6 juillet 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.387

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00879

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2022




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 879 F-D

Pourvoi n° K 21-13.387

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 janvier 2021.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022

M. [V] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-13.387 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre), dans le litige l'opposant à la société Métro France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Cash & Carry France défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor et Périer, avocat de la société Métro France, après débats en l'audience publique du 1er juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 octobre 2019), M. [O], engagé le 29 janvier 2007 selon contrat à durée indéterminée par la société Métro Cash & Carry France, devenue la société Métro France (la société), en qualité de vendeur qualifié, après des arrêts de travail pour accident du travail ou maladie et suite à un avis d'inaptitude définitive à son poste de travail par le médecin du travail, a été licencié le 7 décembre 2009 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

2. Le 11 mai 2012, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement en invoquant un harcèlement moral ainsi qu'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande subsidiaire tendant à juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à ce titre, alors « que l'inaptitude causée par un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat prive le licenciement fondé sur cette inaptitude de cause réelle et sérieuse ; qu'ayant expressément reconnu qu'en l'espèce, l'absence totale de réaction de l'employeur à la dénonciation de ce que le salarié percevait être du harcèlement moral, caractérisant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, ''a nécessairement impacté le salarié dont l'état de santé était déjà fragilisé'' la cour d'appel qui affirme que le moyen tiré de ce que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude du salarié ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ''la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée'' a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 ensemble les articles L. 4121-1 et L. 1222-1 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code, en leur rédaction applicable en la cause :

5. Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

6. Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salarié sollicite la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que son harcèlement moral résulte d'un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, qui est donc la cause de l'inaptitude, qu'or ce moyen ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée, que le harcèlement moral n'étant pas caractérisé, l'argument est donc inopérant.

7. En se déterminant ainsi, alors d'une part qu'elle avait constaté que le salarié demandait à titre principal la nullité de son licenciement pour inaptitude en raison d'un harcèlement moral subi et à titre subsidiaire de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse en conséquence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité et que d'autre part elle avait retenu l'existence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, justifiant la condamnation de ce dernier au paiement à ce titre de dommages-intérêts, la cour d'appel qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [O] de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 30 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Métro France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile condamne la société Métro France à payer à la SCP Bouzidi et Bouhanna la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. [O]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté l'exposant de ses demandes de nullité du licenciement et de condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à ce titre et de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'avoir condamné l'employeur à lui payer la seule somme de 2000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité ;

1°) ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'au soutien de la reconnaissance du harcèlement moral dont il avait été victime, l'exposant avait invoqué un très grand nombre de faits et agissements dont il avait été victime et qui avaient eu pour effet d'entraîner une dégradation de ses conditions de travail, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale et de compromettre son avenir professionnel, ainsi que cela ressortait encore des nombreux éléments médicaux qu'il produisait ; qu'en retenant tour à tour, au titre de « la modification de son secteur d'activité sans justification » que « le changement de rayon (du salarié) se justifie par un élément objectif étranger à tout harcèlement, à savoir le pouvoir de direction de l'employeur », au titre de « la surveillance accrue de la part de son employeur » que l'employeur pouvait légitimement adresser un courrier à son salarié pour connaître les raisons de son absence et lui rappeler les règles en matière de justification d'absence, que la faculté de l'employeur de faire procéder à une contre-visite médicale est ouverte lorsque l'employeur est tenu à une obligation d'assurer une indemnisation complémentaire de la maladie, que seule la multiplicité des contre-visites médicales durant la relation contractuelle aurait pu laisser présumer l'existence d'un harcèlement, que la société employeur qui pratique le maintien de salaire était en droit de faire procéder à une contre-visite de son salarié et que « ces faits ne font pas présumer l'existence d'un harcèlement moral », au titre des « conditions de travail explicitement vexatoires et difficilement supportables par le fait d'être constamment surveillé par le directeur » que l'absence de toute réaction de l'employeur à la dénonciation d'un harcèlement moral et de la souffrance de l'exposant au travail, « élément isolé, ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement moral qui suppose des agissements répétés », la cour d'appel qui relève par ailleurs que le salarié « produit de nombreux éléments sur sa situation médicale qui attestent de la réalité de la dégradation de son état de santé (troubles digestifs, troubles du sommeil, troubles de l'appétit, anxiété, syndrome anxio-dépressif) » a procédé à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par l'exposant, sans nullement apprécier si, pris dans leur ensemble, les éléments ainsi matériellement établis, dont les documents médicaux relatifs à une altération de l'état de santé de l'exposant, ne laissaient pas présumer l'existence d'un harcèlement moral et a violé les articles L 1152-1 du code du travail et L 1154-1 dudit code ;

2°) ALORS D'AUTRE PART QUE le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en retenant que les agissements constitutifs de harcèlement moral ne peuvent résulter simplement d'un stress, d'une anxiété, d'un surmenage, d'un conflit personnel, de contrainte de gestion, mais doivent être la conséquence d'une véritable volonté réitérée se manifestant par des éléments identifiables et portant atteinte à la dignité de la personne en créant un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant, la cour d'appel a violé l'article L 1152-1 du code du travail ;

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté l'exposant de sa demande subsidiaire tendant à voir juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à ce titre ;

ALORS QUE l'inaptitude causée par un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat prive le licenciement fondé sur cette inaptitude de cause réelle et sérieuse ; qu'ayant expressément reconnu qu'en l'espèce, l'absence totale de réaction de l'employeur à la dénonciation de ce que le salarié percevait être du harcèlement morale, caractérisant un manquement de l'employeur a son obligation de sécurité, « a nécessairement impacté le salarié dont l'état de santé était déjà fragilisé » (arrêt p 8) la cour d'appel qui affirme que le moyen tiré de ce que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude du salarié ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, « la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée » (arrêt p 7) a violé les articles L 1232-1 et L 1235-1 ensemble les articles L 4121-1 et L 1222-1 dudit code.

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