5 avril 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/15174

3ème chambre 2ème section

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS



3ème chambre
2ème section


N° RG 21/15174
N° Portalis 352J-W-B7F-CVSNK

N° MINUTE :


Assignation du :
06 Novembre 2021















JUGEMENT
rendu le 05 Avril 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. ROSAE PARIS (auparavant THE WORKING GIRL)
[Adresse 3],
[Localité 4]

représentée par Maître Aimée-lou DE LALUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0003

DÉFENDERESSE

S.A.S. SEVEN AUGUST
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Yves CLAISSE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0500

et par Maître François-Xavier LANGLAIS de l’AARPI Quantic Avocats, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant.



Copies délivrées le :
- Maître DE LALUN #T003 (ccc)
- Maître CLAISSE #P500 (exécutoire)

Décision du 05 Avril 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/15174 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVSNK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 08 Février 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort




EXPOSE DU LITIGE

1.La société ROSAE PARIS (anciennement dénommée The Working Girl), créée en 2019, a pour objet la création et la commercialisation de vêtements de prêt à porter, d'articles de maroquinerie et d'accessoires de mode. La société SEVEN AUGUST, créée en 2018, a le même objet.

2.En avril 2021, constatant que trois articles semblables à ceux de sa collection étaient en vente sur le site www.sevenaugust.fr et qu'une vidéo promotionnelle de la marque SEVEN AUGUST présentait des similitudes avec celle publiée sur son compte Instagram, la société ROSAE PARIS a fait établir un constat d'huissier le 5 mai 2021, puis a adressé le 7 mai 2021 à la société SEVEN AUGUST, une lettre de mise en demeure lui demandant :
-de cesser l'offre à la vente, la vente et la promotion des modèles litigieux, à savoir la blouse "Siha", le top "Tim" et le sweatshirt "Marta", quels que soient les coloris,
-de ne plus commercialiser ces vêtements ou des vêtements reproduisant la combinaison des éléments caractéristiques des vêtements de ROSAE PARIS,
-de s'abstenir de créer tout risque de confusion ou d'association avec ROSAE PARIS, ou de détourner la valeur économique individualisée créée par cette dernière,
-de communiquer le volume de vêtements litigieux déjà vendus et de ceux encore en stock ;
-de l'indemniser pour le préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de ses droits d'auteur et de concurrence déloyale et parasitisme.

3.Par courrier en réponse en date du 28 mai 2021, SEVEN AUGUST a rejeté l'ensemble de ces demandes.

4.ROSAE PARIS, après avoir estimé que les agissements litigieux se poursuivaient et s'étendaient à d'autres articles, a assigné SEVEN AUGUST devant le tribunal judiciaire de Paris, par acte d'huissier régulièrement signifié le 26 novembre 2021.

5.Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 31 janvier 2023, la société ROSAE PARIS a notamment sollicité :
-de juger que la promotion, l'offre à la vente et la vente par la société SEVEN AUGUST des modèles de vêtements "Siha", "Tosca", "Tim", "Trani", "Campbell", "Marta" et "Martin" constituent des actes de contrefaçon des droits d'auteur qu'elle détient sur les modèles de vêtements "Fraisier", Darcy", "Esterel", "Erlanger", "Dunes" et "Falguière" ;
- de juger qu'elles constituent des actes de contrefaçon des dessins et modèles communautaires non enregistrés détenus par la société ROSAE PARIS sur les modèles précités ;
-de juger que par ces actes, par la création d'un effet de gamme, et par la diffusion d'une vidéo intitulée "Live Dolce Vita" sur son compte Instagram reprenant les caractéristiques essentielles de sa vidéo, "balade à Belleville", SEVEN AUGUST a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

En conséquence :
-de condamner SEVEN AUGUST à lui payer la somme provisionnelle de 20 000 euros au titre du préjudice commercial subi du fait des actes de contrefaçon du droit d'auteur et 20 000 euros au titre du préjudice commercial subi du fait des actes de contrefaçon des dessins et modèles communautaires non enregistrés, à parfaire ;
-de lui ordonner de lui communiquer sous astreinte de 500 € par jour de retard, tous documents ou informations, certifiés par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, utiles pour déterminer l'origine et l'étendue de la contrefaçon pour chacun des produits contrefaisants.

