18 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-12.702

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00367

Texte de la décision

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mars 2020




Cassation partielle sans renvoi


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 367 F-D


Pourvois n°
Z 19-12.702
B 19-12.704
C 19-12.705
D 19-12.706
F 19-12.708 JONCTION












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MARS 2020

La société Schappe techniques, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé les pourvois n° Z 19-12.702, B 19-12.704, C 19-12.705, D 19-12.706 et F 19-12.708 contre les arrêts rendus le 19 décembre 2018 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à M. X... U..., domicilié [...] ,

2°/ à Mme W... H..., domiciliée [...] ,

3°/ à Mme N... G..., domiciliée [...] ,

4°/ à Mme P... M..., domiciliée [...] ,

5°/ à M. Y... F..., domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse aux pourvois invoque, à l'appui de ses recours, un moyen unique commun de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Schappe techniques, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de MM. U..., F..., de Mmes H..., M... et G..., après débats en l'audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. David, conseiller référendaire rapporteur, Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, il y a lieu de joindre les pourvois n° Z 19-12.702, B 19-12.704, C 19-12.705, D 19-12.706 et F 19-12.708.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Nancy, 19 décembre 2018), M. U... et quatre autres salariés de la société Schappe techniques (la société) ont saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappels de salaire au titre des jours de repos coïncidant avec les vendredis 1er et 8 mai 2015.

Examen du moyen

Sur le moyen, commun aux pourvois, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser aux salariés diverses sommes à titre de rappels de salaire par jour de repos acquis et non pris coïncidant avec les 1er et 8 mai 2015 et à titre d'indemnités compensatrices de congés payés afférentes à ces rappels de salaire, alors « que lorsque le temps de travail est décompté sur plusieurs semaines selon une organisation fixe impliquant le chômage régulier de certaines journées en plus du repos hebdomadaire (les salariés ne se voyant pas accorder un nombre déterminé de jours de réduction du temps de travail dont le positionnement peut varier), la coïncidence entre ces journées habituellement chômées et un jour férié n'ouvre droit à aucune compensation à défaut de disposition spécifique en ce sens ; qu'en vertu de l'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail du 16 juillet 1998 applicable au sein de la société Schappe techniques, la durée du travail est appréciée sur la base de deux semaines (article 2) dans le cadre duquel, afin d'éviter tout dépassement de la durée légale de travail, certains vendredis (celui de la première semaine pour l'équipe B et celui de la deuxième semaine pour les équipes A et C) ne sont pas travaillés ; qu'entrant dans un mode d'organisation globale du travail sur une période de deux semaines, ce vendredi non travaillé correspond donc à un jour habituel de repos du salarié et non à un jour de réduction du temps de travail, la prise de celui-ci, décidée pour partie au choix du salarié et pour partie au choix de l'employeur, intervenant au contraire à une date qui serait normalement travaillée ; qu'en affirmant, pour juger le contraire, que le vendredi non travaillé avait vocation à compenser les dépassements d'horaire de l'autre semaine, afin d'assurer, sur deux semaines, le respect de la durée légale de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-20, L. 3133-1 et L. 3133-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige ensemble l'accord sur la réduction et l'aménagement de travail du 16 juillet 1998 applicable au sein de la société Schappe techniques. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et l'article 1er du chapitre 4 du protocole d'accord du 16 juillet 1998 sur la réduction et l'aménagement du temps de travail, conclu au sein de la société Schappe techniques :

4. Selon le second de ces textes, pour le personnel travaillant en équipe, les horaires de travail sont répartis sur cinq jours ouvrables, du lundi au vendredi, sur une période de deux semaines. La première semaine, la durée hebdomadaire de travail des salariés affectés à l'équipe A est de 38 heures, selon les horaires suivants : le lundi de 7 h à 13 h et les mardi, mercredi, jeudi, vendredi de 5 h à 13 h, la durée hebdomadaire de travail des salariés de l'équipe B étant quant à elle de 32 heures, selon les horaires suivants : le lundi, mardi, mercredi et jeudi de 13 h à 21 h. La seconde semaine, les équipes permutent d'horaire, les salariés de l'équipe A accomplissant ainsi 32 heures de travail, ceux de l'équipe B 38 heures. Les salariés de l'équipe B ne travaillent pas le vendredi de la première semaine, les salariés de l'équipe A ne travaillent pas le vendredi de la seconde semaine. L'horaire hebdomadaire moyen du personnel travaillant en équipe, calculé sur la période de référence de deux semaines, est de 35 heures.

5. Pour faire droit aux demandes des salariés, les arrêts retiennent, en premier lieu, qu'il convient pour établir s'il y a lieu à compensation, de déterminer, d'abord, si les vendredis non travaillés par les salariés de la société dans le cadre de l'organisation du temps de travail en vigueur dans cette société suivant l'accord du 16 juillet 1998 doivent être considérés comme étant des jours de repos acquis au titre de cet accord ou, au contraire, comme des jours de repos hebdomadaire, avant de déterminer, ensuite, si les jours fériés sont chômés au sein de la société.

