18 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-19.469

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00366

Texte de la décision

SOC.

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mars 2020




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 366 F-D

Pourvoi n° J 18-19.469




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MARS 2020

La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° J 18-19.469 contre le jugement rendu le 15 janvier 2018 par le conseil de prud'hommes de Paris (section commerce, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. V... T..., domicilié [...] ,

2°/ au syndicat SUD PTT 77, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, après débats en l'audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. David, conseiller référendaire rapporteur, Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen unique :

Vu le principe d'égalité de traitement ;

Attendu que, selon la délibération du 25 janvier 1995 du conseil d'administration de La Poste, les primes et indemnités perçues par les agents de droit public et les agents de droit privé et initialement regroupées au sein d'un complément indemnitaire ont été supprimées et incorporées dans un tout indivisible appelé « complément Poste » constituant désormais de façon indissociable l'un des sous-ensembles de la rémunération de base de chaque catégorie de personnel et, selon la décision n° 717 du 4 mai 1995 du président du conseil d'administration de La Poste, la rémunération des agents de La Poste se compose de deux éléments, d'une part, le traitement indiciaire pour les fonctionnaires ou le salaire de base pour les agents contractuels, lié au grade et rémunérant l'ancienneté et l'expérience, d'autre part, le « complément Poste », perçu par l'ensemble des agents, qui rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste ; qu'en application du principe d'égalité de traitement, pour percevoir un « complément Poste » du même montant, un salarié doit justifier exercer au même niveau des fonctions identiques ou similaires à celles du fonctionnaire auquel il se compare ;

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que M. T..., agent contractuel de droit privé de La Poste, a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire au titre du « complément Poste » ; que le syndicat SUD PTT 77 est intervenu volontairement à l'instance ;

Attendu que pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire au titre du complément Poste, le jugement retient, d'abord, que La Poste est tenue d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, que l'identité de situation s'apprécie au regard de l'avantage concerné et que s'il appartient au salarié qui invoque l'atteinte au principe « à travail égal salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à La Poste de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence, qu'il peut apparaître simpliste de se contenter d'un principe général qui, au demeurant, nécessiterait des approfondissements auxquels les parties ne se livrent pas, ensuite, qu'il n'est pas démontré ni même sérieusement allégué que la différence observée dans le régime du « complément Poste » s'expliquerait par une maîtrise du poste différente entre les agents alors que, d'une part, l'ancienneté et l'expérience susceptibles de se traduire par une meilleure maîtrise du poste sont prises en compte non dans le « complément Poste » mais dans le traitement indiciaire ou dans le salaire de base et que, d'autre part, ladite maîtrise ne fait pas l'objet d'une appréciation individuelle lors de la fixation initiale du montant du « complément Poste », enfin, que, dès lors qu'il n'y a pas de contestation sur l'agent avec lequel il se compare, le salarié est fondé à réclamer dans son principe le complément de rémunération qu'il sollicite ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que le salarié exerçait des fonctions identiques ou similaires à celles de l'agent auquel il se comparait, le conseil de prud'hommes n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et attendu que la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur au paiement d'un rappel de salaire entraîne, par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif ordonnant la remise d'un bulletin de paie rectificatif et condamnant l'employeur au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société La Poste à payer à M. T... les sommes de 548,79 euros à titre de rappel de complément Poste, de 54,88 euros au titre des congés payés afférents, de 20 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il ordonne la remise au salarié d'un bulletin de paie rectificatif, le jugement rendu le 15 janvier 2018, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Paris, autrement composé ;

Condamne M. T... et le syndicat SUD PTT 77 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société La Poste ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société La Poste

Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR condamné La Poste à verser à M. V... T... la somme de 548,79 €, outre les congés payés afférents, à titre de rappel de complément Poste, ainsi qu'une somme de 20 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS sur le rappel de salaires QUE ce rappel est fondé par la partie demanderesse sur deux éléments, à savoir l'égalité entre salariés d'une part et le respect des engagements de La Poste d'autre part ;

QUE concernant l'égalité de traitement entre les agents de droit public et les agents contractuels de droit privé, il résulte de ce principe dont s'inspirent notamment les articles L.2261-22-9, L.2271-1-8 et L.3221-2 du Code du travail que La Poste est tenue d'assurer l'égalité de rémunération entre tous ses salariés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ;

QUE l'identité de situation s'apprécie au regard de l'avantage concerné et [qu'] en application de l'article 1315 du Code civil, s'il appartient au salarié qui invoque l'atteinte au principe "à travail égal salaire égal" de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence ;