A titre subsidiaire :
-de condamner SEVEN AUGUST à lui payer la somme forfaitaire de 60 000 euros en réparation du préjudice commercial subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;
-de la condamner à lui payer la somme forfaitaire de 60 000 euros en réparation du préjudice commercial subi du fait des actes de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés ;

Et, en tout état de cause :
-de la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des actes de contrefaçon de droit d'auteur et des dessins et modèles communautaires non enregistrés ;
-de la condamner à lui payer la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;
-de lui faire interdiction de fabriquer, faire fabriquer, détenir, promouvoir, offrir à la vente et vendre en France et sur le territoire de l'Union européenne, les modèles litigieux comme portant atteinte à ses droits, sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;
-de lui faire interdiction de reproduire les caractéristiques essentielles des présentations vidéo diffusées par ROSAE PARIS ;
-de lui ordonner de mettre en œuvre les moyens nécessaires au rappel des produits litigieux, et de lui en rapporter la preuve, sous astreinte de trois mille euros par jour de retard ;
-de lui ordonner la suppression de la vidéo "Live Dolce Vita" publiée sur son compte Instagram ;
-de lui ordonner la destruction des produits contrefaisants en stock et rappelés, dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement à intervenir et d'en justifier auprès d'elle dans le mois suivant, le tribunal judiciaire de Paris se réservant la liquidation des astreintes ordonnées ;
-d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues, à son choix et aux frais exclusifs de la société SEVEN AUGUST, ainsi que pendant trois mois sur la page d'accueil du site Internet www.sevenaugust.fr;
-de condamner SEVEN AUGUST au paiement de la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître de Lalun, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

6.A l'appui de ses demandes, ROSAE PARIS soutient que chacun des vêtements " Fraisier", "Darcy"," Esterel", "Erlanger", "Dunes" et "Falguière" présente une originalité, se traduisant notamment pour chacun d'eux par la combinaison d'éléments de style opposés ; que les antériorités sur lesquelles se fonde SEVEN AUGUST sont inopérantes ; qu'en reprenant les mêmes agencements de formes, de matières, et de couleurs, SEVEN AUGUST commet des actes de contrefaçon de ses droits d'auteur ; que les modèles de vêtements de ROSAE PARIS sont protégeables au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés, eu égard à leur date de divulgation ; qu'ils sont nouveaux et présentent un caractère individuel. En outre, SEVEN AUGUST aurait commis des agissements fautifs à son préjudice, distincts des actes de contrefaçon, en cherchant à créer une confusion, notamment par la création d'un effet de gamme, eu égard au nombre de modèles visés, à leurs coloris, et au caractère systématique et répétitif de la reproduction. Elle fait valoir que les deux entreprises sont manifestement en concurrence, que les vêtements litigieux ont été mis en vente à la même période et sont destinés à la même clientèle ; que la similitude des produits ne peut être considérée comme fortuite ; qu'en outre, les vêtements SEVEN AUGUST sont moins chers et que sa vidéo promotionnelle, qui reprend les mêmes codes de présentation, a été publiée quelques jours seulement après la sienne. Les actes de parasitisme seraient caractérisés par la reprise de vêtements emblématiques de la marque ROSAE PARIS.

7.En réponse et aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 21 décembre 2022, la société SEVEN AUGUST a résisté aux demandes de la société ROSAE PARIS et a sollicité le débouté de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, de la condamner au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

8.SEVEN AUGUST soutient en réponse que les caractéristiques sur lesquelles ROSAE PARIS revendiquent des droits d'auteur appartiennent au fonds commun de l'habillement ; que ces modèles ne peuvent être considérés comme nouveaux et présentant un caractère individuel en tant que dessins et modèles non enregistrés ; que notamment, il existe pour plusieurs d'entre eux des antériorités.
Elle fait valoir que ses propres pièces ne constituent pas des copies de celles créées et commercialisées par ROSAE PARIS ; que ses propres produits reflètent les choix et les agencements de leur créatrice ; que les similitudes existantes sont liées aux emprunts communs des deux sociétés au domaine public ; que l'impression visuelle d'ensemble n'est pas identique.
Elle soutient que les demandes adverses formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme sont fondées sur des faits strictement identiques aux demandes liées à la contrefaçon, et par conséquent irrecevables ; que la vente de produits basiques et courants ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme ; enfin que ROSAE PARIS ne justifie d'aucun préjudice.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2023.


MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur la contrefaçon de dessins et modèles

9.Selon les articles 4 et 6 du Règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, la protection d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, est assurée s'il est nouveau, c'est-à-dire qu'aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public antérieurement ; et présente un caractère individuel, c'est-à-dire que l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public antérieurement.

10.Selon son article 5, " (...) 2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ".

11. Selon son article 10 " 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. / 2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ".

12.Selon l'article 11, le dessin ou modèle communautaire non enregistré est protégé pendant une période de trois ans à compter de la date à laquelle il a été divulgué au public pour la première fois au sein de l'Union européenne.

13.Selon l'article 19, " 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. / 2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé. L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire (…) ".

14.L'utilisateur averti est défini par la jurisprudence de l'Union européenne comme étant doté non pas d'une attention moyenne mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (cf CJUE, 20 octobre 2011 - PepsiCo Inc. c/ Grupo Promer Mon Graphic SA et OHMI, C-281/10 point 53).

15.Les modèles Fraisier (ROSAE PARIS) et Siha (SEVEN AUGUST)
Modèle Mme [I] 2017 Fraisier

Mme [I], fondatrice de SEVEN AUGUST établit avoir créé et diffusé un modèle équivalent en 2017, alors qu'elle exerçait en tant qu'autoentrepreneur. Il s'agit d'une blouse comportant des rajouts de tissu aux épaules et confectionnée dans un tissu fin, de couleur blanc cassé. Or, le modèle "Fraisier", qui comporte les mêmes caractéristiques, produit une impression générale identique à ce modèle antérieur. En conséquence, le modèle "Fraisier "ne peut prétendre à la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés, faute de caractère propre et les demandes en contrefaçon de ce modèles ne sont pas fondées.

16. Les modèles Darcy (ROSAE PARIS) et Tosca (SEVEN AUGUST)
Darcy Tosca

SEVEN AUGUST produit une communication sur Instagram, datée du 5 juin 2018, présentant un modèle de blouse blanche à volant à hauteur des épaules et sans manches (pièce 12). Ce modèle ne comprend qu'un volant aux épaules et ne peut être regardé comme une antériorité. Il en est de même du modèle antérieur de blouse pour enfant de surcroît brodé (pièce 10). Le modèle "Darcy" bénéficie donc de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Toutefois, le modèle "Tosca", en raison de l'amplitude des volants, des fronces de leurs plis, de leur longueur, de leur placement sur les épaules, ne produit pas la même impression générale d'ensemble que le modèle "Darcy" de sorte que la contrefaçon alléguée n'est pas démontrée.

17.Les modèles Esterel (ROSAE PARIS), Trani et Tim (SEVEN AUGUST)
Esterel Mango

SEVEN AUGUST établit que la société MANGO a diffusé un modèle, également de couleur noire, identique par sa forme et par l'échancrure sous les bras (publicité dans la presse en février/ mars 2020) au modèle "Esterel" de ROSAE PARIS et ce, antérieurement à la sortie de ce modèle, ce que ROSAE PARIS ne conteste pas, se bornant à soutenir que la qualité de la photographie produite est insuffisante pour apprécier l'existence de similitudes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Compte tenu de l'antériorité que constitue le modèle MANGO, il convient de déduire de ces éléments que le modèle "Esterel" n'apparaît pas nouveau et est par conséquent, nul.

18.Les modèles Erlanger (ROSAE PARIS) et Campbell (SEVEN AUGUST)
Erlanger Campbell

Le modèle "Erlanger" est différent des modèles Isabel Marant présentés par la défenderesse comme pouvant constituer des antériorités (pièces 20 à 22), dans la mesure où ces modèles sont une robe mini plus longue que le modèle Erlanger, un pull en laine et non en molleton, l'épaisseur de la matière ne donnant pas le même effet visuel ainsi qu'un pull en tricot à torsades, ne donnant pas le même effet matière. Pour ces trois modèles Isabel Marant, les manches sont de bien plus grande ampleur que sur le modèle "Erlanger". Le modèle "Erlanger" bénéficie donc de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés.

S'agissant du modèle "Campbell" de SEVEN AUGUST présenté comme une contrefaçon du modèle "Erlanger "de ROSAE PARIS, il convient de relever que le bas de ses manches présente une différence de largeur. Le rajout de tissu sur les épaules structure le modèle "Erlanger" tandis qu'il est placé en dessous des épaules sur le modèle "Campbell". Ces spécificités ne sont pas mineures pour l'utilisateur averti, en ce qu'elles donnent une impression visuelle d'ensemble différente à chacun des vêtements. Il convient d'en déduire que la contrefaçon alléguée n'est pas constituée.

