22 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.321

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00510

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

L'article L. 4624-7, I et II, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, dispose que le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 et que le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. L'article R. 4624-45-2 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, énonce qu'en cas d'indisponibilité du médecin inspecteur du travail ou en cas de récusation de celui-ci, notamment lorsque ce dernier est intervenu dans les conditions visées à l'article R. 4624-43, le conseil de prud'hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent. En application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme juge que lorsque la collaboration d'un expert s'avère nécessaire au cours de la procédure, il incombe au juge d'assurer la mise en état et la conduite rapide du procès (CEDH, arrêt du 8 juin 2006, Sürmeli c. Allemagne, n° 75529/01). Il en résulte qu'à l'occasion d'une mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article L. 4624-7 du code du travail, un juge qui constate qu'aucun médecin inspecteur du travail n'est disponible pour réaliser la mesure d'instruction peut désigner un autre médecin pour permettre son exécution

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mai 2024




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 510 FS-B+R

Pourvoi n° S 22-22.321




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024

La caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de Centre France, société coopérative à capital et personnel variables, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-22.321 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2022 par la cour d'appel de Riom (4e chambre civile, sociale), dans le litige l'opposant à M. [L] [I], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de Centre France, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [I], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, Palle, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 11 octobre 2022), M. [I] a été engagé le 13 juin 1984 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France. Il occupait en dernier lieu un poste d'assistant clientèle à l'agence bancaire de [Localité 3].

2. A la suite d'un arrêt de travail consécutif à un accident domestique survenu le 4 novembre 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, dont l'avis précisait que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi à l'issue d'une visite de reprise en date du 1er juillet 2020.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale selon la procédure accélérée au fond d'une contestation de l'avis du médecin du travail le 9 juillet 2020 et a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 4 août 2020.

4. Par décision avant dire droit du 29 septembre 2020, rectifiée le 6 octobre 2020, le conseil de prud'hommes a confié à un médecin inspecteur régional du travail une mesure d'instruction et renvoyé l'affaire.

5. Par ordonnance du 31 mars 2021, le conseil de prud'hommes a déchargé le médecin inspecteur du travail, lequel n'exerçait plus et, après avoir constaté le refus de plusieurs médecins inspecteurs du travail de prendre en charge la mesure d'instruction, l'a confiée à un médecin inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel.

6. Par décision du 20 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a confié au médecin expert un complément d'expertise afin de procéder à la régularisation du rapport au regard du principe de la contradiction.

7. Par jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 25 janvier 2022, le conseil de prud'hommes a, notamment, rejeté la demande de nullité de l'expertise, entériné le rapport déposé le 26 octobre 2021 et constaté que les éléments de nature médicale ne justifiaient pas l'avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise émis par le médecin du travail le 1er juillet 2020.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches


