23 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-80.025

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00564

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Impôts directs et taxes assimilées - Procédure - Action publique - Mise en mouvement - Plainte préalable de l'administration - Dénonciation obligatoire - Exception - Déclaration rectificative - Rejet - Effets

L'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative en application de l'alinéa 8 de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement. Il en résulte qu'une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en oeuvre d'une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale qui remplissent les critères énoncés aux alinéas 1 à 6 de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales. Il n'appartient pas au juge pénal d'apprécier la validité de ce rejet qui relève du contrôle du juge de l'impôt. Ainsi, l'alinéa 8 de l'article L. 228, I, précité n'exclut l'application des dispositions du I aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative que lorsque celle-ci n'a pas été rejetée par l'administration fiscale

Texte de la décision

N° J 23-80.025 FS-B

N° 00564


ODVS
23 MAI 2024


CASSATION


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024


Le procureur général près la cour d'appel de Versailles et la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 9e chambre, en date du 8 décembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [B] du chef de fraude fiscale, a prononcé l'annulation des poursuites.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques, la direction départementale des finances publiques des Hauts-de-Seine et la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J] [B], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. Wyon, Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 23 février 2017, M. [J] [B] et son épouse ont informé l'administration fiscale de leur intention de procéder à la régularisation fiscale d'avoirs détenus sur un compte suisse, selon les modalités fixées par la circulaire de régularisation du 21 juin 2013 du ministre délégué chargé du budget.

3. Le 16 juillet 2017, ils lui ont adressé une déclaration rectificative de leurs revenus pour l'année 2016, prenant en compte les revenus perçus sur ce compte.

4. Le 2 août 2017, ils lui ont transmis un dossier de régularisation fiscale concernant l'impôt sur les revenus des années 2014 et 2015 précisant que les avoirs détenus sur le compte correspondaient aux encaissements de sommes facturées au titre de prestations informatiques par une société américaine dont M. [B] est le gérant.

5. Le 12 janvier 2018, l'administration fiscale a avisé M. [B] qu'il faisait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2015 et 2016.

6. Le 19 décembre 2018, deux propositions de rectifications lui ont été adressées, relatives à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices non-commerciaux et à la TVA afférente.

7. Le 14 janvier 2020, l'administration fiscale a dénoncé au procureur de la République, sur le fondement de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales, les faits de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt au titre de l'impôt sur le revenu, et par omission déclarative des bénéfices non commerciaux et de TVA pour les années 2011 à 2016, retenus à l'égard de M. [B] et son épouse.

8. M. [B] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur le revenu et de la TVA.

9. Par jugement du 26 novembre 2021, le tribunal correctionnel a fait droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu, a annulé la convocation en justice délivrée à celui-ci ainsi que la totalité de la procédure pénale, et a ordonné la restitution des biens et avoirs saisis.

10. Le procureur de la République et l'administration fiscale ont relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé par le procureur général et les deuxième et troisième moyens proposés pour l'administration fiscale

Enoncé des moyens

11. Le moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles 1er, 40, 40-1, 385, 390-1, 591, 802 du code de procédure pénale, 1141, 1728, 1741, 1743, 1750 du code général des impôts, L. 10, L. 47 et L. 228 du livre des procédures fiscales.

12. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré non conforme à la loi la dénonciation de l'administration fiscale, annulé la convocation en justice du prévenu et ordonné la restitution des biens et avoirs saisis, alors que l'administration fiscale est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts en cas de découverte d'une activité occulte.

13. Le deuxième moyen proposé pour l'administration fiscale critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement entrepris, annulé la convocation par officier de police judiciaire du 9 février 2021 et tous les actes subséquents, alors :

« 1°/ que, premièrement, la mise en œuvre, par l'administration, des pouvoirs de contrôle dont elle dispose au titre de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales exclut qu'une déclaration rectificative soit qualifiée de spontanée ; qu'en décidant que la déclaration rectificative de M. [B] devait être qualifiée de spontanée, faute pour celui-ci de savoir que l'administration avait mis en œuvre ses pouvoirs de contrôle, quand cette circonstance était indifférente, les juges du fond ont violé l'article L. 228 du livre des procédures fiscales ;

2°/ que, deuxièmement, la mise en œuvre, par l'administration, des pouvoirs de contrôle dont elle dispose au titre de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales exclut qu'une déclaration rectificative soit qualifiée de spontanée ; qu'en décidant que la déclaration rectificative de M. [B] devait être qualifiée de spontanée, faute pour l'administration d'avoir fait usage, à la date de ladite déclaration, d'un pouvoir de contrainte, les juges du fond ont violé les articles L. 228 et L. 10 du livre des procédures fiscales. »

