11 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.957

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100032

Titres et sommaires

CAUTIONNEMENT - Proportionnalité de l'engagement - Etablissement de crédit - Responsabilité - Action en justice - Prescription - Délai - Point de départ - Mise en demeure - Défaut de réception effective - Indifférence

Il résulte de la combinaison de l'article 1139 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 2224 du même code que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée

BANQUE - Responsabilité - Cautionnement - Caractère disproportionné de l'engagement - Action en justice - Prescription - Délai - Point de départ - Mise en demeure - Défaut de réception effective - Indifférence

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 janvier 2023




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 32 F-B

Pourvoi n° Z 21-23.957







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023

La société caisse de Crédit mutuel [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-23.957 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [O] [B], épouse [N], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la caisse de Crédit mutuel [Localité 3], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 7 septembre 2021) et les productions, la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] (la banque) a consenti à la SCI FDM (l'emprunteur) deux prêts immobiliers, garantis par Mme [B] (la caution), qui s'est portée caution solidaire.

2. Après avoir prononcé la déchéance du terme et obtenu la vente forcée de l'immeuble de l'emprunteur par un jugement d'adjudication du 17 décembre 2010, la banque a signifié à la caution un commandement de saisie-vente le 15 juin 2015.

3. Le 2 décembre 2016, la caution a assigné la banque en caducité de ses engagements et en paiement de dommages-intérêts. La banque a sollicité le paiement des sommes restant dues.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter le surplus des moyens de procédure soulevés et notamment le moyen tiré de la prescription des demandes formées à son encontre par la caution sur le fondement des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, alors « que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde ou défaut d'information exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure, ce d'autant plus lorsque ce courrier a été doublé d'une lettre simple ; qu'en énonçant que la banque, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention "Non réclamé - retour à l'envoyer", échouait à établir que le délai de prescription des demandes au titre d'un manquement au devoir de mise en garde et à l'obligation d'information, ainsi qu'au titre d'un cautionnement manifestement disproportionné, avait pu valablement courir à compter de cette date, la réception du courrier simple par la caution n'étant pas davantage établi, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1139 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 2224 du même code :

5. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure.

6. Il ressort du second que l'action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour où la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur défaillant a permis à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une disproportion de ses engagements ou de manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé, au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.

8. Pour déclarer l'action en responsabilité initiée par la caution recevable, l'arrêt relève que la banque n'est pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur » et qu'elle succombe à établir que le délai de prescription des demandes a pu valablement courir à compter de cette date.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. La banque fait grief à l'arrêt de dire prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis et de la déclarer irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la caution, alors « que l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution ; qu'en l'espèce, la caisse de Crédit mutuel d'[Localité 3] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la procédure d'exécution forcée diligentée à l'égard de la SCI FDM, en sa qualité de débiteur principal, avait eu pour effet d'interrompre la prescription de son action en paiement à l'égard de Mme [O] [B], en sa qualité de caution ; qu'en énonçant qu'aucune interruption utile de la prescription n'était démontrée à l'égard de Mme [O] [B], en ce que les paiements opérés par cette dernière étaient postérieurs à l'expiration du délai de cinq ans ayant couru à compter du 9 décembre 2009, date de la déchéance du terme, sans rechercher si un tel effet interruptif de la prescription n'était pas acquis au regard de la procédure d'exécution forcée qui avait été diligentée antérieurement par la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] à l'encontre de la SCI FDM, ou du commandement de payer valant saisie-immobilière délivré antérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 et 2246 du code civil :

11. Selon l'alinéa 1er du premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

12. Selon le second, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.

13. Pour déclarer la banque irrecevable en sa demande en paiement à l'égard de la caution, l'arrêt relève qu'il est établi que, si la caution a procédé à plusieurs règlements au titre des deux engagements litigieux, aucun n'est antérieur au 10 décembre 2014, date à laquelle la prescription des créances de la banque était acquise, et qu'aucune interruption utile de cette prescription n'est démontrée.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la procédure d'exécution forcée diligentée antérieurement par la banque à l'encontre de l'emprunteur n'avait pas eu un effet interruptif de la prescription, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la caisse de Crédit mutuel [Localité 3]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté les moyens d'incompétence et de prescription soulevés par elle et D'AVOIR déclaré Mme [O] [B] recevable en ses demandes ;

ALORS QUE la contestation de mesures de saisie-attribution et de saisie-vente s'opère dans les conditions prévues aux articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a constaté, Mme [O] [B] avait fait l'objet de mesures de saisie-attribution et de saisie-vente ; qu'en déclarant recevables les demandes formées par Mme [O] [B] hors du cadre des articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code, au motif impropre que Mme [O] [B] n'élevait pas de prétention quant au sort de l'acte d'exécution forcée quand, en ce qu'elles tendaient à voir déclarer prescrites les créances de la Caisse de crédit mutuel [Localité 3], subsidiairement à voir prononcer la déchéance ou la caducité de ses cautionnements, et très subsidiairement à voir dire que la Caisse de crédit mutuel sera privée des intérêts au taux conventionnel, elles relevaient des contestations des mesures de saisie, la cour d'appel a violé les articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code dans leur version applicable.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté le surplus des moyens de procédure soulevés par elle et notamment le moyen tiré de la prescription des demandes formées à son encontre par Mme [O] [B] sur le fondement des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil ;

ALORS QUE le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde ou défaut d'information exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure, ce d'autant plus lorsque ce courrier a été doublé d'une lettre simple ; qu'en énonçant que la Caisse de crédit mutuel [Localité 3], dès lors qu'elle n'était pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par Mme [O] [B], mais seulement le retour du document muni de la mention "Non réclamé - retour à l'envoyer", échouait à établir que le délai de prescription des demandes au titre d'un manquement au devoir de mise en garde et à l'obligation d'information, ainsi qu'au titre d'un cautionnement manifestement disproportionné, avait pu valablement courir à compter de cette date, la réception du courrier simple par Mme [O] [B] n'étant pas davantage établi, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt sur ce point infirmatif attaqué D'AVOIR dit prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis par Mme [O] [B] le 22 juin 2014 et le 23 juin 2015, et de l'AVOIR en conséquence déclarée irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de Mme [O] [B] ;

ALORS QUE l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution ; qu'en l'espèce, la Caisse de crédit mutuel d'[Localité 3] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la procédure d'exécution forcée diligentée à l'égard de la SCI FDM, en sa qualité de débiteur principal, avait eu pour effet d'interrompre la prescription de son action en paiement à l'égard de Mme [O] [B], en sa qualité de caution ; qu'en énonçant qu'aucune interruption utile de la prescription n'était démontrée à l'égard de Mme [O] [B], en ce que les paiements opérés par cette dernière étaient postérieurs à l'expiration du délai de cinq ans ayant couru à compter du 9 décembre 2009, date de la déchéance du terme, sans rechercher si un tel effet interruptif de la prescription n'était pas acquis au regard de la procédure d'exécution forcée qui avait été diligentée antérieurement par la Caisse de crédit mutuel [Localité 3] à l'encontre de la SCI FDM, ou du commandement de payer valant saisie-immobilière délivré antérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du code civil.

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