19 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.994

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00433

Titres et sommaires

PEINES - Peines complémentaires - Confiscation - Produit de l'infraction - Confiscation en valeur - Motivation - Nécessité

La dérogation au principe de motivation prévue par les articles 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale pour la peine de confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction étant d'interprétation stricte, la confiscation du produit de l'infraction, lorsqu'elle est ordonnée en valeur, doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle


PEINES - Peines complémentaires - Confiscation - Produit de l'infraction - Confiscation en valeur - Respect de la vie privée et familiale - Contrôle de proportionnalité - Nécessité

Il se déduit des articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention que le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur du produit de l'infraction doit contrôler le caractère proportionné de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits, lorsque cette garantie est invoquée

Texte de la décision

N° R 22-82.994 FS-B

N° 00433


ODVS
19 AVRIL 2023


CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 AVRIL 2023



M. [E] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 2021, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à vingt-quatre mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 50 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer, dix ans d'interdiction d'exercer une fonction publique, cinq ans d'inéligibilité et a ordonné une mesure de confiscation.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [E] [K], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [E] [K] du chef d'abus de biens sociaux à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer, cinq ans d'interdiction d'exercer une fonction publique et cinq ans d'inéligibilité.

3. M. [K] a fait appel de la décision, le ministère public relevant appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches


4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation du bien immeuble de M. [K] sis sur la commune de [Localité 3] au [Adresse 1], alors :

« 3°/ que si la confiscation rejoint l'intérêt général prévu à l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales permettant de porter atteinte au droit de propriété, c'est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis ; qu'en infirmant le jugement déféré et en prononçant la confiscation de l'immeuble appartenant à monsieur [K], déjà lourdement condamné, cependant qu'il a été établi que l'immeuble avait été acquis au moyen d'un prêt, à une date antérieure à la période de prévention, la cour d'appel a prononcé une peine disproportionnée et violé les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 131-21 et 132-1 du code pénal ;


4°/ que le juge, qui ordonne une mesure de confiscation, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit à une vie privée et familiale de l'intéressé lorsqu'une telle atteinte est invoquée ; que monsieur [K] faisait valoir qu'il supportait des charges significatives qui étaient les mêmes depuis 2018 et que sa fille, âgée de 20 ans, vivait chez lui depuis la séparation de ses parents en 2014, qu'il avait toujours assumé seul son quotidien et l'intégralité des frais la concernant et qu'elle demeurait au domicile paternel lorsqu'elle n'était pas à l'université, ce dont il s'évinçait que la confiscation de son domicile familial porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété ainsi qu'à son droit à une vie privée et familiale (conclusions p.10) ; qu'en se fondant, pour écarter le caractère disproportionné de la confiscation de l'immeuble, sur la circonstance que si la fille du couple était domiciliée chez son père, il n'y avait pas d'atteinte à la vie privée et familiale, car elle pouvait être hébergée par sa mère, séparé de son mari, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant et impropre à écarter l'atteinte à la vie privée et familiale, a privé sa décision de base légale au regard des articles 131-21, 132-1 du code pénal et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

6. Il ressort de l'article 131-21, alinéas 3 et 9, que la confiscation peut porter sur les biens qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction, et qu'elle peut être ordonnée en valeur sur tous biens du condamné.

7. Il résulte des articles 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, sauf s'il s'agit de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction.

8. Cette dérogation au principe de motivation des peines étant d'interprétation stricte, la confiscation du produit de l'infraction, lorsqu'elle est ordonnée en valeur, doit être motivée au regard des critères précités.

9. En l'espèce, pour prononcer la peine de confiscation du bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 3], dont le prévenu est propriétaire, l'arrêt attaqué énonce, après avoir constaté que le bien immobilier saisi est confiscable au titre de l'article 131-21, alinéas 3, 5 et 9, du code pénal dès lors que le produit des infractions dont le prévenu a seul bénéficié est supérieur à la valeur de l'immeuble saisi, que les faits d'abus de bien sociaux ont été commis dans le cadre d'une activité financée par les deniers publics par deux dirigeants sociaux, l'un apportant son aide et son assistance à l'autre, et ce sur des sommes d'importance.

10. Les juges relèvent que ces comportements ont porté une atteinte particulièrement grave à l'ordre public économique, ayant en l'espèce conduit au placement en redressement judiciaire de la société [2], société de services d'aide à la personne qui employait 633 personnes au 31 décembre 2016, dont I'activité est financée à 90 % par des fonds publics provenant du conseil départemental, et dont le passif déclaré était essentiellement constitué de dettes fiscales et sociales.

11. Ils ajoutent que les actes commis par les prévenus relèvent d'un système organisé au détriment notamment de la société [2], et que ceux-ci ont largement profité, directement ou indirectement via des sociétés dans lesquelles ils étaient associés, du pillage de la trésorerie de l'entreprise, entretenant notamment un train de vie fastueux tandis que les dettes fiscales et sociales s'accumulaient, mettant en péril la pérennité de l'entreprise et l'emploi de salariés.