6. Les arrêts retiennent, en second lieu, que l'organisation mise en place au sein de l'entreprise a pour effet de respecter la durée légale du travail, non pas sur une période d'une semaine, mais sur une période de deux semaines pendant laquelle les salariés pourront travailler pendant une semaine au-delà de la durée légale avec compensation sur la semaine suivante pendant laquelle les heures de travail seront moindres et avec octroi de jours de repos, qu'à cet égard les vendredis non travaillés ont vocation à compenser les dépassements d'horaire de l'autre semaine, de sorte que le respect de la durée légale du temps de travail sur une période de deux semaines ne peut être assuré que grâce à ces jours non travaillés.

7. Ils en déduisent que les vendredis non travaillés litigieux doivent être considérés comme des jours de repos au titre d'un accord d'aménagement et de réduction du temps de travail et non comme des jours de repos hebdomadaire insusceptibles de donner lieu à compensation ou récupération.

8. En statuant ainsi, alors, d'une part, que le protocole d'accord du 16 juillet 1998 sur la réduction et l'aménagement du temps de travail conclu au sein de la société Schappe techniques prévoit la répartition de la durée du travail du personnel en équipe sur des périodes de deux semaines se répétant à l'identique comprenant un vendredi non travaillé, d'autre part, que la durée moyenne hebdomadaire de travail, sur la période de référence, est de 35 heures, ce dont il résulte que ces vendredis non travaillés constituent des jours de repos qui n'ont pas vocation à compenser des heures de travail effectuées au-delà de la durée légale ou conventionnelle, de sorte que la coïncidence entre le vendredi de repos de la période de référence et les 1er et 8 mai 2015 n'ouvrait droit à aucun rappel de salaire au profit des salariés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend aux chefs de dispositif des arrêts condamnant la société Schappe techniques aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de certaines sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

10. En application de l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. Ni la convention collective nationale de l'industrie textile du 1er février 1951 ni le protocole d'accord du 16 juillet 1998 sur la réduction et l'aménagement du temps de travail, conclu au sein de la société Schappe techniques, ne prévoient de droit à compensation en cas de coïncidence entre un jour férié et un jour non travaillé.

13. Les demandes des salariés au titre des jours de repos coïncidant avec les 1er et 8 mai 2015 doivent donc être rejetées.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils déboutent les salariés de leur demande de dommages-intérêts pour résistance abusive, les arrêts rendus le 19 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉBOUTE M. U..., Mme H..., Mme G..., Mme M... et M. F... de leur demande de rappel de salaire au titre des jours de repos acquis et non pris coïncidant avec les 1er et 8 mai 2015 et d'indemnités compensatrices de congés payés afférentes à ces rappels de salaire ;

Condamne M. U..., Mme H..., Mme G..., Mme M... et M. F... aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit aux pourvois par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Schappe techniques.