19.Les modèles "Dunes" (ROSAE PARIS) et "Marta" (SEVEN AUGUST)
Le modèle de sweatshirt "Dunes" est différent de celui présenté comme une antériorité par SEVEN AUGUST, à savoir un modèle Paco Rabanne (2018, pièce 10), qui est celui d'un pull près du corps.
Le modèle "Dunes" bénéficie donc de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Toutefois, en second lieu, l'impression visuelle globale produite par le modèle "Marta" n'est pas la même que celle produite par le modèle" Dunes". En effet, les manches ont manifestement une forme différente, moins ample et non arrondie, comme sur le modèle "Dunes". Le bas du buste de ce modèle n'est pas froncé, comme l'est celui de "Dunes". Les boutons-pressions communs aux deux modèles se retrouvent dans d'autres marques et au surplus l'emplacement des boutons sur l'épaule est différent, le dernier bouton du modèle "Marta" étant décalé. Les différences constatées ne peuvent être regardées comme insignifiantes pour l'utilisateur averti. Dès lors, la contrefaçon alléguée du modèle "Dunes" n'est pas constituée.

20.Les modèles Falguière (ROSAE PARIS) et Martin (SEVEN AUGUST)














Il ne peut être considéré comme le soutient SEVEN AUGUST que le modèle de robe mini Isabel Marant (cf point 17), constitue une antériorité, dès lors qu'il reflète une impression visuelle différente, en étant plus long que le modèle "Falguière". Ce modèle bénéficie donc de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Le modèle "Martin" de SEVEN AUGUST, présente pour l'utilisateur averti des différences notables avec le modèle "Falguière" à savoir des rajouts de tissus plaqués sur les épaules et non distincts, ainsi qu'une absence de manches bouffantes, un tissage différent (le pull de ROSAE PARIS est côtelé), et procure donc une impression visuelle différente de celle produite par le modèle "Falguière". Il n'y a donc pas de contrefaçon du modèle "Falguière".

21.Il ressort de l'ensemble de ces éléments, que les demandes de ROSAE PARIS fondées sur la contrefaçon de ses modèles"Fraisier", Darcy", "Esterel", "Erlanger", "Dunes", et "Falguière", doivent être rejetées.

II. Sur la contrefaçon de droits d'auteur

22.Selon l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, " l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ".

23.Selon son article L.112-2 : " sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : […] 14° Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure ".

24.Selon son article L.122-4, " toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ".

25.En application de la directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, une oeuvre implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).

26.Il appartient à celui qui revendique une protection au titre du droit d'auteur dont l'originalité est contestée de préciser en quoi l'œuvre revendiquée porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

27.En l'espèce, selon ROSAE PARIS, la blouse "Fraisier" comporterait des éléments d'inspiration classique (blouse, avec un col rond ras du cou et des manches longues) et ultra-moderne (rajout de tissu depuis les épaules jusqu'aux flancs, coupe très structurée de la blouse), contraste accentué par le choix d'un tissu vaporeux (gaze de coton).

28.La blouse "Darcy" se démarque selon ROSAE PARIS par la combinaison " d'un esprit minimaliste et classique, caractérisé par une coupe trapèze, une couleur unie et un col rond ras du cou, avec un esprit romantique (…) qui se traduit par la présence d'amples doubles volants sur les épaules ".

29.Le top "Esterel" relèverait également d'un esprit minimaliste et classique (coupe droite et basique) contrastant avec un esprit ultra-moderne (volants très structurés, découpe sous les bras).

30.Le sweatshirt "Erlanger" combinerait un esprit sportwear (dont matière molleton épais, manches longues, coupe oversize) contrastant avec des " détails féminins délicats et des éléments ultra-modernes saillants " (fronces à l'extrémité des manches, coupe très structurée et couture, épaules très marquées).

31.Il en serait de même du sweatshirt "Dunes" (de style sportswear : matière molleton, coupe oversize, épaules tombantes, encolure, ras du cou, empiècements à l'extrémité des manches et du buste ; et des détails "délicats et couture" : boutons pressions dorés positionnés sur l'épaule, empiècement au niveau du col, fronces en bas du buste).

32.Le pull "Falguière" se caractériserait par la combinaison d'un style "doudou" (coupe oversize, mailles visibles, matière (laine mérinos et cachemire), et d'un esprit structuré (tissu surajouté au niveau des épaules jusqu'aux flancs) détonnant avec l'orientation désordonnée des mailles.