12. Ils font état, au titre des éléments de personnalité, de ce que M. [K] n'a jamais été condamné, qu'il perçoit un salaire mensuel de 6 000 euros ainsi qu'une prime variable de 1 à 2 % sur le chiffre d'affaires annuel, représentant 149 922 euros pour 2015 et 156 650 euros pour 2016, qu'il n'aurait cependant pas reçue, qu'il rembourserait un emprunt de 1 700 euros, qu'il a une fille majeure à charge, qu'il est séparé de son épouse, qu'au titre de l'année 2020, il a déclaré 78 833 euros de revenus salariés avec des réductions d'impôts pour des investissements outre-mer dans le logement, et qu'il a soutenu ne pas avoir d'autres biens immobiliers que l'immeuble saisi malgré les mentions figurant dans son avis d'imposition.

13. Observant qu'il justifie d'un travail régulier et d'une vie familiale, ils concluent qu'il convient de sanctionner le comportement d'un prévenu qui n'a pas pris conscience de la gravité de ses actes tout en tenant compte de sa situation de délinquant primaire en vue de le dissuader de réitérer des comportements délictueux par le risque d'un emprisonnement tout en favorisant son amendement et sa réinsertion.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

15. En effet, il résulte des énonciations de l'arrêt que les juges se sont expliqués sur les éléments relatifs à la gravité des faits, à la personnalité de leur auteur et à sa situation personnelle pour fonder la condamnation du prévenu à la peine complémentaire de confiscation en valeur du produit de l'infraction.




Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

16. Il se déduit des articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention que le juge doit contrôler le caractère proportionné de l'atteinte portée par la confiscation au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, lorsque cette garantie est invoquée.

17. Dès lors que l'illicéité de l'origine du bien confisqué est indifférente à l'éventualité d'une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, qui dépend de l'usage qui en est fait, il ne saurait être dérogé à cette obligation lorsque le bien confisqué est le produit, en nature ou en valeur, de l'infraction poursuivie.

18. Il en résulte que le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur à titre de produit de l'infraction doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits, lorsque cette garantie est invoquée.

19. En l'espèce, pour rejeter l'argument tiré de l'atteinte disproportionnée portée à la vie privée et familiale de M. [K] par la confiscation du bien constituant son domicile, l'arrêt attaqué énonce que la résidence de la fille majeure du prévenu à son domicile est inopérante en elle-même à démontrer l'atteinte à la vie privée et familiale, étant observé que celle-ci peut également être hébergée par sa mère.

20. Les juges ajoutent que le prévenu a déclaré un revenu salarié mensuel de 6 000 euros et un investissement outre-mer, ce qui lui permet largement de financer une location.

21. Ils concluent que la confiscation de l'immeuble visé ne peut donc constituer une ingérence disproportionnée aux faits pour lesquels le prévenu a été condamné, ni au montant du produit des infractions, ni au montant des amendes prononcées, ni encore à la valeur de l'immeuble confisqué.

22. En statuant ainsi, et abstraction faite du motif inopérant, relatif à la possibilité pour la fille de M. [K] d'être hébergée chez sa mère, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.





23. En effet, les juges ont, en se fondant sur la situation personnelle du prévenu et sur la gravité concrète des faits, apprécié, par des motifs dépourvus d'insuffisance, la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée et familiale par la confiscation du bien constituant le domicile familial du condamné.

24. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [K] l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, alors :

« 1°/ que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; que l'article L. 249-1 du code de commerce limite l'interdiction de diriger ou gérer une personne morale aux entreprises commerciales, industrielles et aux sociétés commerciales ; qu'en prononçant à l'encontre de monsieur [K] l'interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler « une entreprise ou une société » pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal, ensemble l'article L.241-9 du code de commerce ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal :

26. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

27. Après avoir déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué l'a condamné, notamment, à l'interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans.

28. En prononçant ainsi une interdiction de gérer toute entreprise ou toute société, alors que les articles L. 249-1 et L. 654-5 du code de commerce, applicables au délit reproché, limitent une telle interdiction aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

29. La cassation est par conséquent encourue.


Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

30. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [K] l'interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée de dix ans, alors :

« 1°/ que, lorsqu'elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive, soit temporaire ; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans ; qu'en prononçant à l'encontre de monsieur [K] l'interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé l'article L.131-27 du code pénal, ensemble l'article 111-3 du même code ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal :

31. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

32. Après avoir déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué l'a condamné, notamment, à l'interdiction d'exercer une fonction publique pour une durée de dix ans.

33. En prononçant ainsi l'interdiction d'exercer une fonction publique pour une durée de dix ans, alors que les articles L. 249-1 du code de commerce et 131-27 du code pénal, applicables au délit reproché, limitent une telle interdiction, lorsqu'elle est temporaire, à une durée de cinq ans, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

34. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

35. La cassation, qui sera limitée aux dispositions relatives aux peines complémentaires d'interdiction de gérer et d'exercer d'une fonction publique prononcées, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 28 octobre 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines d'interdiction de gérer et d'exercer d'une fonction publique prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que l'interdiction de gérer prononcée à titre de peine complémentaire contre M. [K] est limitée à la direction ou à la gestion, directes ou indirectes, d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société commerciale ;

DIT que l'interdiction d'exercer une fonction publique prononcée à titre de peine complémentaire contre M. [K] est limitée à une durée de cinq ans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.

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