IL EST FAIT GRIEF aux arrêts attaqués d'AVOIR confirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges, en ce qu'il a débouté la société Schappe Techniques de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, d'AVOIR condamné la société Schappe Techniques à verser aux salariés diverses sommes à titre de rappel de salaire par jour de repos acquis et non pris coïncidant avec le 1er et le 08 mai 2015 et à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente à ce rappel de salaire, d'AVOIR dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du jugement du conseil de prud'hommes, d'AVOIR condamné la société Schappe Techniques aux dépens de première instance et d'appel, d'AVOIR condamné la société Schappe Techniques à verser à chaque salarié la somme de 150 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'AVOIR déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de rappel de salaire,
En application de l'article L. 3121-27 du code du travail, la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.
L'article L. 3121-44 du même code prévoit toutefois qu'un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine sur la base d'une période de référence ne pouvant excéder 1 an ou, si un accord de branche l'autorise, 3 ans.
Il est de principe que lorsqu'un jour férié chômé coïncide avec un jour de repos hebdomadaire, il ne donne pas lieu à compensation ou à récupération.
Au contraire, lorsqu'un jour férié chômé coïncide avec un jour de repos octroyé dans le cadre d'un accord d'aménagement du temps de travail, l'employeur a l'obligation de compenser la perte de ce jour de repos.
Les jours de repos acquis au titre d'un accord de réduction et d'aménagement du temps de travail ne peuvent pas être positionnés sur un jour férié chômé.
Il convient en conséquence pour établir s'il y a lieu à compensation, de déterminer, tout d'abord, si les vendredis non travaillés par les salariés de la société Schappe Techniques dans le cadre de l'organisation du temps de travail en vigueur dans cette société suivant l'accord du 16 juillet 1998 doivent être considérés comme étant des jours de repos acquis au titre de cet accord ou, au contraire, comme des jours de repos hebdomadaire avant de déterminer, ensuite, si les jours fériés sont chômés au sein de la société.
Sur le premier point, il convient de rappeler que l'organisation mise en place au sein de l'entreprise a pour effet de respecter la durée légale du travail, non pas sur une période d'une semaine, mais sur une période de deux semaines pendant laquelle les salariés pourront travailler pendant une semaine au-delà de la durée légale avec compensation sur la semaine suivante pendant laquelle les heures de travail seront moindres et avec octroi de jours de repos.
À cet égard les vendredis non travaillés ont vocation à compenser les dépassements d'horaire de l'autre semaine, de sorte que le respect de la durée légale du temps de travail sur une période de deux semaines ne peut être assuré que grâce à ces jours non travaillés.
Il s'en déduit que les vendredis non travaillés litigieux devaient être considérés comme des jours de repos au titre d'un accord d'aménagement et de réduction du temps de travail et non comme des jours de repos hebdomadaire insusceptibles de donner lieu à compensation ou récupération.
Sur le second point, il sera rappelé qu'un jour férié peut être chômé du fait de la loi, d'une convention collective ou d'un usage.
En l'espèce, l'article 66 de la convention collective de l'industrie textile prévoit qu'"indépendamment du 1er Mai, les ouvriers bénéficient, lorsqu'ils perdent une journée de travail du fait du chômage des jours fériés légaux suivants : 1er janvier, lundi de Pâques, 8 mai, Ascension, lundi de Pentecôte, 14 juillet, Assomption, Toussaint, 11 novembre et jour de Noël tombent un jour où ils auraient normalement travaillé, de l'indemnisation de cette journée."
(Le salarié) est donc bien-fondé(e) à demander une compensation de salaire pour les 1er et 8 mai 2015.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté (le salarié) de sa demande en rappel de salaire et la société Schappe Techniques sera condamnée à lui verser la somme de (
) euros brut à titre de rappel de salaire par jour de repos acquis et non pris coïncidant avec le 01 et le 08 mai 2015, outre (
) euros brut pour les congés payés afférents, augmentés des intérêts légaux à compter du jugement du conseil de prud'hommes » ;

1°) ALORS QUE lorsque le temps de travail est décompté sur plusieurs semaines selon une organisation fixe impliquant le chômage régulier de certaines journées en plus du repos hebdomadaire (les salariés ne se voyant pas accorder un nombre déterminé de jours de réduction du temps de travail dont le positionnement peut varier), la coïncidence entre ces journées habituellement chômées et un jour férié n'ouvre droit à aucune compensation à défaut de disposition spécifique en ce sens ; qu'en vertu de l'accord sur la réduction et l'aménagement de travail du 16 juillet 1998 applicable au sein de la société Schappe techniques, la durée du travail est appréciée sur la base de 2 semaines (article 2) dans le cadre duquel, afin d'éviter tout dépassement de la durée légale de travail, certains vendredis (celui de la première semaine pour l'équipe B et celui de la deuxième semaine pour les équipes A et C) ne sont pas travaillés ; qu'entrant dans un mode d'organisation globale du travail sur une période de deux semaines, ce vendredi non travaillé correspond donc à un jour habituel de repos du salarié et non à un jour de réduction du temps de travail, la prise de celui-ci, décidée pour partie au choix du salarié et pour partie au choix de l'employeur, intervenant au contraire à une date qui serait normalement travaillée ; qu'en affirmant, pour juger le contraire, que le vendredi non travaillé avait vocation à compenser les dépassements d'horaire de l'autre semaine, afin d'assurer, sur deux semaines, le respect de la durée légale de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-20, L. 3133-1 et L. 3133-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige ensemble l'accord sur la réduction et l'aménagement de travail du 16 juillet 1998 applicable au sein de la société Schappe techniques ;

2°) ALORS QUE l'article 66 de la convention collective de l'industrie textile dispose qu'« indépendamment du 1er Mai, les ouvriers bénéficient, lorsqu'ils perdent une journée de travail du fait du chômage des jours fériés légaux suivants : 1er janvier, lundi de Pâques, 8 mai, Ascension, lundi de Pentecôte, 14 juillet, Assomption, Toussaint, 11 novembre et jour de Noël tombant un jour où ils auraient normalement travaillé, de l'indemnisation de cette journée » ; que cet article ne prévoit pas que les jours fériés désignés doivent être rémunérés, ni que l'un de ces jours tombant un jour habituellement chômé, devrait être compensé ; qu'en se fondant sur l'article précité, pour dire que les salariés pouvaient solliciter une compensation pour les jours fériés chômés tombés un vendredi non travaillé dans le cadre d'un cycle de travail de 2 semaines, la cour d'appel a violé ledit article.

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