28 mai 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-27.793

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00848

Texte de la décision

SOC.

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 mai 2019




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 848 FS-D

Pourvoi n° M 17-27.793







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par l'association ABRAPA, dont le siège est [...] ,

contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2017 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à Mme W... G..., domiciliée [...] ,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 avril 2019, où étaient présents : M. Cathala, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Chauvet, conseiller doyen, MM. Maron, Pietton, Mmes Leprieur, Richard, conseillers, Mme Barbé, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de l'association ABRAPA, de la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat de Mme G..., l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme G... a été engagée le 10 mars 2011 en qualité de médecin coordonnateur et de médecin traitant par l'association Hespérides aux droits de laquelle vient l'association ABRAPA ; que le 14 octobre 2013, la salariée a adressé à son employeur un signalement de maltraitance d'une personne prise en charge au sein de l'association ; que mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable le 23 octobre 2013, elle a été licenciée pour faute grave le 5 novembre 2013 ;

Attendu que pour dire le licenciement nul et condamner l'employeur à payer à la salariée diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient que l'association a énoncé les motifs de sa décision de licenciement en reprochant notamment à la salariée d'avoir manqué à ses obligations déontologiques en n'intervenant pas immédiatement pour mettre fin à la situation dénoncée et d'avoir une attitude préjudiciable à l'association, voire de détourner sa clientèle au bénéfice d'un organisme concurrent avec lequel elle était également contractuellement liée, qu'à l'appui de ce dernier motif, l'association a ajouté ce qui suit en faisant référence à la note du 14 octobre 2013 "Ce que nous confirme votre écrit, tout à fait contestable, incriminant soi-disant une maltraitance institutionnelle dont vous avez à l'évidence tiré un prétexte fallacieux pour orienter la clientèle vers un établissement concurrent", et que l'association a ainsi fait grief à la salariée d'avoir rédigé la note du 14 octobre 2013 pour dénoncer une situation faussement qualifiée, selon l'employeur, de maltraitance institutionnelle, que dès lors que parmi les motifs de sa décision, l'association a pour le moins pris en considération la relation qu'elle a reproché à la salariée de lui avoir fait d'une situation que la salariée considérait constitutive des mauvais traitements ou de privations infligées à une personne âgée accueillie, le licenciement doit être déclaré nul nonobstant les autres griefs énoncés ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la salariée avait dénoncé de mauvaise foi les mauvais traitements, en sorte qu'elle ne pouvait bénéficier de la protection prévue à l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de Mme G... nul et condamne l'association ABRAPA à lui payer les sommes de 70 000 € à titre de dommages-intérêts, 6 462,62 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 61 354,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 6 135,40 € de congés payés, et de 5 336,48 € bruts en rémunérations des jours de mise à pied, l'arrêt rendu le 28 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne Mme G... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour l'association ABRAPA

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul le licenciement de Madame G... et condamné l'Association ABRAPA à lui verser les sommes de 70 000 € à titre de dommages et intérêts, de 6 462,62 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, de 61 354,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 6 135,40 € de congés payés, et de 5 336,48 € bruts en rémunérations des jours de mise à pied

