19 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-85.642

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01597

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Détention provisoire - Juge des libertés et de la détention - Débat contradictoire - Phase préparatoire - Principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat - Droit de s'entretenir avec un avocat - Mise en oeuvre - Permis de communiquer - Sollicitation par écrit - Nécessité

Il se déduit des termes mêmes de l'article D. 32-1-2 du code de procédure pénale que le permis de communiquer doit être sollicité par écrit, afin de donner date certaine à cette demande

Texte de la décision

N° Q 23-85.642 F-B

N° 01597


RB5
19 DÉCEMBRE 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 DÉCEMBRE 2023



M. [V] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 22 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V] [R], et les conclusions de Mme Djemni-Wagner, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [V] [R] a été mis en examen le 3 juin 2023 des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs et provisoirement incarcéré dans l'attente d'un débat contradictoire différé fixé au 7 juin.

3. Lors du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention a constaté qu'aucun permis de communiquer n'avait été délivré aux avocats de M. [R], bien qu'ils l'aient sollicité, pour l'un, par courrier électronique le 5 juin, pour l'autre, oralement, au greffe du juge d'instruction.

4. Ce magistrat a renvoyé le débat au lendemain, 8 juin, à 14 heures et les permis sollicités ont été immédiatement transmis aux avocats par voie électronique.

5. Dans la matinée du 8 juin, Mme [F], avocate, s'est rendue au parloir de l'établissement pénitentiaire afin de rencontrer son client, mais en raison d'un incident au centre pénitentiaire, n'a pu communiquer avec lui.

6. Elle s'est entretenue avec M. [R] au tribunal entre 14 heures et 14 heures 10.

7. A l'issue du débat contradictoire, qui a commencé à 14 heures 15, où les avocats de M. [R], ayant invoqué leurs contingences professionnelles, n'étaient pas présents, le juge des libertés et de la détention a placé l'intéressé en détention provisoire.

8. M. [R] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de prononcer l'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. [R], et a confirmé cette ordonnance, alors :

« 1°/ que lorsqu'en application de l'article 145, alinéas 7 et 8, du code de procédure pénale, une personne mise en examen est provisoirement incarcérée dans l'attente du débat contradictoire différé devant le juge des libertés et de la détention, elle doit être mise en mesure de communiquer avec son avocat pendant cet intervalle afin de préparer sa défense, à peine de nullité du débat et de l'ordonnance rendue à son issue ; tel n'est pas le cas lorsque le juge d'instruction ne délivre pas en temps utile un permis de communiquer à son avocat, propre à assurer un exercice effectif de ces droits, ou que ce dernier établit l'existence de circonstances insurmontables ayant fait obstacle à leur entretien au parloir de l'établissement pénitentiaire ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que, saisi aux fins de placer M. [V] [R] en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention a rendu, le samedi 3 juin 2023, une ordonnance d'incarcération provisoire différant le débat contradictoire au mercredi 7 juin 2023 à 15 heures ; qu'à cette date, aucun permis de communiquer n'ayant été délivré aux avocats de M. [R], le débat a été renvoyé au lendemain et les permis sollicités ont été délivrés dans la foulée ; que pour dire que la délivrance de ces permis n'était « pas tardive » (arrêt, p. 13, avant-dernier §), l'arrêt énonce que la demande de permis faite par Me [G] le 5 juin n'apparaît dans son courrier électronique qu'en « seconde position, après une demande de copie du dossier » et n'est pas reprise dans « l'objet » de ce courrier (arrêt, p. 13, §9), et que celle faite par Me [F] directement au cabinet du juge d'instruction le 6 juin n'a pas été formulée pas écrit (arrêt, p. 13, §12) ; qu'en soumettant ainsi la demande de permis de communiquer à un formalisme que le code de procédure pénale ne prévoit pas, la chambre de l'instruction a ajouté à la loi et a violé le texte susvisé, ainsi que les articles R. 313-15 du code pénitentiaire, et 6 §3 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ qu'en statuant de la sorte, quand de surcroît le nouvel article D. 32-1-2 du code de procédure pénale, applicable en l'espèce, fait obligation au juge d'instruction qui n'a pas déjà délivré d'office le permis de communiquer, de le faire au plus tard le lendemain de la demande, la chambre de l'instruction a en outre violé cette disposition ;

