16 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.922

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C300245

Titres et sommaires

BAIL (RèGLES GéNéRALES) - Vente de la chose louée - Effets - Opposabilité du bail à l'acquéreur - Etendue - Limites - Clause de subrogation de l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur - Opposabilité - Défaut - Effets - Action en restitution des loyers et charges locatives antérieures à la vente contre le bailleur originaire - Possibilité

Il résulte de la combinaison des articles 1165 et 1376, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1743, alinéa 1, du code civil qu'un locataire peut agir en restitution de paiements indus effectués au titre de loyers et charges échus antérieurement à la vente des locaux loués à l'encontre de son bailleur originaire, sans que celui-ci, qui reste tenu à son égard de ses obligations personnelles antérieures à la vente, ne puisse lui opposer une clause contenue dans l'acte de vente subrogeant l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur. En conséquence, doit être censuré, l'arrêt, qui pour mettre hors de cause le bailleur originaire à qui le locataire avait versé, antérieurement à la vente, les sommes prétendument indues au titre de charges locatives, retient que l'acte de vente des locaux loués stipulait une clause de subrogation de l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur pour tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété même si la cause en était directement ou indirectement antérieure et que seul l'acquéreur avait la qualité de bailleur au jour où le locataire a agi en répétition de l'indu

QUASI-CONTRAT - Paiement de l'indu - Action en répétition - Exercice - Personne contre laquelle elle doit être dirigée - Détermination - Opposabilité d'une clause de subrogation de l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mai 2024




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 245 FS-B

Pourvoi n° J 22-19.922




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MAI 2024

La société Maisons du monde, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° J 22-19.922 contre l'arrêt rendu le 19 avril 2022 par la cour d'appel de Montpellier (5e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Immorente, société civile de placement immobilier, dont le siège est [Adresse 3],,

2°/ à la société Mercialys, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ au syndicat des copropriétaires du centre commercial Géant Casino, dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société Sudeco, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société Maisons du monde, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Mercialys, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Immorente, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du syndicat des copropriétaires du centre commercial Géant Casino, et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, Mmes Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 avril 2022), le 10 juin 2011, la société Mercialys, propriétaire de locaux commerciaux situés dans un centre commercial et donnés à bail à la société Maisons du monde (la locataire), lui a délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail au titre, notamment, des charges appelées par le syndicat des copropriétaires du centre commercial.

2. La locataire a acquitté les sommes visées au commandement en précisant qu'il s'agissait d'un règlement à titre conservatoire pour éviter la résiliation du bail.

3. Le 22 décembre 2011, la société Mercialys a vendu les locaux à la société Immorente.

4. L'acte de vente prévoit que l'acquéreur fera son affaire personnelle, d'une part, de la continuation ou de la résiliation des baux dont les biens sont l'objet ainsi que de toutes les procédures qui pourraient survenir à compter de l'entrée en jouissance sans recours contre le vendeur, aux droits et obligations duquel il sera purement et simplement subrogé, d'autre part, de tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété, même si la cause en était directement ou indirectement antérieure.

5. Le 29 avril 2015, la locataire a assigné la société Mercialys en annulation du commandement de payer et en restitution des sommes à elle indûment payées. Cette société a appelé en la cause la société Immorente.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Mercialys et de rejeter ses demandes, alors « qu'en cas de vente des locaux donnés à bail, le bailleur originaire n'est pas déchargé à l'égard du preneur de son obligation de lui rembourser les sommes indûment perçues, par une clause contenue dans l'acte de vente subrogeant l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur-bailleur ; que partant en l'espèce, en considérant, pour mettre hors de cause le bailleur originaire et débouter la locataire de sa demande de remboursement des charges indûment payées, que « le fait que la société Mercialys ait perçu les fonds dont la restitution est demandée par la société Maisons du Monde ne peut justifier comme retenu par le jugement entrepris que la société Mercialys soit maintenue en la cause dans la mesure où l'acte du 22 décembre 2011 prévoit expressément (…) que l'acquéreur c'est à dire la société Immorente fera son affaire personnelle de tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété même si la cause en était directement ou indirectement antérieure », la cour d'appel a violé l'article 1743 du code civil, ensemble l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1165 et 1376, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1743, alinéa 1er, du code civil :

7. Selon le premier de ces textes, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers.

8. En application du dernier, le bail est opposable à l'acquéreur qui en a eu connaissance avant la vente de la chose louée.

9. Aux termes du deuxième, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

10. Il résulte de la combinaison de ces textes que le locataire peut agir à l'encontre de son bailleur originaire en restitution de paiements indus effectués au titre de loyers et charges échus antérieurement à la vente, sans que celui-ci, qui reste tenu à son égard de ses obligations personnelles antérieures à la vente, ne puisse lui opposer une clause contenue dans l'acte de vente subrogeant l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur.

11. Pour mettre hors de cause la société Mercialys, l'arrêt retient qu'il importe peu que celle-ci ait perçu les fonds dont la restitution est demandée par la locataire, dès lors que l'acte de vente des locaux loués stipulait une clause de subrogation de l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur pour tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété même si la cause en était directement ou indirectement antérieure et qu'au jour de la délivrance de l'assignation par la locataire, c'est la société Immorente qui avait seule la qualité de bailleresse.

12. En statuant ainsi, alors que la locataire avait versé les sommes prétendument indues au titre de charges locatives à la société Mercialys antérieurement à la vente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Mercialys aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mercialys et la condamne à payer à la société Maisons du monde la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille vingt-quatre.

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