Aux motifs que l'association intimée employait Madame G... dans des établissements qui accueillent des personnes âgées, lesquels sont visés au paragraphe I. 6° de l'article L.312.1 du code de l'action sociale et des familles ; qu'en introduction de la lettre de licenciement disciplinaire prononcé pour fautes graves, l'association avait reproduit l'intégralité d'une note du 14 octobre 2013 par laquelle le Docteur G... lui avait exposé ses constatations chronologiques de la situation d'une résidente de l'établissement ERMITAGE, en la qualifiant de « vraie maltraitance » et en appelant à des mesures d'urgence ; que l'association avait ensuite énoncé les motifs de sa décision en reprochant à l'intéressée d'avoir manqué à ses obligations déontologiques en n'intervenant pas immédiatement pour mettre fin à la situation dénoncée, d'avoir reproché le déplacement d'un résident à la gouvernante de l'établissement HERRADE, d'avoir verbalement agressé la psychologue et l'infirmière coordinatrice du même établissement, et d'avoir une attitude préjudiciable à l'ABRAPA, voire de détourner sa clientèle au bénéfice d'un organisme concurrent avec lequel elle était également contractuellement liée ; mais, à l'appui de ce dernier motif, l'association avait ajouté ce qui suivait en faisant référence à la note du 14 octobre 2013 : « Ce que nous confirme votre écrit, tout à fait contestable, incriminant soi-disant une maltraitance institutionnelle dont vous avez à l'évidence tiré un prétexte fallacieux pour orienter la clientèle vers un établissement concurrent » ; que l'association avait ainsi fait grief à la salariée d'avoir rédigé la note du 14 octobre 2013 pour dénoncer une situation faussement qualifiée, selon l'employeur, de maltraitance institutionnelle ; dès lors que, parmi les motifs de sa décision, l'association intimée avait pour le moins pris en considération la relation qu'elle avait reproché à Madame G... de lui avoir faite d'une situation que la salariée considérait constitutive des mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie, le licenciement devait être déclaré nul nonobstant les autres griefs énoncés

Alors, d'une part, que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que la cour d'appel avait constaté (arrêt attaqué p.2) que la lettre de licenciement reprochait « essentiellement » au Docteur G..., « alors qu'elle avait constaté selon le signalement qu'elle avait adressé le lundi 14 octobre 2013 à sa hiérarchie, qu'une de ses patientes Madame Q... avait été laissée au lit, sans lumière, sans possibilité de boire et sans aide pour manger, de l'avoir laissée livrée à elle-même sans intervenir ou faire intervenir du personnel soignant, traitant ainsi la situation de cette personne comme une sorte de sujet de test ou d'analyse » ; et qu'en se contentant de mettre en exergue la phrase figurant in fine de la lettre de licenciement « Ce que nous confirme votre écrit, tout à fait contestable, incriminant soit - disant une maltraitance institutionnelle dont vous avez à l'évidence tiré un prétexte fallacieux pour orienter la clientèle vers un établissement concurrent » pour en déduire la nullité du licenciement intervenu, motif tiré de ce que l'association aurait pris en considération la relation qu'elle a reproché à Mme G... de lui avoir fait d'une situation que la salariée considérait constitutive des mauvais traitements ou privations infligées à une personne âgée accueillie, la cour d'appel qui a dénaturé le sens et la portée de la lettre de licenciement, a violé l'article 1103 du code civil, L.1232-6 du code du travail et le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis

Alors, d'autre part, que si, en application de l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, le fait qu'un salarié a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie, ou relaté de tels agissements, ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant, sous peine de nullité de la sanction, il en va autrement lorsque la relation est faite de mauvaise foi ; que dans ses conclusions d'appel (p.18), l'employeur qui réfutait avoir licencié Madame G... pour avoir dénoncé des faits de maltraitance (p. 16), présentait l'alternative suivante : « Ainsi de deux choses l'une, soit Mme G... a effectivement cru à un cas de maltraitance auquel cas elle s'est contentée d'observer et de laisser faire, ce qui est parfaitement inadmissible et contraire à l'éthique et à la déontologie, soit Madame G... a volontairement cherché à faire croire à un cas de maltraitance qui n'en était pas un » ; et qu'en s'abstenant de vérifier si la relation des faits, que Madame G... considérait constitutifs de maltraitance à l'encontre d'une personne âgée, n'avait pas été faite de mauvaise foi par la salariée, qui, d'une part, s'était abstenue d'y remédier, alors que c'était précisément son rôle, d'autre part, n'avait pas dénoncé les faits constatés lors de la réunion du Staff le 17 octobre suivant, ce qu'elle aurait dû faire en cas de maltraitance avérée, et, enfin, en avait tiré prétexte pour orienter la clientèle de son employeur vers un établissement concurrent, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L.1232-6, L. 1235-1 du code du travail et L.313-24 du code de l'action sociale et des familles.

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