3°/ qu'en tout état de cause, même lorsque le permis de communiquer est délivré en temps utile, les droits de la défense ne sont pas assurés lorsqu'en raison de circonstances insurmontables, la personne mise en examen n'a pu s'entretenir avec son avocat avant le débat différé ; que tel est le cas lorsqu'elle n'a pu le rencontrer au parloir en raison d'une carence de l'administration pénitentiaire ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate qu'un « blocage des mouvements en détention suite à la survenue d'un incident au quartier arrivants » a empêché Me [F] « le 8 juin 2023 au matin » (arrêt, p. 14, §6) de rencontrer son client au parloir du centre pénitentiaire des [1], auprès duquel elle avait pris rendez-vous en urgence en raison de la délivrance tardive du permis de communiquer et de la reprogrammation du débat différé la veille pour le lendemain ; qu'en considérant néanmoins que « la procédure » n'était « affectée d'aucune irrégularité » (arrêt, p. 14, §8), la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évinçait que les droits de la défense n'avaient pas été assurés, en violation des dispositions susvisées ;

4°/ qu'à cet égard, le fait que Me [F] ait brièvement entraperçu M. [R] dans les geôles du palais de justice de Marseille peu avant la tenue du débat contradictoire (arrêt, p. 12, §3) est insuffisante pour pallier cette entrave aux droits de la défense ; qu'en effet, un véritable entretien suppose que la personne mise en examen et son avocat disposent du temps nécessaire et d'un lieu confidentiel pour leurs échanges ; en se fondant néanmoins sur cette circonstance pour dire la procédure régulière, la chambre de l'instruction a de nouveau violé les droits de la défense, ainsi que les articles 145 du code de procédure pénale et 6 §3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

10. Pour dire qu'il n'y a pas eu violation des droits de la défense en raison d'une délivrance tardive des permis de communiquer, l'arrêt attaqué relève que, sollicités les 5 et 6 juin, ils ont été délivrés aux avocats de M. [R] le 7 juin à 15 heures 22 et 15 heures 30.

11. Les juges ajoutent que la demande de permis faite par M. [G], avocat, le 5 juin, est ambigüe en ce qu'elle n'apparaît dans son courrier électronique qu'en seconde position, après une demande de copie du dossier et qu'elle n'est pas reprise dans l'objet de ce courrier, et que la demande formulée par Mme [F], autre avocat, directement au cabinet du juge d'instruction, le 6 juin, n'a pas été formulée par écrit.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

13. D'une part, c'est à juste titre que la chambre de l'instruction a retenu que la demande de M. [G] transmise par messagerie électronique, le 5 juin 2023, était irrégulière en ce qu'elle ne mentionnait pas dans son objet la délivrance d'un permis de communiquer, de sorte qu'elle avait un caractère ambigu.

14. D'autre part, il se déduit des termes mêmes de l'article D. 32-1-2 du code de procédure pénale que le permis de communiquer doit être sollicité par écrit, afin de donner date certaine à cette demande. Dès lors, la demande de permis de communiquer formée oralement par Mme [F] était également irrégulière.

15. Les griefs doivent en conséquence être écartés.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

16. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel les droits de la défense n'auraient pas été assurés, faute pour l'avocat d'avoir pu s'entretenir avec son client avant le débat différé, l'arrêt attaqué énonce que le juge des libertés et de la détention a renvoyé le débat contradictoire, initialement fixé au 7 juin, au lendemain à 14 heures afin que les avocats puissent s'entretenir avec leur client.

17. Les juges précisent que, s'il est évidemment regrettable qu'un blocage des mouvements en détention en raison de la survenue d'un incident au quartier arrivants ait empêché Mme [F], avocate, de rencontrer M. [R] à l'heure convenue, dans la matinée du 8 juin 2023, au parloir avocat du centre pénitentiaire, les avocats de M. [R] ont néanmoins eu la possibilité de s'entretenir confidentiellement avec lui au palais de justice avant le débat contradictoire, et ce tant le 7 juin, date à laquelle ils indiquent avoir été disponibles, que le 8 juin, date à laquelle Mme [F] s'est entretenue avec M. [R] avant le débat contradictoire à l'issue duquel l'ordonnance critiquée a été délivrée.

18. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

19. En premier lieu, dans son courrier adressé au juge des libertés et de la détention, le 8 juin à 12 heures 07, Mme [F] n'a pas fait état d'un incident l'ayant empêchée de rencontrer son client dans la matinée au centre pénitentiaire, expliquant simplement qu'elle ne pourrait assister au débat fixé l'après-midi en raison d'autres obligations professionnelles.

20. En deuxième lieu, il ressort d'un rapport des services de police que Mme [F] a pu s'entretenir avec M. [R] le 8 juin, date de renvoi du débat, entre 14 heures et 14 heures 10, dans le local prévu à cet effet (D 59), avant le début du débat différé, auquel elle n'a pas assisté.

21. Enfin, il était loisible à l'avocat de M. [R], s'il estimait indispensable de s'entretenir plus longuement avec son client, de demander, à cet effet, un report du débat contradictoire de quelques heures.

22. Ainsi, le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-trois.

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