18 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-84.372

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:CR00309

Titres et sommaires

DOUANES - Agent des douanes - Pouvoirs - Droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes - Article 60 du code des douanes - Mesures autorisées - Rétention des personnes - Limites - Détermination - Portée

Il résulte de l'article 60 du code des douanes que l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes ne peut donner lieu au maintien des personnes concernées à la disposition des agents des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate. Cette mesure de contrainte peut ainsi s'exercer le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent. Si, dans ce cadre, les agents de douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée. Par ailleurs, si, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, en application de l'article 67 F du code des douanes, lorsqu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction et qu'elle n'est pas placée en rétention douanière, les agents des douanes peuvent l'entendre sur ces faits dans le cadre d'une audition libre, c'est aux conditions, en partie déduites, par analogie, de l'article 61-1 du code de procédure pénale, que la personne n'a pas été conduite, sous contrainte, par les agents des douanes dans leurs locaux et qu'elle dispose du droit de les quitter à tout moment. Il s'en déduit qu'une telle audition ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte. A l'issue du droit de visite, hors le cas où sont réunies les conditions permettant une retenue douanière, et sauf dispositions spécifiques, les agents des douanes ne sont pas autorisés à continuer à retenir la personne contrôlée contre son gré. Dès lors, encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui rejette l'exception de nullité des procès-verbaux des agents des douanes, alors qu'il résulte de ses constatations et desdits procès-verbaux que la personne contrôlée en application de l'article 60 du code des douanes, laquelle était maintenue à la disposition des agents des douanes, a fait l'objet d'une audition formelle sur sa situation personnelle, notamment financière, et sur l'origine des fonds transportés par elle, audition à laquelle les agents des douanes ne pouvaient procéder, fût-ce en application de l'article 67 F du code des douanes, au cours de cette visite

Texte de la décision

N° B 19-84.372 F-P+B+I

N° 309


EB2
18 MARS 2020


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MARS 2020



CASSATION sur le pourvoi formé par M. R... S... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 26 avril 2019, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de transfert de capitaux sans déclaration, association de malfaiteurs, blanchiment aggravé et blanchiment douanier, a prononcé sur sa demande en annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 10 septembre 2019, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. R... S..., et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 9 février 2018, à 1h35, les agents des douanes ont procédé au contrôle d'un véhicule. La fouille du bagage d'un passager, M. S..., qui avait déclaré ne pas transporter des sommes égales ou supérieures à 10 000 euros, a permis la découverte de liasses de billets de 500 euros pour un montant global de 215 080 euros. Des opérations complémentaires de fouille, de décompte, dépistage et consignation des fonds, et d'audition de l'intéressé ont été effectuées au siège de l'unité douanière d'1h50 à 10h45, heure à laquelle M. S... a été placé en garde à vue. M. S... a été mis en examen des chefs précités et placé sous contrôle judiciaire.

3. Le 1er août 2018, la personne mise en examen a saisi la chambre de l'instruction d'une requête tendant à voir annuler la procédure douanière, la garde à vue et la perquisition domiciliaire et les actes de procédure subséquents.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens


4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation d'actes ou pièces de procédure alors :

« 1°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière tandis qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. S..., avant d'être placé, le 9 février 2018 à 10h45, en garde-à-vue pour blanchiment par la DPIJ de Lille, a suivi les agents des douanes au siège de la brigade des douanes où il a été maintenu, à compter de 1h50, au-delà du temps nécessaire au contrôle de ses sacs et de leur contenu ainsi que de sa personne, sans être placé en retenue douanière, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière dès lors que R... S... n'a été maintenu dans les locaux des douanes que le temps nécessaire à l'exercice du droit de contrôle prévu par l'article 60 du code des douanes tandis qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que les différentes opérations diligentées par les douanes ont eu pour objet de décompter, à deux reprises, les billets au nombre de 1973, de vérifier s'ils étaient imprégnés de produits stupéfiants, de procéder à leur consignation et mise sous scellés douaniers, jusqu'à la rédaction du procès-verbal de saisie et d'auditionner M. S... dans les locaux de la brigade des douanes, toutes cesopérations ne relevant pas l'exercice du droit de contrôle, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 60 et 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention de des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière tout en relevant que le 9 février 2018, à 8h30, le procureur de la République de Valenciennes co-saisissait la direction régionale de la police judiciaire (DIPJ) de Lille et le service national de douane judiciaire (SNDJ) d'une enquête de flagrance du chef de blanchiment à l'encontre de R... S... (D1bis-D25), infraction pour laquelle il a été placé en garde à vue à 10h45, ce dont il résultait que l'infraction de blanchiment a été retenue ab initio, sans que M. S... ne soit placé en retenue douanière et que ses droits ne lui soient notifiés, la chambre de l'instruction a violé l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que, subsidiairement, en énonçant que la procédure douanière est régulière tandis que, s'il résulte des constatations de l'arrêt que les cotes D36 (entretien du gardé à vue avec un avocat) et D42 (notification de fin de garde à vue) portent mention d'un début de garde à vue remontant au 9 février 2018 à 1h45, l'arrêt constate que M. S... ne s'est vu notifier ses droits qu'à 10h45 sans que ce retard ne soit justifié par une circonstance insurmontable, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 60 du code des douanes :