14. Le troisième moyen proposé pour l'administration fiscale critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement entrepris, annulé la convocation par officier de police judiciaire du 9 février 2021 et tous les actes subséquents, alors « que, premièrement, en application du I de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, hormis le cas où les contribuables ont déposé spontanément une déclaration rectificative, l'administration est tenue de dénoncer au procureur de la république les faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l'article L. 10 qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, de la majoration de 80% prévue au c du 1 de l'article 1728 en cas de découverte d'une activité occulte telle qu'appréciée par l'administration au stade de la mise en recouvrement ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L. 228 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

15. Les moyens sont réunis.

Vu l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales :

16. D'une part, il résulte des sept premiers alinéas de ce texte que l'administration fiscale est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits de fraude fiscale qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l'article L. 10 du livre des procédures fiscales qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, des majorations de 100 %, 80 % ou 40 % prévues par les différents textes auxquels ils renvoient.

17. D'autre part, aux termes de son huitième alinéa, ces dispositions ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.

18. Dans cette dernière hypothèse, sous peine d'irrecevabilité, l'exercice de l'action publique doit être précédé d'une plainte de l'administration fiscale dans les conditions prévues par l'article L. 228, II, du livre des procédures fiscales.

19. Pour répondre à la question posée par les moyens, il importe de préciser l'articulation de l'exception relative aux cas de dépôt spontané d'une déclaration rectificative relevant du pouvoir de transaction de l'administration avec l'obligation de dénonciation des faits de fraude fiscale au procureur de la République.

20. En premier lieu, le mécanisme de dénonciation obligatoire, institué par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, tend à soumettre au procureur de la République, aux fins de poursuites pénales, les faits de fraude fiscale les plus graves dont a connaissance l'administration.

21. Il ressort des travaux parlementaires que, par ces nouvelles dispositions, le législateur a entendu poursuivre un but de transparence et d'objectivité des critères de mise en œuvre des poursuites pénales et d'accroissement des prérogatives du ministère public.

22. En second lieu, l'article L. 247 du livre des procédures fiscales investit l'administration fiscale d'un pouvoir de transaction dont il encadre l'exercice et qui est mis en oeuvre, le cas échéant, selon les modalités précisées par voie d'instructions administratives.

23. Un contribuable peut, avant l'engagement d'un contrôle fiscal, saisir l'administration fiscale d'une demande de transaction par le dépôt d'une déclaration rectificative.

24. Il découle de ce qui précède que l'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement.

25. Il en résulte qu'une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d'une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale qui remplissent les critères énoncés aux alinéas 1 à 6 de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

26. Il n'appartient pas au juge pénal d'apprécier la validité de ce rejet qui relève du contrôle du juge de l'impôt.

27. Ainsi, il convient d'interpréter l'alinéa 8 de l'article L. 228, I, précité en ce sens qu'il n'exclut l'application des dispositions du I aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative que lorsque celle-ci n'a pas été rejetée par l'administration fiscale.

28. En l'espèce, pour dire irrégulière la dénonciation de l'administration fiscale et annuler les poursuites, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que les propositions de rectification adressées à M. [B] le 9 décembre 2018 indiquaient que la demande de régularisation déposée au service de traitement des déclarations rectificatives était irrecevable dans la mesure où les avoirs régularisés sont constitutifs d'une activité occulte et que, concernant les années 2011 à 2013 et 2016, aucune demande de régularisation n'avait été déposée, rappelle que le dernier alinéa de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales exclut du dispositif de dénonciation obligatoire la situation du contribuable ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.

29. Les juges relèvent que l'enquête fiscale ayant donné lieu aux visites domiciliaires n‘ayant pas été portée à leur connaissance, les déclarations rectificatives de M. et Mme [B] doivent être considérées comme étant spontanées.

30. Ils en déduisent que la dénonciation de l'administration est irrégulière, que la violation de cette formalité substantielle fait grief à M. [B] et que les poursuites pénales engagées par le procureur de la République sur leur base ainsi que tous les actes subséquents de la procédure doivent, en conséquence, être annulés.

31. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.

32. En effet, si elle a constaté, par des motifs suffisants et exempts de contradiction, que la déclaration présentait un caractère spontané, elle ne pouvait juger pour ce motif la dénonciation obligatoire irrégulière et annuler les actes de la procédure subséquente, alors que l'administration fiscale avait, préalablement à la transmission de ladite dénonciation au procureur de la République, rejeté la déclaration rectificative dont M. [B] l'avait saisie.

33. La cassation est, par conséquent, encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

PAR CES MOTIFS, la Cour, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 décembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.

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