33.Toutefois, et en premier lieu, il sera rappelé que les détails cités (épaules structurées, ou volants sur les épaules, fronces, boutons pressions, coupe oversize, matières employées -laine, molleton pour les pulls et sweatshirts-, les formes choisies (manches longues et bouffantes des blouses) ou a fortiori, la couleur unie, appartiennent au fonds commun de l'habillement.

34.En second lieu, l'originalité alléguée est décrite comme résultant de la combinaison de ces éléments et notamment du contraste entre deux esprits opposés que ROSAE PARIS aurait eu l'idée d'associer (romantique et " working girl " ; sportswear et couture ; classique et romantique) pour chacun des vêtements. Toutefois, l'idée selon laquelle deux styles a priori opposés ont été associés, préside à chacun des modèles visés et présente un caractère général, qui ne suffit pas à caractériser l'originalité de chacun d'eux en traduisant la personnalité de leur auteur.

35.Dès lors, ROSAE PARIS sera déboutée de ses demandes fondées sur le droits d’auteur en dommages et intérêts et formées au titre du droit d'information.

III. Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme

36.Selon l'article 1240 du code civil, " tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".

37.La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s'approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d'un savoir-faire, de travaux ou d'investissements ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise.

38. Il incombe à la demanderesse de rapporter la preuve d'un agissement fautif de la défenderesse commis à son préjudice par la création d'un risque de confusion et / ou la captation des investissements consentis pour développer un produit.

39.En l'espèce, l'effet de gamme allégué n'est pas constitué, eu égard au nombre réduit de modèles litigieux, (sept), par rapport au nombre de modèles produits par chacune des marques (plusieurs centaines selon SEVEN AUGUST, ce qui n'est pas contesté) chacun décliné en deux ou trois coloris d'usage courant (blanc, bleu, noir). En outre, le caractère systématique et répétitif de la reproduction alléguée, n'est pas établi. Il n'est pas non plus établi qu'un risque de confusion résulterait de la proximité dans le temps de la sortie de ces modèles (dès lors qu'il s'agit de collections saisonnières). Le fait que les vêtements SEVEN AUGUST soient vendus à un prix inférieur (de quelques dizaines d'euros) à celui des vêtements ROSAE PARIS n'est pas de nature à infirmer cette analyse.

40. S'agissant de la vidéo promotionnelle de SEVEN AUGUST (pièce 6.3 de ROSAE PARIS), elle présente des similitudes avec la vidéo proposée par ROSAE PARIS (pièce 3.6 de ROSAE PARIS). Toutefois, le fait pour un créateur de mode, de présenter les modèles de sa collection eux-mêmes disposés sur un portant en arrière-plan est banal, et fait partie des tendances actuelles. A cet égard, SEVEN AUGUST fait référence dans ses écritures à des vidéos diffusées antérieurement à celle de ROSAE PARIS, sur Instagram et Youtube, reprenant la même mise en scène. Le fait de présenter lors d'une promenade à [Localité 5], les vêtements de la collection d'une marque française, est également relativement courant.

41. Il ne peut être soutenu que la société SEVEN AUGUST s'est placée dans le sillage de ROSAE PARIS par les dates de sortie de sa collection et de sa vidéo, ces productions étant nécessairement préparées en amont selon une périodicité saisonnière (printemps /été - automne/hiver) traditionnellement adoptée par la plupart des marques de vêtements. En outre, ROSAE PARIS n'expose pas les investissements dont aurait bénéficié SEVEN AUGUST, grâce à elle.

42.Il n'est pas non plus établi que SEVEN AUGUST aurait profité de sa notoriété, s'agissant de deux sociétés très récemment fondées en 2018 pour SEVEN AUGUST et 2019 pour ROSAE PARIS, laquelle ne justifie ni d'un ancrage plus important, ni d'une notoriété plus grande.

43.Dès lors, ROSAE PARIS sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.

IV. Sur les demandes annexes

44.ROSAE PARIS, partie perdante en l'espèce, sera condamnée au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.


PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

Déboute la société ROSAE PARIS de l'intégralité de ses demandes ;

Condamne la société ROSAE PARIS à payer à la société SEVEN AUGUST la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société ROSAE PARIS aux dépens.


Fait et jugé à Paris le 05 Avril 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC

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