6. Il résulte de ce texte que l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes ne peut donner lieu au maintien des personnes concernées à la disposition des agents des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate.

7. Ainsi, cette mesure de contrainte peut s'exercer le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.

8. Si, dans ce cadre, les agents des douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée.

9. Par ailleurs, si, depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2014-535 du 27 mai 2014, en application de l'article 67 F du code des douanes, lorsqu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction et qu'elle n'est pas placée en rétention douanière, les agents des douanes peuvent l'entendre sur ces faits dans le cadre d'une audition libre, c'est aux conditions, en partie déduites, par analogie, de l'article 61-1 du code de procédure pénale, que la personne n'a pas été conduite, sous contrainte, par les agents des douanes dans leurs locaux et qu'elle dispose du droit de les quitter à tout moment. Il s'en déduit qu'une telle audition ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte.

10. A l'issue du droit de visite, hors le cas où sont réunies les conditions permettant une retenue douanière, et sauf dispositions spécifiques, les agents des douanes ne sont pas autorisés à continuer à retenir la personne contrôlée contre son gré.

11. En l'espèce, pour rejeter le moyen de nullité de la procédure douanière et des actes subséquents pris de ce que le requérant a été maintenu à la disposition des agents des douanes au-delà du temps nécessaire au contrôle, l'arrêt attaqué énonce qu'après la découverte d'une somme en espèces de plus de 200 000 euros dans le bagage de M. S..., ce dernier a été invité à suivre les agents des douanes jusqu'à leurs locaux où ils sont arrivés à 1h50, qu'il a fait l'objet d'une visite à corps négative, achevée à 2h, que les agents des douanes ont, de 2h 55 à 4h10, compté manuellement, à deux reprises, les 1 973 billets découverts, la somme totale s'élevant à 215 080 euros, puis, de 4h10 à 4h30, effectué un dépistage de leur imprégnation en produits stupéfiants qui s'est avéré négatif, qu'ils ont procédé, de 6h25 à 8h10, à l'audition de M. S..., qu'après intervention de l'équipe cynophile de 8h30 à 8h50, les billets ont, de 9h20 à 9h45, été placés sous scellés douaniers et que le procès-verbal de saisie a été clôturé à 10h45, heure à laquelle M. S... a été remis aux enquêteurs de la police judiciaire dans le cadre d'une enquête de flagrance du chef de blanchiment et placé en garde à vue.

12. Les juges retiennent que, si le procès-verbal des douanes mentionne que M. S... est resté libre et sans contraintes pendant la procédure douanière, il en résulte qu'il a été invité à suivre les agents des douanes dans leurs locaux, ce dont il se déduit qu'il a été nécessairement contraint à y demeurer.

13. Ils concluent que les différentes opérations diligentées par les douanes qui ont eu pour objet de décompter les billets, de vérifier leur imprégnation en produits stupéfiants et de procéder à leur consignation et mise sous scellés, se sont succédé sans délai ni discontinuité jusqu'à la rédaction du procès- verbal de saisie, et relèvent des pouvoirs dévolus aux agents des douanes dans le cadre de l'exercice du droit de contrôle prévu à l'article 60 du code des douanes.

14. Les juges ajoutent que, lors de son audition, M. S..., qui ne faisait l'objet d'aucune mesure coercitive, n'a été entendu que sur les seuls faits relevés par le contrôle.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte et les principes susvisés.

16. En effet, il résulte de ses constatations et des procès-verbaux établis par les agents des douanes que la personne contrôlée, laquelle était maintenue à la disposition des agents des douanes, a fait l'objet d'une audition formelle sur sa situation personnelle, notamment financière, et sur l'origine des fonds transportés, audition à laquelle les agents des douanes ne pouvaient procéder, fût-ce en application de l'article 67 F du code des douanes, au cours de cette visite.

17. Par conséquent, la cassation est encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 26 avril 2019, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité de la procédure douanière et des actes de procédure subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit mars deux mille vingt.

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