motifs que : "L'élément matériel des deux infractions n'est pas contesté ; qu'il résulte précisément des constatations des agents de l'ONEMA consignées au procès-verbal du 5 août 2015 qui font apparaître dans les différents prélèvements en aval de la station d'épuration des sels ammonicaux et des taux de concentration de nitrites de 15 à 125 fois supérieurs à la normale alors que le prélèvement en amont ne révèle aucune anomalie ; qu' il n'est pas discuté que les nitrites et sels ammonicaux constituent des polluants nocifs pour les poissons et les invertébrés aquatiques, en eau douce et en mer ainsi que dans les eaux souterraines ; que l'élément moral des délits de pollution, est caractérisé à l'égard d'une personne morale, en l'absence de toute volonté expresse, dès lors qu'une imprudence ou une négligence dans l'exercice de ses attributions peut lui être imputée ; qu'en l'espèce, un arrêté préfectoral a autorisé la réhabilitation de la station dès le 4 mars 2008 ; si la commune de La Porta a envisagé des travaux et fait réaliser un devis dès la fin de l'année 2008, à compter du 27 mai 2011, la commune a mis en attente le projet, et s'est consacrée à la réfection du réseau d'eau potable ; que la commune a cependant été relancée et informée à diverses reprises que les désordres persistaient et que les rejets constatés conduisaient à une dégradation du milieu naturel ; qu' elle a fait procéder à des travaux sur l'installation électrique et à des plantations de roseaux dans les bassins de décantation dont les contrôles de la DDTM et de l'ONEMA ainsi que le SATESE, ont constaté le caractère insuffisant le 10 juillet 2013 et le 17 juillet 2013 ; que force est de constater que pendant plusieurs années la commune de La Porta s'est bornée à répondre à l'administration que les travaux nécessaires seraient entrepris, dès que possible après la réfection du réseau d'eau potable ; qu'elle ne justifie d'aucune mesure concrète et suffisante entre l'approbation le 28 février 2009 du zonage d'assainissement et le vote des travaux de réhabilitation des infrastructures d'assainissement, postérieurement à l'engagement de la présente procédure, le 25 mars 2017 ; que la cour ne méconnaît pas la difficulté pour une petite collectivité, dont la population croît de façon exponentielle en saison estivale, à respecter les prescriptions environnementales ; que toutefois, il ne peut être occulté que les travaux de réhabilitation tant du réseau d'eau potable que des installations d'assainissement sont très largement subventionnées ; la commune évoque la lourdeur des procédures mais différer les décisions nécessaires à la réfection de la station ne pouvait avoir pour effet que de retarder l'octroi des subventions ; qu'ainsi, en laissant perdurer durant plusieurs années, malgré les relances de l'administration, des rejets occasionnant une dégradation du milieu naturel, la commune de La Porta a négligé les obligations résultant de sa mission ; que l'engagement tardif des travaux ne permet pas de l'exonérer de sa responsabilité pénale pour une infraction constatée le 5 août 2015 ; que la décision du tribunal correctionnel de Bastia du 4 avril 2017 sera donc infirmée ; les deux infractions visées à la prévention étant caractérisées dans tous leurs éléments, la commune en sera déclarée coupable" ;

"1°) alors qu'un même fait, autrement qualifié, ne saurait donner lieu à une double déclaration de culpabilité ; qu'en l'espèce, en incriminant sous la double qualification de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et de rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire le même fait de pollution qui avait été constaté par les agents de l'ONEMA le 5 août 2015, la cour d'appel a méconnu ce principe ;

"2°) alors que, les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en l'espèce, en fondant la déclaration de culpabilité de la commune de La Porta des chefs des délits poursuivis sur une imputation de culpabilité à cette personne morale, prise abstraitement, sans identifier le ou les organes ou représentants de cette collectivité territoriale, personnes physiques, qui en seraient les auteurs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"3°) alors qu'en tout état de cause, tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; qu'en l'espèce, en fondant son constat d'une prétendue négligence dans le chef de la commune de La Porta sur la circonstance, inopérante, selon laquelle les travaux de réhabilitation du réseau d'eau potable et des installations d'assainissement étaient "largement subventionnés", sans fournir aucune précision à ce sujet, et en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si, dans le contexte factuel particulier dans lequel elle se trouvait, cette commune, de toute petite taille, n'avait pas mis en oeuvre tout ce qui, à son niveau et compte tenu des contingences auxquelles elle était soumise, lui était possible de faire afin de tenter de remédier au problème, la cour d'appel, qui a pourtant expressément relevé l'existence de "la difficulté pour une petite collectivité, dont la population croît de façon exponentielle en saison estivale, à respecter les prescriptions environnementales", a insuffisamment motivé sa décision" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 5 août 2015, des agents de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) ont constaté une pollution organique dans le cours d'eau dénommé Tozzo Bianco, en aval immédiat de la station d'épuration de la commune de La Porta ; que les résultats des prélèvements aussitôt effectués ont révélé un taux élevé de sels ammoniacaux et nitrites toxiques pour les poissons et les invertébrés aquatiques ; que la commune de La Porta a été poursuivie pour avoir jeté, déversé ou laissé s'écouler dans le Tozzo Bianco des nitrites et sels ammoniacaux dont l'action ou les réactions, d'une part, entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, d'autre part, ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, sa reproduction ou sa valeur alimentaire ; que les juges du premier degré l'ont relaxée de ces chefs ; que le ministère public a relevé appel de leur décision ;

Sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le grief n'est pas de nature à être admis ;

Sur le moyen, pris en sa première branche :

Attendu qu'en retenant, d'une part, la qualification de déversement de substances nuisibles à la santé, à la faune et à la flore dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer prévue par l'article L. 216-6 du code de l'environnement, d'autre part, celle de rejet en eau douce ou pisciculture de substances nuisibles au poisson ou à sa valeur alimentaire prévue par l'article L. 432-2 du même code, la cour d'appel n'a pas méconnu le principe ne bis in idem, dès lors que la seconde incrimination tend à la protection spécifique du poisson que l'article L. 216-6 exclut expressément de son propre champ d'application, de sorte que seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions ;

D'où il suit que le grief doit être écarté ;

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;

Attendu que, selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer la commune de La Porta coupable, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale aurait été commis pour son compte, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 13 juin 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence à ce, désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize avril deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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