23 août 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-84.608

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01065

Titres et sommaires

MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Exécution - Conditions d'exécution - Conditions liées à l'infraction - Contrôle de la double incrimination - Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 - Contrôle facultatif - Cas

En l'absence de moyen tiré du motif facultatif de refus de remise prévu à l'article 695-23, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, les juges ne sont pas tenus de rechercher d'office si les faits objet du mandat d'arrêt européen constituent une infraction au regard de la loi française

Texte de la décision

N° R 23-84.608 F-B

N° 01065


ODVS
23 AOÛT 2023


CASSATION PARTIELLE


Mme LABROUSSE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 AOÛT 2023



M. [W] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 13 juillet 2023, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires chypriotes en exécution d'un mandat d'arrêt européen.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [W] [R], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 août 2023 où étaient présents Mme Labrousse, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. de Lamy, Sottet, Laurent, conseillers de la chambre, Mmes Guerrini, Chafaï, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 2 août 2022, un mandat d'arrêt européen a été émis par les autorités judiciaires de la République de Chypre à l'encontre d'une personne dénommée M. [R] [W], sur la base de trois mandats d'arrêt nationaux délivrés les 5 juin, 21 juin et 4 juillet 2022, en vue de l'exercice de poursuites pénales pour des infractions qualifiées par le droit chypriote de complot en vue de commettre diverses infractions, usurpation d'identité, obtention d'une inscription par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, blanchiment d'argent et diverses infractions à la législation sur les étrangers, commises entre courant 2021 et le 3 juillet 2022.

3. M. [W] [R], interpellé sur le territoire français, s'est vu notifier ce mandat d'arrêt européen, qu'il a reconnu s'appliquer à sa personne. Il a refusé sa remise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche


4. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la remise de M. [R] aux autorités judiciaires chypriotes en exécution du mandat d'arrêt européen émis à son encontre le 2 août 2022, alors :

« 2°/ que lorsque la remise est demandée pour la poursuite de plusieurs faits distincts constituant autant d'infractions au regard de la loi du pays d'émission, et sauf à ce qu'ils soient punis d'une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à trois ans dans l'Etat d'émission et entrent dans l'une des catégories d'infractions prévues par l'article 694-32 du code de procédure pénale, il appartient à la chambre de l'instruction, avant d'accorder la remise pour ceux-ci, de vérifier que chacun de ces faits constitue aussi une infraction au regard de la loi française ; que pour ordonner la remise de M. [R] aux autorités chypriotes pour l'ensemble des faits poursuivis, la chambre de l'instruction s'est bornée à relever que « certains faits » entrent dans l'une des trente-deux catégories d'infractions énumérées par les articles 695-23 et 694-32 du code de procédure pénale ; qu'en statuant ainsi sans s'interroger, comme elle le devait, sur l'incrimination par la loi française de chacun des faits pour lesquelles la remise était demandée, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-23 du code de procédure pénale ;

3°/ que le mandat d'arrêt européen émis par le tribunal de district de Nicosie le 2 août 2022 mentionnait qu'il se fondait sur trois mandats nationaux respectivement en date des 5 juin, 21 juin et 4 juillet 2022 ; qu'aucun de ces mandats ne faisait état de « financement de terrorisme » ou encore d' « obtention de données d'enregistrement sur un faux prétexte » ; qu'en énonçant que la remise de M. [R] aurait été demandée pour l'exécution de quatre mandats nationaux, dont l'un en date du 2 août 2022, ces quatre mandats visant chacun une infraction de « blanchiment de fonds et financement du terrorisme » ainsi qu'un délit d' « obtention de données d'enregistrement etc sur un faux prétexte », et en ordonnant la remise « aux fins de poursuites pénales fondées sur quatre mandats d'arrêts nationaux délivrés par le tribunal de district de Nicosie les 5 juin 2022, 21 juin 2022, 4 juillet 2022 et 2 août 2022 », la chambre de l'instruction, qui a dénaturé le mandat d'arrêt européen dont elle était saisie, s'est prononcée par des motifs contradictoires au regard des éléments du dossier, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

6. Pour ordonner la remise de M. [R] aux autorités judiciaires chypriotes en exécution du mandat d'arrêt européen du 2 août 2022, l'arrêt attaqué énonce que certains des faits visés relèvent de l'une des trente-deux catégories d'infractions énumérées par les articles 695-23 et 694-32 du code de procédure pénale.

7. Les juges retiennent qu'aucune des causes obligatoires de refus de remise prévues par l'article 695-22 du code de procédure pénale, ni aucune des causes facultatives de refus prévues par l'article 695-24 du même code, ne sont caractérisées.

8. Ils ajoutent qu'il n'est ni allégué ni justifié que la remise de l'intéressé aux autorités judiciaires chypriotes serait de nature à porter atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale.

9. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

10. En effet, en l'absence de moyen tiré du motif facultatif de refus de remise prévu par l'article 695-23, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, les juges ne sont pas tenus de rechercher d'office si les faits objet du mandat d'arrêt européen constituent une infraction au regard de la loi française.

11. Dès lors, le grief doit être écarté.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

12. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

13. Pour ordonner la remise de M. [R] aux autorités judiciaires de la République de Chypre aux fins de poursuites pénales pour les faits visés par quatre mandats d'arrêt nationaux en date des 5 juin, 21 juin, 4 juillet et 2 août 2022, l'arrêt attaqué, après avoir cité les trois premiers, énonce que le mandat d'arrêt européen vise également un mandat d'arrêt du tribunal de district de Nicosie en date du 2 août 2022, émis à l'encontre de l'intéressé pour des faits qualifiés, en droit chypriote, d'entente en vue de la commission d'une infraction majeure, entente en vue de la commission d'un délit, usurpation d'identité, obtention de données d'enregistrement sous de faux prétextes, séjour illégal, emploi illégal d'un ressortissant étranger, aide d'un ressortissant étranger motivée par l'appât du gain, aide à obtenir l'asile pour un immigrant tout en ayant de bonnes raisons de penser qu'il agissait en infraction à la législation sur les étrangers et l'immigration, aide à l'entrée et au franchissement illégal et au séjour illégal, blanchiment de fonds et financement du terrorisme.

14. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte des pièces de la procédure que le mandat d'arrêt européen du 2 août 2022 ne sollicite la remise de M. [R] qu'en vue de l'exercice de poursuites pénales pour les infractions visées par trois mandats d'arrêt nationaux en date des 5 juin, 21 juin et 4 juillet 2022, sans aucune mention d'un quatrième mandat d'arrêt national en date du 2 août 2022, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.







Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant ordonné la remise aux fins de poursuites pénales fondées sur le mandat d'arrêt national délivré le 2 août 2022 par le tribunal de district de Nicosie. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 13 juillet 2023, mais en ses seules dispositions ayant ordonné la remise aux fins de poursuites pénales fondées sur le mandat d'arrêt national délivré le 2 août 2022 par le tribunal de district de Nicosie, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois août deux mille vingt-trois.

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