QU'en l'espèce, plusieurs observations peuvent être faites sur ce point :
- le complément Poste alloué aux agents de droit public n'a pas constitué un avantage complémentaire mais constitue un simple regroupement en un seul poste de primes et éléments de rémunération dont ces agents bénéficiaient antérieurement,
- il est établi que les salariés qui bénéficient du statut général de la fonction publique et ceux qui relèvent du statut privé se trouvent dans des situations de rémunération totalement différentes, tant au niveau de leur rémunération même que des conséquences, notamment au niveau du calcul de leur retraite,
- il peut apparaître simpliste de se contenter d'un principe général qui, au demeurant, nécessiterait des approfondissements auxquels les parties ne se livrent pas ;

QUE concernant les engagements de La Poste, il sera rappelé que celle-ci a pris l'engagement d'aligner en 2003 le régime du complément Poste pour l'ensemble de ses agents ;

QU'il importe de souligner que dans l'accord salarial pour l'année 2001, signé le 10 juillet 2001, l'engagement avait été pris, sous l'intitulé "Evolution pluriannuelle", que fin 2003 les compléments Poste des agents contractuels des niveaux I.2, I.3 et II.1 seront égaux aux montants des compléments Poste des fonctionnaires de même niveau ; qu'il ressort, à l'évidence, des exemples comparatifs, dont celui de la partie demanderesse, que la réalisation de cet engagement n'a pas été conduite à son terme ;

QUE de surcroît La Poste, qui expose suivre un plan de convergence du montant des compléments Poste à chaque niveau de fonction au travers un "champ de normalité" admet au moins implicitement que sa politique de rémunération vise au respect du principe d'égalité normalement applicable à cet élément de salaire, contredisant dans le même temps la thèse de l'avantage acquis cristallisé dont le montant, par définition, n'est pas soumis à évolution ;

QUE par ailleurs, il n'est pas démontré ni même sérieusement allégué que la différence observée s'expliquerait par une maîtrise du poste différente entre agents en comparaison alors que, d'une part, l'ancienneté et l'expérience, susceptibles de se traduire par une meilleure maîtrise du poste, sont prises en compte, non pas dans le complément Poste mais dans le traitement indiciaire ou dans le salaire de base, comme indiqué ci-avant et que, d'autre part, ladite maîtrise ne fait pas l'objet d'une appréciation individuelle lors de la fixation initiale du montant du complément Poste ;

QU'enfin, il ne saurait être retenu, comme l'avance La Poste, que l'engagement d'alignement du montant du complément Poste en 2003 ne visait que les agents contractuels de droit privé à intervenir, ce qui aurait alors conduit à créer une inégalité entre des salariés ayant le même statut puisque les salariés contractuels de droit privé engagés à partir de 2003 auraient bénéficié d'un avantage que n'auraient pas eu ceux de même statut engagés avant ;

QU'il doit être conclu que, dès lors qu'il n'y a pas de contestation entre l'agent avec lequel elle se compare, la partie demanderesse est fondée à réclamer dans son principe le complément de rémunération qu'elle sollicite, sauf à conclure, comme le fait La Poste, que l'accord du 5 février 2015 a mis fin au litige, tant pour l'avenir que pour le passé ;

QUE s'il est incontestable que l'accord a mis fin au litige pour ce qui concerne l'avenir, il convient de s'interroger sur les années antérieures à 2015 ;

QUE l'accord conclu prévoit le versement d'une indemnité spécifique pour l'année 2014 sans prévoir quoi que ce soit pour les autres années ;

QU'ainsi, en l'absence de disposition régularisant les années antérieures, il convient, au vu des motifs exposés ci-dessus, de condamner La Poste à verser un complément Poste à la partie demanderesse ;

QU'en conséquence, La Poste sera condamnée au montant du rappel demandé par la partie demanderesse, assorti des congés payés afférents, ainsi qu'un bulletin de paie conforme (
)" ;

1°) ALORS QUE le complément Poste, tel qu'institué pour l'ensemble des agents par la décision n° 717 du 4 mai 1995, qui n'a pas été abrogée par l'accord du 10 juillet 2001, "rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste" ; qu'il en résulte que l'employeur n'est tenu d'assurer l'égalité du complément Poste entre les fonctionnaires et les agents de droit privé que pour autant qu'ils exercent au même niveau les mêmes fonctions avec la même maîtrise personnelle du poste ; que cette appréciation s'effectue in concreto ; qu'en l'espèce, pour accueillir la demande de M. T..., le conseil de prud'hommes retient, "qu'il doit être conclu que, dès lors qu'il n'y a pas de contestation entre l'agent avec lequel elle se compare, la partie demanderesse est fondée à réclamer dans son principe le complément de rémunération qu'elle sollicite" ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs abstraits et généraux, sans préciser, ainsi qu'elle y était invitée, ni les fonctions respectivement et successivement occupées, ni même le niveau de fonction du salarié et du fonctionnaire référent le conseil de prud'hommes, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de la délibération susvisée, ensemble du principe d'égalité de traitement ;