8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de nullité d'expertise, d'entériner le rapport d'expertise du médecin expert daté du 26 octobre 2021, de constater que les éléments de nature médicale ne justifient pas l'avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise émis par le médecin du travail le 1er juillet 2020, de faire droit à la contestation de l'avis formulée par le salarié, de dire que cette décision se substitue aux éléments de nature médicale qui ont justifié l'avis du médecin du travail du 1er juillet 2020 contesté, de dire que le 1er juillet 2020, le salarié était apte à occuper son poste de travail (assistant clientèle et gestion automates) au sein de la société Crédit agricole Centre France avec les réserves ou aménagements suivants (cumulatifs) : 1/ reprise à temps partiel ; 2/ reprise en télétravail ; 3/ pas de port de charges de plus de 15 kg, de rappeler que la mention précitée quant à l'aptitude du salarié se substitue de plein droit à l'avis d'inaptitude rendu le 1er juillet 2020 par le médecin du travail, de dire que la mention de l'impossibilité de reclassement disparaît du fait de cette substitution de plein droit, et de le condamner aux dépens de la première instance, qui comprennent le coût de l'expertise, alors « qu'en application de l'article L. 4624-7 du code du travail, dans sa version applicable au litige en vigueur du 1er janvier 2020 au 31 mars 2022, le conseil de prud'hommes, saisi d'une contestation d'un avis émis par le médecin du travail, peut confier toute mesure d'instruction au médecin-inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence ; que seul le médecin-inspecteur du travail peut décider, le cas échéant, de s'adjoindre le concours de tiers ; que l'article R. 4624-45-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige en vigueur depuis le 1er janvier 2020, précise qu'en cas d'indisponibilité du médecin-inspecteur du travail, le conseil de prud'hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin-inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent ; qu'il en résulte que le médecin inspecteur du travail est le seul professionnel de santé auquel le conseil de prud'hommes peut faire appel pour l'éclairer en vue de statuer sur la contestation d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail dont il est saisi, à l'exclusion de tout autre type de "médecin-expert" ; qu'en conséquence, l'expertise réalisée par un tiers n'ayant pas qualité de médecin-inspecteur du travail encourt la nullité ; qu'au cas présent, l'exposante sollicitait expressément la nullité, dans sa totalité, de la mesure d'expertise confiée par le conseil de prud'hommes au docteur [Z], médecin généraliste ; qu'après avoir annulé, pour non-respect du principe du contradictoire, le premier rapport d'expertise établi par docteur [Z] le 1er juin 2021 et après avoir constaté qu'"il n'est pas contesté que le docteur [Z], qui n'est pas inscrit comme
expert en médecine de la santé ou médecine du travail, n'a pas le titre de médecin du travail, ni d'habilitation, de diplôme ou de qualification particulière en matière de santé ou médecine du travail", la cour d'appel a néanmoins considéré qu' "il n'y a pas lieu d'annuler le rapport d'expertise du docteur [Z] daté du 26 octobre 2021 pour violation de la loi" ; qu'en statuant ainsi, cependant que le juge prud'homal ne peut confier une mesure d'instruction qu'au seul médecin inspecteur du travail territorialement compétent et qu'en cas d'indisponibilité de ce dernier, il incombe au juge prud'homal de désigner tout autre médecin-inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles L. 4624-7 et R. 4624-45-2 du code du travail, dans leurs versions applicables au litige, l'article 5 du code civil et l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

11. L'article L. 4624-7 I et II du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, dispose que le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 et que le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

12. L'article R. 4624-45-2 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, énonce qu'en cas d'indisponibilité du médecin-inspecteur du travail ou en cas de récusation de celui-ci, notamment lorsque ce dernier est intervenu dans les conditions visées à l'article R. 4624-43, le conseil de prud'hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent.

13. La Cour européenne des droits de l'homme juge que la durée raisonnable d'une procédure doit s'apprécier suivant les circonstances de la cause et à l'aide des critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour l'intéressé (CEDH, 27 juin 2020, affaire Frydenler c. France, n° 30979/96). Lorsque la collaboration d'un expert s'avère nécessaire au cours de la procédure, il incombe au juge d'assurer la mise en état et la conduite rapide du procès (CEDH, 8 juin 2006, affaire Sürmeli c. Allemagne, n° 75529/01).

14. Il en résulte qu'à l'occasion d'une mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article L. 4624-7 du code du travail, le juge qui constate qu'aucun médecin inspecteur du travail n'est disponible pour réaliser la mesure d'instruction peut désigner un autre médecin pour permettre son exécution.

15. La cour d'appel a d'abord relevé que le premier juge avait désigné un médecin inspecteur du travail régionalement compétent par jugement du 29 septembre 2020 pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

16. Elle a ensuite constaté que le conseil de prud'hommes n'avait trouvé aucun médecin inspecteur du travail qui accepte la mesure d'instruction et que face à cette situation de blocage, le juge chargé du suivi de « l'expertise » ordonnée le 29 septembre 2020, avait désigné, par ordonnance du 31 mars 2021, un médecin expert pour exécuter cette mesure.

17. Elle a relevé qu'il n'était pas contesté que le conseil de prud'hommes s'était heurté au refus, ou au silence valant refus, de tous les médecins inspecteurs du travail recherchés.

18. Elle a enfin retenu que le recours prévu par l'article L. 4624-7 du code du travail relevait de la procédure accélérée au fond de sorte qu'il était conçu comme appelant une réponse judiciaire rapide et que le juge prud'homal était souvent confronté en cette matière à la question du délai raisonnable.

19. En l'état de ses constatations caractérisant l'indisponibilité des médecins inspecteurs du travail, la cour d'appel en a exactement déduit qu'un autre médecin pouvait être désigné.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.

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