2°) ALORS en outre QUE le complément Poste, tel qu'institué pour l'ensemble des agents par la décision n° 717 du 4 mai 1995, que n'a pas abrogée l'accord du 10 juillet 2001, "rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste" ; qu'il en résulte que l'employeur n'est tenu d'assurer l'égalité du complément Poste entre les fonctionnaires et les agents de droit privé que pour autant qu'ils exercent au même niveau les mêmes fonctions avec la même maîtrise personnelle du poste ; que cette appréciation s'effectue in concreto et peut résulter de la nature et de la diversité des fonctions respectivement occupées au cours de leur carrière par l'agent et le fonctionnaire référent ; qu'en l'espèce, La Poste avait expressément fait valoir dans ses écritures, et démontré par la production des fiches Edart des fonctionnaires référents que les salariés demandeurs – dont M. T... se comparaient à des fonctionnaires qui avaient "eu des parcours professionnels sans comparaison possible avec les leurs", ce dont résultait "une différence d'expérience tenant à la diversité des fonctions exercées année après année, laquelle influe sur la maîtrise du poste" ; qu'en retenant à l'appui de sa décision qu' " il n'est pas démontré ni même sérieusement allégué que la différence observée s'expliquerait par une maîtrise du poste différente entre agents en comparaison alors que, d'une part, l'ancienneté et l'expérience, susceptibles de se traduire par une meilleure maîtrise du poste, sont prises en compte, non pas dans le complément Poste mais dans le traitement indiciaire ou dans le salaire de base, comme indiqué ci-avant et que, d'autre part, ladite maîtrise ne fait pas l'objet d'une appréciation individuelle lors de la fixation initiale du montant du complément Poste", refusant ainsi à La Poste la possibilité de démontrer que la différence de traitement considérée était due à une meilleure maîtrise du poste, le conseil de prud'hommes a violé derechef la délibération et le principe susvisés ;

3°) ALORS QUE l'accord du 10 juillet 2001 ne prévoyait l'égalisation du complément Poste des agents contractuels des niveaux I.2, I.3 et II.1 avec celui des fonctionnaires de même niveau que pour la fixation des "seuils de recrutement" de cet élément de rémunération et moyennant "une mesure exceptionnelle" permettant de "porter le versement biannuel effectué au second semestre 2003 au niveau de celui effectué pour les fonctionnaires à cette même date" (article 3.5), engagement qui avait été exécuté ; qu'il ne comportait aucun engagement de La Poste en faveur d'un alignement systématique du complément Poste perçu par l'ensemble des fonctionnaires et agents de droit privé de même niveau à compter de cette date ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que "
[La Poste] a pris l'engagement d'aligner en 2003 le régime du "complément Poste" pour l'ensemble de ses agents", et "
que la réalisation de cet engagement n'a pas été conduite à son terme", le conseil de prud'hommes a violé par fausse interprétation l'article 3.5 de l'accord salarial du 10 juillet 2001, ensemble l'article 3-5 de l'accord salarial du 8 juillet 2003 ;

4°) ALORS subsidiairement QUE le principe d'égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les règles spécifiques conventionnelles déterminant un élément de rémunération soient applicables uniquement aux salariés recrutés après leur entrée en vigueur, dès lors que ces salariés ne bénéficient à aucun moment d'une rémunération supérieure à celle des salariés embauchés antérieurement à l'entrée en vigueur du nouvel accord et placés dans une situation identique ou similaire ; qu'en retenant, pour écarter le moyen pris, par La Poste, que l'égalisation des compléments Poste des salariés et fonctionnaires de niveaux 1-2, 1-3 et 2-1 consentie par l'accord salarial du 10 juillet 2001 ne concernait que les "seuils de recrutement", que cet engagement "aurait alors conduit à créer une inégalité entre des salariés ayant le même statut puisque les salariés contractuels de droit privé engagés à partir de 2003 auraient bénéficié d'un avantage que n'auraient pas eu ceux de même statut engagés avant" sans qu'il résulte de ses constatations que les salariés engagés après l'entrée en vigueur de cet accord auraient bénéficié d'un complément Poste supérieur à celui des salariés engagés antérieurement et exerçant au même niveau les mêmes fonctions avec la même maîtrise du poste, le conseil de prud'hommes a privé derechef sa décision de base légale au regard des textes et principes susvisés.

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